Avouons-le, le titre de cette chronique ne brille pas par
son originalité. On pourrait penser que c'est un nouveau film de la série de La
guerre des étoiles ou encore
un rappel d'un titre de film de Denys Arcand diffusé en 2018. Il n'en est rien.
Je veux écrire au sujet de notre puissant voisin du Sud. Il y a deux jours, le
4 juillet, nos voisins célébraient le 246e anniversaire de
la naissance de leur pays. À l'aube de leur 250e anniversaire,
ce qui est jeune pour un pays, les Américains ont peu de raisons de festoyer,
mais de nombreuses de s'inquiéter. En fait notre voisin du Sud, traverse
présentement l'un des pires moments de son histoire. Ce pays est aux prises
avec une crise morale et politique profonde. Nous sommes bien loin de l'idée de
la « City on the Hill », brillant de
tous ses feux et faisant rayonner la démocratie et la liberté dans le monde.
Réflexion libre sur les turpitudes de notre voisin du Sud, les États-Unis
d'Amérique.
Une crise morale
Parmi les singularités qui attirent en tout premier lieu
notre attention, il y a cette décision récente de la Cour Suprême américaine
(SCOTUS), annoncée étrangement à l'avance, qui d'un simple coup de crayon a infirmé
le jugement Roe vs. Wade qui
permettait aux femmes américaines d'avoir un certain accès à des services
d'avortement. Jugement qui reflète à la fois la politisation de la justice,
venant ainsi rompre l'équilibre fragile des pouvoirs, et la polarisation de la
société américaine, laquelle se caractérise par la montée des extrémistes
religieux. La dystopie imaginée par la romancière canadienne Margaret Atwood
dans son roman The Handmaid's Tale
publiée en 1985 n'a jamais semblé aussi actuelle depuis le jugement de la plus
haute cour américaine ces dernières semaines. Cette œuvre de Margaret Atwood,
dont la traduction française est La servante
écarlate, a été aussi à l'origine
d'une série télévisée. Tant le roman que la série ont remporté un immense succès en librairie
et à la télévision. On a souvent comparé cette « dystopie atwoodienne » au
classique de Georges Orwell, 1984. Ce qui est un très grand hommage au talent
de cette romancière canadienne qui a publié plus de cinquante ouvrages sous
forme de romans, de nouvelles, d'essais ou de traité de poésie. Margaret Atwood
est l'une des figures de proue emblématiques de la littérature au Canada
anglais.
Pour celles et ceux qui ne connaissent
pas son roman La servante écarlate, je vous résume l'histoire dans ses
grands traits. Ce roman se déroule
en Amérique du Nord où le pays est dominé par une théocratie, fondée sur des
castes sociales dans lesquelles les femmes sont soumises aux hommes. Dans cette
œuvre, Margaret Atwood remet en cause la domination masculine, plus précisément
le régime patriarcal totalitaire. Elle met en avant les nombreuses épreuves
traversées par les femmes, leur volonté de ne pas renoncer à lutter et leur
mécontentement contre le sexisme. Durant la lecture de ce livre, on constate
que ce problème patriarcal déjà présent dans les années 1980 l'est
toujours à l'heure actuelle. Elle publie ce livre durant la guerre froide,
engendrant une prise de conscience de la société et une peur du retour au
conservatisme. Le
jugement récent de la Cour Suprême des États-Unis vient donner plus d'actualité
à ce roman déjà fort connu. Au nom du droit des États et du droit à la vie, les
juges renversent Roe vs. Wade alors
que dans un même temps ils se prononcent contre la légalité d'une loi de l'État de New
York qui imposait des limites au port d'une arme de poing dans l'espace public,
en concluant qu'elle viole la Constitution américaine. Cette décision de La Cour Suprême consacre
le droit des Américains de sortir armés de leur domicile faisant fi des drames
de tuerie de masse d'Uvalde et de Buffalo des dernières semaines. Ce qui me
fait dire ironiquement que pour la Cour Suprême américaine, il faut attendre
que le fœtus naisse avant d'avoir droit de le tuer avec une arme. N'est-ce pas
là, dites-moi, le reflet d'une profonde crise morale ?
