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Le petit panthéon de mes disparus

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Photo : Crédit photo - Le Collectif: Yves Martin et Daniel Nadeau, 1980
Daniel Nadeau Par Daniel Nadeau
Mercredi le 3 mars 2021

Le temps s'écoule plus rapidement quand on prend de l'âge. C'est fou comment notre rapport au temps change au fil des ans qui s'accumulent à notre compteur personnel. Par exemple, la semaine dernière, j'ai publié dans EstriePlus ma 400e chronique. J'ai l'impression que c'était hier que j'écrivais mon premier texte. Le sablier de notre existence s'écoule inexorablement.

Le temps qui passe c'est comme l'eau qui file dans un cours d'eau. Jamais plus on ne reverra la même eau. Un vieux proverbe chinois dit que l'on ne se baigne jamais dans les mêmes effluves. Ce qui est vrai pour l'observation de notre milieu physique et de notre environnement est encore plus ressenti quant à notre milieu social. Le temps qui passe est aussi synonyme de gens qui disparaissent de notre regard. Des gens significatifs un jour pour nous, soudainement ne sont plus là. Ce ne sont pas toujours des personnes nécessairement proches, mais qui n'en demeurent pas moins significatives. Aujourd'hui, je veux jeter la lumière sur deux êtres qui ont été significatifs pour moi et qui l'étaient aussi pour la communauté. Je veux parler de ces disparus dont les voix ont marqué nos vies et qui soudainement se taisent à jamais. Je dis souvent à la blague que la rubrique nécrologique se compare à une sorte d'album de finissants de la vie. Aujourd'hui, je voudrais vous parler de deux êtres humains qui figurent dans mon album de finissants et qui nous ont quittés dans les derniers mois. Deux personnes qui ont été marquantes pour moi : Pierre Javaux et Yves Martin.

Mon ami Pierre...

PierrePierre Javaux est décédé à l'âge de 73 ans d'une maladie inflammatoire du cerveau à la suite d'une intervention chirurgicale. L'Estrie a perdu un grand homme de culture et un artiste dans l'âme. Réalisateur, Pierre était un bénévole dans de nombreux organismes culturels. Je l'ai connu à son arrivée à Sherbrooke alors que président de la Radio communautaire de L'Estrie, je l'avais embauché. Plus tard, je l'ai recroisé alors qu'il travaillait avec le producteur et propriétaire Arts et images, Mario Desmarais qui produisait à l'époque pour le réseau de Radio-Québec. À ce moment, je travaillais en politique au Cabinet de Monique Gagnon-Tremblay et le gouvernement Bourassa voulait couper la production régionale afin d'épargner des coûts pour l'État québécois. Ma patronne de l'époque, Monique Gagnon-Tremblay défendait toujours les intérêts de la région et nous avions concocté une solution permettant de sauvegarder les enveloppes budgétaires pour la production régionale. Ce qui fit le bonheur de Mario Desmarais et de Pierre Javaux, lui qui n'était pas un libéral avait reconnu l'efficacité du travail de Gagnon-Tremblay dans ce dossier et par le fait même les efforts que j'y avais consentis. Puis, je l'ai à nouveau croisé en lui confiant quelques contrats de production publicitaire alors que j'étais au Groupe Everest.

Des années plus tard, nos chemins se sont recroisés alors qu'il collaborait avec le Théâtre des petites lanternes sous la direction d'Angèle Séguin, ma conjointe agissait alors comme Présidente du conseil d'administration. En 2010, pour célébrer le 10e anniversaire de Nadeau Bellavance, nous avions participé au financement du projet La grande cueillette de l'espoir réalisée par le Théâtre des petites lanternes. Nous avions alors organisé un souper-bénéfice chez Da Toni. Notre objectif était d'amasser 10 000 $ afin de permettre entre autres à un jeune comédien sherbrookois, Nathaniel Allaire-Sévigny de concrétiser un projet de théâtre social international qui s'est déroulé à Belém, au Brésil, en juillet 2010. Le Théâtre des petites lanternes a ainsi été au cœur de la création artistique sociale regroupant des jeunes de 18 à 30 ans de 30 pays. À notre grande joie, c'est plutôt 22 500 $ que nous avons remis au Théâtre des petites lanternes. C'est la très grande générosité de nos clients qui a permis de largement dépasser toutes nos attentes. Pierre Javaux était de ce projet et il a tourné des images de cette expérience inoubliable pour les gens de l'équipe du Théâtre des petites lanternes. J'ai aussi recroisé Pierre alors qu'il présidait les destinées de l'organisme La Course des régions. Encore une fois, j'ai collaboré bénévolement avec Pierre et nous avons transformé un peu cet événement en créant de nouveaux partenariats notamment avec Radio-Canada.

