Aujourd'hui,
c'est Noël. Un Noël marqué cette année par des guerres, en
Ukraine et au Moyen-Orient, des menaces de guerre commerciales avec
notre voisin américain, par le retour du grand marionnettiste en
chef, Donald J. Trump et par la prise de position de la Commission
des droits de la personne qui dans son rapport intitulé :
« Document de réflexion sur l'intolérance religieuse » qui
affirme que la discrimination à l'égard des minorités
religieuses au Canada est ancrée dans l'histoire du colonialisme.
Cette histoire se manifeste aujourd'hui par une discrimination
religieuse systémique. Un exemple évident est celui des jours
fériés au Canada. L'un des jours visés par ce rapport, c'est
bien entendu le jour de Noël. Plutôt que d'imaginer de jeunes
enfants autour de l'arbre de Noël, les yeux en bonbon trois
couleurs, les sourires grands comme l'océan et d'y voir leur
grande joie de croire à la magie de Noël, la Commission nous invite
à y voir les traces des relents du colonialisme. On ne peut trouver
mieux pour briser la magie.
En dépit de l'avis de ces
sages, il me semble avisé de nous interroger sur la question de
l'existence du père Noël. Doit-on favoriser ou non la croyance du
phénomène père Noël ? La réponse à cette question appartient
à chaque parent, mais il n'y a pas à en sortir, la magie de Noël
fait partie de notre culture. Chose certaine, nous pouvons suivre à
la trace la création et les diverses métamorphoses de ce personnage
dans notre imaginaire collectif.
Le miracle de la
34e rue
Le gros bonhomme de rouge et de blanc avec sa
barbe blanche et sa poche de cadeaux sur son traîneau tiré par des
rênes est la représentation achevée du père Noël qui a été
largement mise à contribution par les marchands et scénarisée dans
les plus grands films hollywoodiens. Qui ne se rappelle pas le
célèbre film Le Miracle de la 34e rue qui a été
produit en 1947 par le réalisateur George Seaton et qui a gagné
trois Oscars. Un film qui met en vedette un père Noël, Kris
Kringle, gentil vieillard, qui doit débattre dans un procès de la
preuve de son existence contre de méchants marchands de jouets. Le
père Noël, rassurez-vous, sortira gagnant de ce procès. Une fois
encore, Hollywood permettra le triomphe du bien contre le mal. Le
méchant marchand ne triomphera pas de l'esprit charitable de Noël.
Mais est-ce bien là la vérité ?
Un Noël chrétien,
vraiment ?
Souvent, on veut croire que le père Noël
est issu de la tradition chrétienne et que lentement, au cours des
dernières années, la méchante société de consommation que nous
sommes devenues a travesti le sens de Noël et en a fait une vulgaire
fête commerciale. Est-ce là toute la vérité que nous enseigne
l'histoire ? Non. Le père Noël n'a peut-être pas été
inventé par Coca-Cola comme le veut cette fausse vérité largement
répandue par les services marketings
de cette multinationale américaine, mais il n'en fut pas moins
inventé par les marchands qui, à l'approche de ces festivités
annuelles, voulaient multiplier leurs possibilités de
profit.
Coca-Cola et le père Noël
C'est une
légende urbaine de croire que le père Noël a été inventé par
Coca-Cola. Il est vrai cependant qu'en 1931, Coca-Cola, voyant ses
ventes de boissons gazeuses décliner fortement durant la période
hivernale, a eu l'idée d'associer son produit à un symbole
mondialement connu et immédiatement reconnu : le père Noël.
Coca-Cola voulant créer un buzz publicitaire a fait appel
à Haddon Sundblom pour lui demander de dessiner un vieux bonhomme en
train de boire du Coca-Cola pour reprendre des forces pendant la
distribution de cadeaux. Le célèbre dessinateur l'habilla aux
couleurs du produit : rouge et blanc.
L'image
du père Noël était désormais fixée dans l'imaginaire
nord-américain grâce à la puissance marketing de la multinationale
américaine. Il faut dire cependant que Coca-Cola s'appuyait sur un
terreau déjà fertile, le vieux bonhomme Saint-Nicolas avait déjà
de la notoriété. Cela a fait que certaines voix catholiques, d'où
provient la tradition de Saint-Nicolas, se firent entendre pour
dénoncer l'envahissement de cette nouvelle figure qui venait
porter ombrage à la naissance du petit Jésus. Même si certains
allaient brûler l'effigie du nouveau père Noël, Coca-Cola a
réussi à imposer sa nouvelle figure emblématique. C'est sur cela
que s'appuie la légende urbaine que Coca-Cola aurait inventée
l'actuel père Noël. Pourtant, ce personnage de l'imaginaire de
tous les enfants avait déjà acquis sous diverses formes et diverses
représentations une très grande notoriété partout dans le monde
occidental.
De Sinter Klaas à Santa
Claus...
Au Moyen Âge, l'Église cherchait à remplacer
les figures païennes par des saints. Ainsi, l'évêque de Myre,
Nicolas de Myre, un personnage qui a vécu au IVe siècle
au sud de la Turquie actuelle, devient Santa Claus, personnage
qui distribue anonymement nourriture et cadeaux aux pauvres et aux
familles modestes pendant la nuit. Au XIe siècle, au moment des
croisades, sa dépouille est volée. Des légendes autour de ce
personnage naîtront ainsi à Lorraine en France, à Bari en Italie,
où on attribuera des miracles à ce personnage mythique et il
deviendra un personnage semi-laïc après la réforme aux
Pays-Bas, Sinter Klaas. C'est à partir de ce personnage que
nous retrouverons par la suite le Santa Claus popularisé
au Royaume-Uni et aux États-Unis, à New York plus précisément,
qui avait des liens privilégiés avec les Hollandais.
