La semaine dernière, le docteur Horacio
Arruda, directeur national de la santé publique et sous-ministre adjoint à la santé,
a écrit une lettre au premier ministre du Québec, François Legault dans
laquelle on retrouve les mots suivants : « Les propos récents tenus sur la
crédibilité de nos avis et sur notre rigueur scientifique causent sans doute
une certaine érosion de l'adhésion de la population. Dans un tel contexte,
j'estime approprié de vous offrir la possibilité de me remplacer avant
l'échéance du terme de mon mandat, du moins à titre de DNSP. »
Le bon docteur Arruda, fidèle à lui-même, de
son propre chef ou assisté par des conseillers du premier ministre, a accepté
de jouer le rôle de fusible dans la gestion de crise du gouvernement. Celui qui
a tout donné au Québec pour l'aider à traverser la pire crise de santé de son
histoire a été sacrifié sur l'autel des impératifs politiques du gouvernement.
Le successeur du Dr Arruda, le Dr Boileau, a
reconduit les mêmes avis que son prédécesseur et le gouvernement Legault a
profité du moment pour corriger l'erreur du couvre-feu à 22 h. Réflexions
libres sur la gestion politique de la pandémie par le gouvernement Legault.
Le bon Dr Arruda
D'entrée de jeu, il faut rendre hommage au
travail du docteur Horacio Arruda. Ce dernier a accompagné le Québec durant 22 longs
mois à traverser la pire crise sanitaire de toute son histoire. Il a largement
contribué à l'adhésion de la population à de nouvelles règles de vivre-ensemble
comme l'adoption du port du masque, les mesures barrières et la vaccination. Sa
personnalité particulière, ses talents d'acteurs et sa bonhommie ont largement
aidé le gouvernement à connaître une performance plutôt enviable dans sa lutte
contre la pandémie. Le Dr Arruda n'a pas connu un parcours sans
reproches. Nous n'avons qu'à nous rappeler l'épisode contre le port du masque
ou encore les tergiversations concernant la ventilation dans les écoles et
juste avant son départ la controverse entourant le port du masque N95 pour
les enseignantes et enseignants. Il faut se rappeler que le Dr Arruda
a maintes fois répété que l'on construisait un avion en vol et que les propos
qu'il tenait un jour pouvaient être invalidés le jour suivant. C'est le propre
des avis scientifiques que d'évoluer dans le tâtonnement et l'inexploré. La
science c'est une méthode qui remet constamment en question les certitudes
acquises aujourd'hui pour un ailleurs plus probant demain. En ce sens, le Dr
Arruda aura été un scientifique irréprochable. Il faut cependant prendre en
compte qu'il évoluait dans un contexte politique. Quand la politique s'en mêle,
la science s'emmêle...
Santé
publique et politique
Dans un texte publié dans le quotidien La
Presse + l'ancien ministre de la Santé sous le gouvernement Marois et médecin
chercheur émérite pour les aînés, le docteur Réjean
Hébert a écrit des mots éclairants pour expliquer le rôle de la
Santé publique. Prenons la peine de le relire :
« La santé publique est donc une discipline
complexe par ce mélange de sciences médicales et sociales. La santé publique,
bien que s'appuyant sur la science, doit aussi prendre en compte des
considérations politiques qui parfois deviennent prépondérantes. Et je ne parle
pas ici de politique partisane, mais du contexte social et des relations de
pouvoir dans la société. Cela explique parfois les divergences de points de vue
avec les experts spécialisés en maladies infectieuses, en environnement ou en
épidémiologie qui ne considèrent souvent qu'un aspect plus restreint du
problème.
Le Québec a été à l'avant-garde du développement de
la santé publique au Canada et à travers le monde. Sous l'impulsion du Dr Jean
Rochon, le Québec s'est doté d'un Institut national de santé publique qui
concentre l'expertise en ce domaine, et ce, bien avant la création de l'Agence
de la santé publique du Canada. Le Québec a aussi une organisation exécutive de
santé publique sous la forme d'une direction nationale et de directions
régionales. Le directeur national de santé publique est un sous-ministre au
sein du gouvernement, ce qui lui confère un rôle important dans le processus
décisionnel. La Loi sur la santé publique lui attribue des
pouvoirs très importants qui vont même au-delà des pouvoirs habituels d'un
ministre ou du gouvernement : traitement ou vaccination obligatoire,
évacuation ou confinement d'une population à risque, arrêt d'utilisation d'un réseau
d'aqueduc, etc.
Dans la gestion de la pandémie au Québec, le Dr Horacio
Arruda a joué un rôle prépondérant en étant au cœur des décisions du
gouvernement. Son rôle ne se limitait pas à donner un avis, mais il participait
au processus décisionnel en ayant toutes les données quant à la faisabilité
d'une mesure et à son éventuelle acceptabilité sociale.
Cela est un avantage important qui confère à la
santé publique un rôle crucial dans la gestion des crises sanitaires. Ses
homologues des autres provinces et des autres pays aimeraient sans doute avoir
un tel pouvoir, mais ils sont souvent relégués au rôle d'experts sans prise sur
les décisions. »
Ce qu'il faut retenir de tout cela c'est que le docteur
Arruda a rempli son rôle, mais que le modèle québécois en santé publique rend
inévitable la présence d'une politisation des prises de décision. Ce qui est
dommageable c'est lorsque cette politisation devient partisane comme la gestion
de la pandémie par le gouvernement Legault. Je l'ai écrit la semaine dernière
dans une autre chronique l'identification des non-vaccinés comme cible
s'inscrit dans la volonté populiste de faire plaisir aux gens pas dans une
perspective de la protection réelle du public.
Les
vrais sacrifiés
Aussi, il faut comprendre que les vrais sacrifiés
de cette crise ce ne sont pas les acteurs, mais bel et bien les victimes de
notre système de santé : les milliers de morts dans les CHSLD, le
personnel de notre système de santé, les gens qui voient leur chirurgie
retardée ou reportée au mépris de leur qualité de vie. Je reconnais que le
gouvernement actuel ne porte pas à lui seul la responsabilité de cette
catastrophe annoncée depuis des décennies. L'incurie politique québécoise,
l'appât du gain des médecins et des appareils syndicaux, l'incompétence crasse
de la fonction publique sont tous des acteurs responsables de l'état actuel des
choses. Le gouvernement Legault n'aura été que celui qui a permis de révéler au
grand jour dans la foulée de cette épidémie sanitaire l'effondrement de notre
système de santé.
Pour celles et ceux qui n'ont pas saisi où je veux en venir avec ce
propos, c'est que je crois que c'est nous toutes les Québécoises et tous les Québécois
qui sommes les brebis sacrifiées...