Crise politique
Il faudrait être sourd et aveugle pour
ne pas voir ni entendre l'ampleur de la crise politique vécue par les
États-Unis d'Amérique. Le passage de Donald Trump à la présidence et son
emprise encore présente sur le Parti républicain en témoignent éloquemment.
Rien ne sert de continuer à médire à propos de Donald Trump et de son œuvre
dévastatrice sur la politique américaine. La cause est entendue au Canada et
ailleurs dans le monde. Ce qui est troublant c'est qu'elle ne l'est pas auprès
d'une large proportion de la population américaine même après le drame de
l'émeute au Capitol le 6 janvier 2021.
Ces jours-ci, la joute politique
partisane entre républicains et démocrates se poursuit de plus belle avec les
audiences de la commission d'enquête du Sénat sur les événements du 6 janvier.
Par réseaux interposés, CNN contre FOX, les Américains ont droit à des versions
opposées et contradictoires. Chaque camp a droit à ses propres faits qui
diabolisent soit Trump et ses partisans (CNN) ou Biden et les démocrates (FOX).
La vérité est devenue relative et chacun a droit à sa réalité alternative. Le
vivre ensemble est dissolu dans les excès des uns et des autres. Ce n'est plus
à un combat traditionnel entre la gauche et la droite comme jadis, mais plutôt
une lutte sans merci entre les extrêmes, la droite religieuse intégriste et la
gauche de la culture de l'annulation. Il n'y a plus d'adultes dans la pièce aux
États-Unis. Cela est profondément inquiétant pour l'avenir de la démocratie non
seulement aux États-Unis, mais ailleurs dans le monde occidental. On peut
observer les mêmes phénomènes, bien que paramétrés dans leur culture politique
propre, en France, en Grande-Bretagne, en Italie et même chez nous au Canada,
le pays par excellence des licornes. Pour s'en convaincre, rappelons le convoi
de la liberté et l'occupation du centre-ville d'Ottawa ou encore les positions
et les propos du candidat Pierre Poilievre dans la course au leadership du
Parti conservateur du Canada. Cela rend la candidature d'un Jean Charest très
précieuse pour cette formation politique en ces temps troubles.
Cette crise politique majeure vécue
chez notre voisin du Sud est porteuse de graves inquiétudes pour l'avenir de la
démocratie. Christian Désilets jette un éclairage particulièrement instructif
sur cette question en rappelant la chute de la Grèce de Périclès. (Cette
réflexion est tirée du chapitre intitulé « Périclès et les oligarques : le débat méthodique à l'origine de la
démocratie » dans Jean Charron, La communication publique. Pratiques et
enjeux, Montréal, Les Presses de l'Université de Montréal, 2022,
538 p.)
Christian Désilets écrit : « La
démocratie est d'autant plus fragile qu'on perd de vue ce qu'on lui doit et ce
qu'il a fallu pour l'obtenir. Le "miracle grec", son génie et sa brièveté,
reposait en partie sur des conditions sociales qui ont mis les Grecs à l'abri
de la guerre, de la misère et de la peur. Quand leurs cités les plus puissantes
se jalousèrent au point de se haïr, elles ont provoqué la ruine de leur
civilisation et ne s'en sont jamais relevées. Les sociétés déclinantes ont
tendance à idéaliser leur passé et à attribuer leur déchéance aux seules fautes
morales. Conséquemment, elles placent l'espoir de leur renaissance dans un
rigorisme moral toujours plus impitoyable, ce qui les conduit à détruire
elles-mêmes le peu qui reste encore de leur civilisation. » (Christian
Désilets, « Périclès... », dans
Jean Charron, La communication publique...,
p. 68). L'adéquation de cette réalité de la Grèce du grand siècle de
Périclès avec celle du Make America Great
Again des États-Unis d'Amérique est troublante. Le déclin des civilisations
n'est plus un concept théorique jadis pensé par Hésiode, qui a inventé la
philosophie de l'histoire et du même coup pavé la voie à l'idée de chute de
civilisation menant, entre autres, à la thèse controversée du choc des
civilisations du politologue américain Samuel Huntington. La réalité
contemporaine de l'expérience américaine rend plus actuelle que jamais l'idée
de la chute de l'empire. Et cela c'est réel, ce n'est pas un nouveau film de la
série Star Wars. Les États-Unis
d'Amérique présentent en grande première sur tous vos écrans : la chute de
l'empire...