Ce que je retiens le plus de mes relations avec Pierre c'est cependant ses talents de cuisinier ou ses publications sur son compte Facebook nous faisaient tous saliver des mets qu'il concoctait. Je retiens également ses commentaires critiques sur mes chroniques. Nous avions des désaccords intellectuels importants sur la question du nationalisme québécois et sur des questions liées à l'accueil des nouveaux arrivants. Pierre me reprochait gentiment mon trop grand nationalisme à ses yeux et mon manque d'ouverture aux nouvelles réalités. Comme Pierre était l'un de mes lecteurs et critique le plus assidus, son départ a créé un vide. Ma dernière conversation avec lui était la veille de son entrée à l'hôpital pour son intervention. Je lui avais prêté des livres et il m'avait appelé pour que j'aille les chercher, car il ne savait pas s'il ressortirait vivant de sa prochaine expérience. Je me souviens lui avoir répondu que ce serait un plaisir d'aller le voir à son retour chez lui et d'y quérir mes livres. C'est la dernière fois que j'ai entendu la voix de ce géant de notre culture régionale. Pierre était un grand bénévole, un artiste créatif et un intellectuel de premier plan. Je comprends que pour ses proches l'extinction de sa voix est difficile. Moi qui le connais si peu, je trouve qu'il me manque certains jours. C'est dire...

Le régime Martin

Yves Martin qui fut le premier recteur laïque de l'Université de Sherbrooke de 1975 à 1981 est décédé la semaine dernière. Il a été le recteur de mon alma mater du temps où j'y faisais mon baccalauréat et ma maitrise en histoire de 1977 à 1982. Yves Martin a été un grand intellectuel québécois formé à l'école de Georges-Henri Lévesque. Il a été un artisan important de la Révolution tranquille et il a contribué avec le sénateur Arthur Tremblay à structurer le réseau d'éducation au Québec. Yves Martin a aussi été celui qui a rétabli la santé financière de l'Université de Sherbrooke et il a joué un rôle important dans la valorisation des sciences humaines à l'Université de Sherbrooke.

Je l'ai aussi connu comme recteur alors que j'étais un officier de l'AFEUS et le directeur du journal étudiant Le Collectif. Deux anecdotes méritent d'être racontées à son sujet. La première fait suite à un violent texte éditorial que j'avais publié dans Le Collectif au sujet de la gestion de l'Université, texte intitulé : Le régime Martin. Comme étudiant, nous avions un point de vue critique sur la gestion de notre université surtout à cette époque où nous étions de gauche et que nous voulions briser les hiérarchies. Faisant suite à cet éditorial, j'ai reçu une note personnelle du recteur Yves Martin dans laquelle il me fit parvenir un chèque pour renouveler son abonnement à notre journal accompagné du texte suivant : « Au nom du régime Martin pour que toutes les voix puissent continuer de se faire entendre » signé Yves Martin. Ce fut pour moi la première leçon que j'ai reçue d'un grand démocrate au sujet de l'importance de ne pas tenir rancune à celles et ceux qui ne sont pas de la même opinion que nous. Le second événement se passe au moment où j'étais représentant des étudiants du second cycle au Conseil d'administration de l'Université de Sherbrooke. J'avais alors durement attaqué un projet de l'administration en place au sujet d'une réforme de la Faculté des sciences de l'éducation en faisant un discours dans lequel j'avais dit que si le recteur Martin voulait ériger ses bêtises en monuments, , il n'était pas dit que nous en serions les architectes. Yves Martin avait accusé stoïquement ma réplique, mais en me disant que si je voulais aller siéger à l'Assemblée nationale, rien ne me retenait à l'université. Il avait jugé ma rhétorique déplacée et me l'avait fait savoir. Ces anecdotes ne doivent pas occulter la grande disponibilité du recteur Martin pour rencontrer les étudiants et discuter avec eux. Il trouvait importante notre voix et j'ai eu quelques rencontres inoubliables avec lui. Je suis fier d'avoir croisé sa route. Cet intellectuel était un géant dans l'histoire du Québec et je me sens privilégié que nos routes se soient croisées. Aujourd'hui, c'est avec beaucoup de tristesse que j'apprends que sa voix s'est éteinte à tout jamais.

Comme Pierre Javaux, Yves Martin a eu une influence sur moi. C'est pourquoi aujourd'hui je leur rends cet hommage dans le petit panthéon de mes disparus...


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