Dimanche dernier, le premier ministre caquiste, François
Legault s'est glissé dans le personnage mythique de Robert Charlebois dans le
temps qu'il faisait peur aux Français à l'Olympia de Paris en leur lançant des
instruments de musique sur la tête. Il a cherché à casser la baraque en
déclarant que la nation québécoise était en péril si le Québec ne réussissait
pas à convaincre le gouvernement fédéral de lui donner les pouvoirs en matière
d'immigration. Si l'on en croit le premier ministre Legault, le Québec est sur
la voie de la « Louisianisation » et seul un gouvernement fort de la CAQ issu
du prochain scrutin d'octobre 2022 pourrait éviter ce triste sort pour notre
nation. La rhétorique de Legault fait de l'immigrant une menace. Une dérive
nationaliste qui s'est confirmée durant toute la dernière semaine. Réflexions
sur le nationalisme québécois et la politique à l'aube d'une élection
québécoise.
Le nationalisme, une constante de
l'histoire du Québec
S'il y a une constante dans l'histoire du Québec, c'est la
présence du nationalisme sous une forme défensive ou plus offensive tout au
long de notre histoire. De la conquête de 1760 avec la bataille pour conserver
la langue française et le droit civil français aux rébellions de 1837 où l'affirmation
nationale se jouxtait à des revendications démocratiques dans la foulée du
printemps des peuples. De la Révolution tranquille de l'époque de Lesage au
mouvement indépendantisme, le nationalisme québécois a toujours joué un rôle
majeur dans le discours politique québécois. Ce n'est donc pas étonnant que
l'on voie ressurgir ce puissant outil rhétorique à l'aube d'une nouvelle
élection.
Le nationalisme québécois a connu ses heures
de gloire des années 1960 jusqu'à la défaite du référendum de 1995. Quoi
que l'on ait pu en dire, les deux défaites référendaires ont affaibli la
position politique du Québec dans le fédéralisme canadien et a mené la mouvance
nationaliste à un « champ de ruines » selon les mots de l'ancien premier ministre
québécois du Parti Québécois, Jacques Parizeau. Pire encore, cela a conduit à
une reconfiguration de l'espace politique où les anciennes querelles
fédéralistes-souverainistes on fait place à une opposition droite-gauche. Cela
n'a pas empêché cependant la mouvance nationaliste de reprendre le pouvoir avec
la Coalition avenir Québec et de créer des politiques nationalistes issues d'un
nationalisme identitaire.
Le documentaire : Bataille pour
l'âme du Québec
Le nationalisme identitaire est un nationalisme
plus conservateur. Cela est indéniable. C'est dans cette perspective que nous
avons pris beaucoup d'intérêt à visionner le documentaire de la journaliste
Francine Pelletier intitulé Bataille pour l'âme du Québec. Dès le début du documentaire, l'historien
Pierre Anctil entre dans le vif du sujet en évoquant le
racisme, le rejet de l'autre et la diversité, l'historien soulève l'enjeu de la
responsabilité devant les dérives identitaires actuelles. Et la suite du
documentaire est plutôt explicite : on y aborde le rôle qu'ont joué les
médias dans la polarisation du Québec, mais aussi celui des personnalités
politiques, Mario Dumont et ses formules populistes en tête.
On apprend
également, grâce aux différents intervenants, que la Charte des valeurs québécoises
est le point de bascule vers un nationalisme nouveau, qui soutient que la « majorité
historique francophone » serait à défendre face à la religion musulmane et... aux
femmes voilées. Le tout cristallisé par une définition souvent confuse de la
laïcité.
Ce procès intenté
aux dérives du discours nationalisme par madame Pelletier dans ce documentaire semble
tomber sous le sens si l'on prend appui sur les événements politiques de la
dernière semaine : discours lénifiant sur l'immigration, culpabilisation
des immigrants, déclaration de guerre à Ottawa, démonisation de Justin Trudeau,
annonce de candidatures souverainistes de type pur et dur comme candidat de la
CAQ avec la nomination de Caroline Saint-Hilaire dans Sherbrooke et celle de
Bernard Drainville. Ce dernier a été le père de la défunte charte des valeurs,
rebaptisée depuis par ses adversaires comme la charte de la chicane remplacera François
Paradis dans le comté de Lévis. Il n'en faut pas plus pour créer un nouveau narratif
sur les véritables intentions de François Legault qui pratique avec agilité le
style « Bourassien » hérité de nos racines bretonnes, je ne suis ni pour, ni
contre, bien au contraire. La table est mise pour l'affrontement électoral
d'octobre prochain.