De
l'Europe aux États-Unis...
Le Noël de Charles
Dickens
Dans le Royaume-Uni, on doit à l'auteur anglais
Charles Dickens le passage de Saint-Nicolas au père Noël grâce à
ses livres de Noël. En Hollande, le père Noël prenait forme
sous les traits de Sinter Klaas. En France, il aura fallu
attendre à la fin de la Deuxième Guerre mondiale pour que le père
Noël tel que nous le connaissons aujourd'hui parvienne à
s'imposer, même si sa figure était largement connue, mais faisait
l'objet de résistance. Les Français préférant continuer à
s'offrir de petits présents sous l'égide de Saint-Nicolas,
figure plus compatible avec les valeurs chrétiennes et catholiques
de ce pays.
Le père Noël de New York
Aux
États-Unis, un père Noël différent de la représentation que nous
nous en faisons aujourd'hui est apparu au même moment qu'au
Royaume-Uni, soit vers 1860, alors que le journal
new-yorkais Harper's Weekly représente Santa
Claus vêtu d'un costume orné de fourrures blanches et d'une
large ceinture de cuir noir. C'est l'illustrateur et
caricaturiste, Thomas Nast, qui pendant près de trente ans dessina
tous les aspects de la légende de Santa Claus et donna à
ce personnage mythique ses principales caractéristiques visuelles :
petit bonhomme rond vêtu à ses débuts d'une houppelande en
fourrure de couleur rouge. C'est aussi lui qui a établi le lieu de
résidence du père Noël au pôle Nord. C'est à partir de cette
représentation que l'illustrateur réputé a fait la fortune de
Coca-Cola dans ses efforts de création d'un buzz publicitaire
majeur et que la figure actuelle du père Noël tout vêtu de rouge
et de blanc s'est imposée comme étant le vrai père Noël. Au
Québec, le personnage a vécu une trajectoire similaire.
Le
père Noël de la société distincte
Le Québec ne fait
pas figure d'exception et chez nous aussi, Saint-Nicolas s'est
transformé en père Noël. Trop souvent, on entend dire faussement
que ces dernières années, on a travesti nos Noëls d'antan par
une commercialisation à outrance. Au milieu du 19e siècle, en
1843, la publication Mélanges religieux de Mgr Ignace
Bourget publie des vers sous le titre Cette nuit de bonheur n'a
plus de poésie : « Noël, mais ce n'est plus la fête
universelle, que notre cœur d'enfant regrette et se rappelle, ce
n'est plus ce beau jour si désiré de tous, où nul n'aurait
manqué son pieux rendez-vous... Noël ! Tu n'es plus la fête
d'autrefois. » (Mélanges religieux, 18 décembre
1843, p.1.)
Il est clair que le Québec de la fin du
19e siècle et du début du 20e siècle est happé par la
culture des grands magasins qui s'empare à la même époque des
États-Unis et de l'Angleterre. On assiste alors à la
commercialisation de la saison des fêtes au Québec. En cette
matière, nous ne sommes pas une société distincte, mais une
société pleinement intégrée au capitalisme libéral en pleine
effervescence. L'historien Jean-Philippe Warren qui a écrit un
ouvrage sur la question intitulé Hourra pour Santa
Claus ! publié chez Boréal en 2006 affirme et je cite :
« Le processus de déchristianisation à l'œuvre dans la
bureaucratisation de l'appareil d'État ou l'industrialisation
de l'économie à la fois fragilise et exalte paradoxalement
certains éléments de la culture religieuse populaire. L'exemple
des fêtes de décembre est à cet égard particulièrement
évocateur : d'une part, l'historien observe l'appropriation
par la société de consommation des rites entourant la célébration
de la Nativité et de l'an neuf ; d'autre part, il assiste à
la réinvention de cette tradition. » (Jean-Philippe Warren.
p. 12-13)
Le père Noël, une affaire de gros
sous
Quoi que l'on en pense aujourd'hui, le père Noël
a bel et bien été inventé par les commerçants et Coca-Cola dans
un coup de marketing brillant en a fixé la représentation
archétypale actuelle grâce au concours des producteurs d'Hollywood
avec le film culte Le miracle de la 34e rue de George
Seaton.
Le mot de la fin revient à Jean-Philippe Warren :
« Dès la fin du siècle, des Canadiens français s'avouent
nostalgiques d'une période révolue où Noël était une vraie
fête chrétienne, familiale, féérique et charitable. Le passage
d'une époque à une autre a été d'une grande rapidité. En
trente ans à peine (1885-1915), l'imaginaire culturel a été
bouleversé et retraduit dans la logique de la société
industrielle. » (Warren, ibid. p. 259)
Une
question en terminant : comprenez-vous mieux maintenant, à
l'ère des chartes et du relativisme culturel ambiant, pourquoi il
est faux d'affirmer que Noël est une fête chrétienne ? Noël,
c'est bien plus la fête des commerçants que la fête des
chrétiens et cela ne date pas d'hier. Le père Noël existe, nous
l'avons créé...
Lectures suggérées :
Jean-Philippe
Warren, Hourra pour Santa Claus. La commercialisation de la saison
des fêtes au Québec, 1885-1915. Montréal, Éditions du Boréal,
2006, 301 p. Wikipédia, père Noël.
http://fr.wikipedia.org/wiki/
N.B. Ce texte a déjà été
publié. Cette version est légèrement remaniée. Ce texte est
toujours d'actualité. L'avis de la Commission des droits de la
personne et les prises de position de l'Assemblée nationale du
Québec et du Parlement du Canada en sont des preuves tangibles. Le
père Noël nous revient chaque année et son histoire demeure la
même malgré le temps incertain dans lequel nous vivons et où les
fausses nouvelles rendent moins amusantes les fables modernes.