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La chute de l’empire

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Daniel Nadeau Par Daniel Nadeau
Mercredi le 6 juillet 2022

Avouons-le, le titre de cette chronique ne brille pas par son originalité. On pourrait penser que c'est un nouveau film de la série de La guerre des étoiles ou encore un rappel d'un titre de film de Denys Arcand diffusé en 2018. Il n'en est rien. Je veux écrire au sujet de notre puissant voisin du Sud. Il y a deux jours, le 4 juillet, nos voisins célébraient le 246e anniversaire de la naissance de leur pays. À l'aube de leur 250e anniversaire, ce qui est jeune pour un pays, les Américains ont peu de raisons de festoyer, mais de nombreuses de s'inquiéter. En fait notre voisin du Sud, traverse présentement l'un des pires moments de son histoire. Ce pays est aux prises avec une crise morale et politique profonde. Nous sommes bien loin de l'idée de la « City on the Hill », brillant de tous ses feux et faisant rayonner la démocratie et la liberté dans le monde. Réflexion libre sur les turpitudes de notre voisin du Sud, les États-Unis d'Amérique.

Une crise morale

Parmi les singularités qui attirent en tout premier lieu notre attention, il y a cette décision récente de la Cour Suprême américaine (SCOTUS), annoncée étrangement à l'avance, qui d'un simple coup de crayon a infirmé le jugement Roe vs. Wade qui permettait aux femmes américaines d'avoir un certain accès à des services d'avortement. Jugement qui reflète à la fois la politisation de la justice, venant ainsi rompre l'équilibre fragile des pouvoirs, et la polarisation de la société américaine, laquelle se caractérise par la montée des extrémistes religieux. La dystopie imaginée par la romancière canadienne Margaret Atwood dans son roman The Handmaid's Tale publiée en 1985 n'a jamais semblé aussi actuelle depuis le jugement de la plus haute cour américaine ces dernières semaines. Cette œuvre de Margaret Atwood, dont la traduction française est La servante écarlate, a été aussi à l'origine d'une série télévisée. Tant le roman que la série ont remporté un immense succès en librairie et à la télévision. On a souvent comparé cette « dystopie atwoodienne » au classique de Georges Orwell, 1984. Ce qui est un très grand hommage au talent de cette romancière canadienne qui a publié plus de cinquante ouvrages sous forme de romans, de nouvelles, d'essais ou de traité de poésie. Margaret Atwood est l'une des figures de proue emblématiques de la littérature au Canada anglais.

Pour celles et ceux qui ne connaissent pas son roman La servante écarlate, je vous résume l'histoire dans ses grands traits. Ce roman se déroule en Amérique du Nord où le pays est dominé par une théocratie, fondée sur des castes sociales dans lesquelles les femmes sont soumises aux hommes. Dans cette œuvre, Margaret Atwood remet en cause la domination masculine, plus précisément le régime patriarcal totalitaire. Elle met en avant les nombreuses épreuves traversées par les femmes, leur volonté de ne pas renoncer à lutter et leur mécontentement contre le sexisme. Durant la lecture de ce livre, on constate que ce problème patriarcal déjà présent dans les années 1980 l'est toujours à l'heure actuelle. Elle publie ce livre durant la guerre froide, engendrant une prise de conscience de la société et une peur du retour au conservatisme. Le jugement récent de la Cour Suprême des États-Unis vient donner plus d'actualité à ce roman déjà fort connu. Au nom du droit des États et du droit à la vie, les juges renversent Roe vs. Wade alors que dans un même temps ils se prononcent contre la légalité d'une loi de l'État de New York qui imposait des limites au port d'une arme de poing dans l'espace public, en concluant qu'elle viole la Constitution américaine. Cette décision de La Cour Suprême consacre le droit des Américains de sortir armés de leur domicile faisant fi des drames de tuerie de masse d'Uvalde et de Buffalo des dernières semaines. Ce qui me fait dire ironiquement que pour la Cour Suprême américaine, il faut attendre que le fœtus naisse avant d'avoir droit de le tuer avec une arme. N'est-ce pas là, dites-moi, le reflet d'une profonde crise morale ?