Le nationalisme, un
hochet politique
Ce ne sera pas la
première fois que le nationalisme servira de véhicule politique dans un
affrontement électoral au Québec. Souventes fois dans notre histoire, le
nationalisme a servi de hochet pour distraire notre attention des véritables
enjeux qui confrontent notre société. D'ailleurs, faut-il rappeler que le
nationalisme est une doctrine. Une doctrine qui sert un mouvement
politique qui revendique pour une nationalité le droit de former une nation. En
fait, le nationalisme dénote chez ses propagateurs et thuriféraires une
propension à exalter le sentiment national avec passion. Le nationalisme qui se
transforme en chauvinisme ou patriotisme ce n'est ni bien ni mal. Parfois,
c'est un ciment qui permet de créer des solidarités utiles dans la vie d'un
pays pour affronter des difficultés. Par contre, le nationalisme qui s'exprime
aujourd'hui au Québec, le nationalisme identitaire est de nature différente de
celui qui a permis au Québec de s'émanciper de ses conditions socio-économiques
inacceptables. Une fois le pouvoir conquis, les rêves brisés, les refus de
l'État canadien aux demandes légitimes du Québec de voir reconnaître sa
spécificité, le nationalisme a pris de nouvelles formes et celle qui prévaut
aujourd'hui et qui se fonde sur l'exclusion de l'autre, sur la frilosité à la
diversité et sur ce désir de se renfermer sur soi dans un entre-nous
confortable est à rejeter.
Il ne faut pas oublier
que l'État-nation est une construction qui apparait au 17e siècle
au lendemain de la guerre de Trente Ans. Un conflit majeur de l'Europe moderne qui a impliqué l'ensemble
des puissances du continent dans le conflit entre le Saint-Empire romain
germanique et ses États allemands protestants en rébellion ; le traité de
Westphalie signé en 1648 mettra en place un nouvel ordre mondial : l'ordre
westphalien. Derrière cette expression se trouve l'idée selon laquelle ces
traités auraient vu la naissance d'un nouvel ordre international fondé sur l'affrontement
d'États désormais souverains et égaux en droit, et participant par conséquent d'une
stabilisation de l'ordre international après une époque de guerres civiles. Ces
traités seraient ainsi à l'origine de principes élémentaires du droit
international contemporain tels que l'inviolabilité des frontières ou la
non-intervention dans les affaires domestiques d'un État. Il faut toutefois
garder à l'esprit qu'il s'agissait du point de départ d'un long processus
aboutissant à la mise en place et la relative acceptation de ces règles ; par
ailleurs, les notions d'État et de frontière
doivent être saisies
dans leur réalité du XVIIe siècle. Le traité a pour résultat le
fait que les États se reconnaissent mutuellement comme légitimes sur leur
territoire propre. C'est une nouvelle conception de la souveraineté qui perdura
jusqu'à nos jours et qui est la colonne vertébrale de l'affrontement
Québec-Canada depuis le 19e siècle.
On peut penser que le 21e siècle
pourra donner naissance à de nouvelles façons de voir et surtout à ne pas se
servir du nationalisme comme hochet politique pour distraire notre attention
d'enjeux plus urgents comme la crise climatique, les inégalités sociales et
économiques, la pénurie de la main-d'œuvre, l'état pitoyable de notre réseau de
santé et la condition de nos aînés. Le gouvernement Legault cherche à profiter
de notre attachement à nos origines et à nos racines pour nous distraire des
véritables défis qui se posent à l'avenir du Québec. Nous ne devons pas le
laisser faire. Vous savez, comme l'écrit l'auteur bulgare Guéorgui Gospodínov dans son roman Le pays du passé : « Le passé n'est pas seulement ce qui nous est
arrivé. Parfois, c'est ce qu'on n'a fait qu'inventer. »
Les méchants immigrants et le démon
Trudeau sont manifestement des hochets et le nationalisme noir évoqué par le
gouvernement Legault est clairement un passé que l'on s'invente...