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Le fruit est enfin mûr…

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Daniel Nadeau Par Daniel Nadeau
Mercredi le 20 avril 2022

Il y a 40 ans, il y eut le rapatriement de la constitution canadienne. Aujourd'hui, on célèbre ou on dénonce, c'est selon, mais il faut reconnaître que ce quarantième anniversaire du rapatriement de la constitution canadienne et de l'ajout à celle-ci, une charte des droits et libertés est un fait marquant de l'histoire politique canadienne. Le « coup de force » de Pierre Elliott Trudeau a créé la société chartiste canadienne et a sonné le glas des droits collectifs au pays au profit des droits individuels. Ainsi, le droit des minorités et de nombreuses personnes fustigées par un handicap, une condition particulière ou une différence est devenu le point d'orgue de nos discussions démocratiques. La thèse victimaire de l'historien souverainiste Frédéric Bastien dans son livre La bataille de Londres demeure fragile malgré sa popularité auprès des tenants du souverainisme. Il n'en demeure pas moins que Pierre Elliott Trudeau a refondé le Canada en fonction de ses convictions profondes de libéral à tout crin. Réflexions libres sur le rapatriement de 1982.

La charte des droits et sa grammaire aujourd'hui

Une étude récente menée par L'Environics Institute sur l'état du fédéralisme canadien montre sans équivoque que les Québécois et les Canadiens sont passés à autre chose. Fin des grandes sagas télévisées constitutionnelles et triomphe de l'individualité dans une société où le libéralisme juridique est le maître concept. Une seule certitude, la Charte des droits et libertés canadienne fait l'unanimité auprès des habitants du Canada. Elle rassemble tant les solidaires de Gabriel Nadeau-Dubois que les partisans du United Conservative Party en Alberta. Plus que jamais, nous vivons sous l'emprise de la théorie constitutionnelle de la suprématie du gouvernement des juges sur celle de la souveraineté populaire.

La Charte des droits et libertés canadiennes est jugée par une vaste majorité de Canadiennes et de Canadiens comme une bonne chose. Nous vivons aujourd'hui dans une société où l'individualisme a pris le pas sur la communauté et où le gouvernement des juges est plus crédible que le gouvernement du peuple. Pouvons-nous dans un tel contexte être étonnés du fait que les Canadiens sont peu friands des vieilles querelles constitutionnelles ? Cela est porteur de grands dangers pour l'avenir de la société francophone québécoise en Amérique. Avec le verrou sur les changements constitutionnels nécessaires, le multiculturalisme triomphant et la montée en puissance de la génération des éveillés, il ne reste guère plus que notre petit gouvernement provincialiste, conservateur et rétrograde aux yeux de plus en plus de personnes pour protéger et pérenniser notre petite société distincte fragilisée et exsangue. Le français est en péril, nos traditions sont menacées et notre culture qui nous distingue de tous les autres ne pourra suffire à transformer la situation et assurer l'avenir d'une certaine idée du Québec. Nous devons réinventer le Québec et le Canada et nous donner une nouvelle grammaire pour déchiffrer et décrypter le monde dans lequel nous vivons.

La charte et ses conséquences

La plus grave conséquence de l'imposition de la Charte des droits et libertés dans la constitution canadienne ne réside pas dans ses bienfaits. On en convient. Ce n'est pas rien que l'on puisse évoquer celle-ci pour contrer la discrimination envers des minorités racisées ou sexuelles ou handicapées. Nous en sommes tous. Qui en 2022 peut encore se réjouir de la présence de discrimination sous une forme ou sous une autre ? Non, la conséquence primordiale c'est la banalisation de la seule société francophone en Amérique du Nord. Société distincte qui se meurt et qui est accusée de tous les maux lorsqu'elle cherche à résister à sa disparition. Imaginez, le Québec est raciste lorsqu'il souhaite affirmer la prédominance de la langue française et qu'il souhaite réglementer l'usage des langues. C'est le sens du débat actuel qui se déploie dans le sillage de l'adoption de la loi 96 sur la langue française pour en assurer bien timidement la pérennité sur le territoire du Québec. Nous sommes aussi une société de racistes quand nous refusons de reconnaître qu'il y a chez nous la présence de racisme systémique faisant du Québec une société qui ressemble aux États du sud de notre voisin américain. Nous sommes enfin des racistes par notre volonté de refuser que les libertés religieuses viennent replonger le Québec dans les affres de la domination de la Cité de Dieu sur celle des hommes et des femmes.

Haro sur le baudet ! Le Québec et ses traditions doivent disparaître au nom du progrès de l'humanité. Nous ne sommes d'aucune nation. Nous ne sommes qu'humanité avec des droits. Pourtant, le Canada se réclame du titre de nation, les États-Unis affirment qu'ils sont une nation. C'est au nom du péril en la nation que les Britanniques ont choisi de tourner le dos à l'Europe. Je ne vous parle même pas de la France ni de l'Allemagne. Se réclamer d'une tradition, d'une origine singulière sont considérées, par certains, comme un crime contre l'humanité. Nous sommes devenus des parias à l'image de Vladimir Poutine. Nous n'avons plus le droit d'affirmer nos origines. Nous sommes relégués à l'oubli. Là est la plus grave conséquence du rapatriement de la constitution canadienne et de l'inclusion de la Charte des droits et libertés en 1982.

L'avenir du Québec ?

Comment dans un tel contexte, imaginer un avenir pour la société québécoise ? Cette société distincte francophone unique en Amérique du Nord. On veut protéger la rainette au faux grillon, mais pas l'espèce humaine québécoise francophone. Il n'y a plus rien à comprendre. Nous en sommes les principaux responsables. Deux fois, les Québécois appelés aujourd'hui à disparaître ont dit non à la construction d'un véritable rapport de force avec le Canada pour faire reconnaître son existence. Le Canada par son rejet de l'accord du lac Meech en 1990 en a ajouté sur le tas. Les propos de l'ex-premier ministre Robert Bourassa au lendemain de l'échec de Meech semblent bien loin. Robert Bourassa avait affirmé alors « quoi qu'on dise, quoi qu'on fasse, le Québec est libre de ses choix et de son destin ». Ce grand premier ministre a eu tort. Le Québec n'est pas libre de son destin et ses choix sont largement influencés par le carcan du gouvernement des juges et de la société chartiste canadienne.

Alors direz-vous, faut-il faire l'indépendance ? Je ne suis pas convaincu que ce soit la solution. D'autant plus que l'étude d'opinion de l'Environics Institute démontre très bien que les plus jeunes se désintéressent de ces questions. Pire encore, l'arme faiblarde qui nous reste, la fameuse clause dérogatoire nonobstant, est considérée comme suspecte par plus de 80 % des moins de 34 ans. Ils trouvent que c'est une mauvaise idée de l'utiliser pour affirmer le caractère distinct du Québec.

Heureusement, il reste que malgré ses clivages générationnels, le dialogue entre citoyennes et citoyens du Canada demeure ouverts sur plusieurs enjeux dont la péréquation, les droits autochtones, l'abolition de la monarchie et d'autres sujets loin des préoccupations d'un Canada binational. Alors, cela me laisse à penser que contrairement à ce que la classe politique affirme depuis longtemps, le temps est venu pour avoir un vaste dialogue sur l'avenir du Canada et sa constitution en faisant table rase du passé. Croyez-le ou non, le fruit est enfin mûr...


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