Crise politique

Il faudrait être sourd et aveugle pour ne pas voir ni entendre l'ampleur de la crise politique vécue par les États-Unis d'Amérique. Le passage de Donald Trump à la présidence et son emprise encore présente sur le Parti républicain en témoignent éloquemment. Rien ne sert de continuer à médire à propos de Donald Trump et de son œuvre dévastatrice sur la politique américaine. La cause est entendue au Canada et ailleurs dans le monde. Ce qui est troublant c'est qu'elle ne l'est pas auprès d'une large proportion de la population américaine même après le drame de l'émeute au Capitol le 6 janvier 2021.

Ces jours-ci, la joute politique partisane entre républicains et démocrates se poursuit de plus belle avec les audiences de la commission d'enquête du Sénat sur les événements du 6 janvier. Par réseaux interposés, CNN contre FOX, les Américains ont droit à des versions opposées et contradictoires. Chaque camp a droit à ses propres faits qui diabolisent soit Trump et ses partisans (CNN) ou Biden et les démocrates (FOX). La vérité est devenue relative et chacun a droit à sa réalité alternative. Le vivre ensemble est dissolu dans les excès des uns et des autres. Ce n'est plus à un combat traditionnel entre la gauche et la droite comme jadis, mais plutôt une lutte sans merci entre les extrêmes, la droite religieuse intégriste et la gauche de la culture de l'annulation. Il n'y a plus d'adultes dans la pièce aux États-Unis. Cela est profondément inquiétant pour l'avenir de la démocratie non seulement aux États-Unis, mais ailleurs dans le monde occidental. On peut observer les mêmes phénomènes, bien que paramétrés dans leur culture politique propre, en France, en Grande-Bretagne, en Italie et même chez nous au Canada, le pays par excellence des licornes. Pour s'en convaincre, rappelons le convoi de la liberté et l'occupation du centre-ville d'Ottawa ou encore les positions et les propos du candidat Pierre Poilievre dans la course au leadership du Parti conservateur du Canada. Cela rend la candidature d'un Jean Charest très précieuse pour cette formation politique en ces temps troubles.

Cette crise politique majeure vécue chez notre voisin du Sud est porteuse de graves inquiétudes pour l'avenir de la démocratie. Christian Désilets jette un éclairage particulièrement instructif sur cette question en rappelant la chute de la Grèce de Périclès. (Cette réflexion est tirée du chapitre intitulé « Périclès et les oligarques : le débat méthodique à l'origine de la démocratie » dans Jean Charron, La communication publique. Pratiques et enjeux, Montréal, Les Presses de l'Université de Montréal, 2022, 538 p.)

Christian Désilets écrit : « La démocratie est d'autant plus fragile qu'on perd de vue ce qu'on lui doit et ce qu'il a fallu pour l'obtenir. Le "miracle grec", son génie et sa brièveté, reposait en partie sur des conditions sociales qui ont mis les Grecs à l'abri de la guerre, de la misère et de la peur. Quand leurs cités les plus puissantes se jalousèrent au point de se haïr, elles ont provoqué la ruine de leur civilisation et ne s'en sont jamais relevées. Les sociétés déclinantes ont tendance à idéaliser leur passé et à attribuer leur déchéance aux seules fautes morales. Conséquemment, elles placent l'espoir de leur renaissance dans un rigorisme moral toujours plus impitoyable, ce qui les conduit à détruire elles-mêmes le peu qui reste encore de leur civilisation. » (Christian Désilets, « Périclès... », dans Jean Charron, La communication publique..., p. 68). L'adéquation de cette réalité de la Grèce du grand siècle de Périclès avec celle du Make America Great Again des États-Unis d'Amérique est troublante. Le déclin des civilisations n'est plus un concept théorique jadis pensé par Hésiode, qui a inventé la philosophie de l'histoire et du même coup pavé la voie à l'idée de chute de civilisation menant, entre autres, à la thèse controversée du choc des civilisations du politologue américain Samuel Huntington. La réalité contemporaine de l'expérience américaine rend plus actuelle que jamais l'idée de la chute de l'empire. Et cela c'est réel, ce n'est pas un nouveau film de la série Star Wars. Les États-Unis d'Amérique présentent en grande première sur tous vos écrans : la chute de l'empire...


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