Il ne se passe plus désormais une journée sans que les
contenus sur les médias sociaux ne fassent la une des médias traditionnels.
L'incursion des médias sociaux sous divers véhicules tels Facebook, Twitter et
les autres étaient remplis de promesse. Ils étaient la promesse d'une plus
grande participation des publics aux débats de la Cité. Cette expérience
inédite de démocratie en ligne a cependant fait place avec le recul des années
à de l'incrédulité, de la méfiance et de l'inquiétude. En dépit de la riche
potentialité que représentent les médias sociaux, on doit se rendre à
l'évidence qu'ils ont failli à leur promesse.
Ils sont la source de la fragmentation des publics, de leur
fermeture dans leurs bulles respectives et à de nombreux excès. La
disponibilité de réseaux internet, la multiplication des réseaux sociaux ont
contribué à faire de ce torrent de paroles et d'écrits un obstacle à la
formation d'une opinion publique éclairée. Cela nuit ainsi à la construction
d'un meilleur vivre-ensemble. L'une des expressions les plus fâcheuses des
excès de ces outils se manifeste notamment par la mise en place d'un tribunal populaire
qui condamne à qui mieux mieux sans en avoir ni les compétences ni le sens
d'équilibre que nécessite le bon jugement et le sens de la justice la plus
élémentaire.
Des exemples de condamnation
populaire d'artistes
Il ne faut pas chercher bien loin pour trouver des exemples afin
d'illustrer notre propos. Ces derniers jours, nous avons appris que le retour
de l'humoriste Julien Lacroix après deux années d'absence se préparait. Il n'en
fallait pas plus pour que les censeurs ordinaires y trouvent à redire. Deux ans
ce n'est pas suffisant. Julien Lacroix doit payer et il n'a pas encore
suffisamment payé pour ses crimes. Quels sont ses crimes ? Des allégations
d'inconduite et d'agressions sexuelles, mais jamais portées devant les
tribunaux. Julien Lacroix n'a jamais eu l'occasion de se défendre contre des
preuves de ses accusateurs. Cela signifie-t-il que Julien Lacroix ne méritait
pas d'être interpellé ? Non, mais après une thérapie de deux ans, un retour à
la sobriété, ce jeune homme a plus besoin d'encouragements que de dénigrements.
Chose certaine, il n'a pas à se soumettre au jugement du tribunal des égouts.
Qui sont les gens qui composent de tribunal ? Se rappelle-t-il que nous vivons
tous dans une cage de verre et qu'il est hasardeux de jeter une pierre au
risque de briser sa propre cage ?
Il y a aussi le cas de l'actrice et animatrice de talents Maripier
Morin qui elle aussi sera à nouveau présente dans l'espace public. En prévision
du lancement du film de Mariloup Wolfe, Arlette, film qui traitera de politique. Maripier Morin y tiendra la vedette, se glissant dans la peau d'une
jeune ministre de la Culture devant prendre sa place dans un milieu hostile.
Rôle sur mesure pour Maripier Morin s'il en est un. Pour préparer la sortie de
ce film et de la promotion qu'elle devra faire, Maripier Morin se lance dans
une opération de relations publiques pour refaire son image en mettant de
l'avant sa sobriété, sa repentance, son rôle de maman et surtout je l'espère
son immense talent de comédienne. Le crime de Maripier Morin est d'avoir eu
elle aussi, comme Julien Lacroix, des comportements douteux en matière sexuelle
de même que des problèmes de consommation d'alcool et de cocaïne. Elle aussi
est disparue de nos écrans depuis un bon bout de temps. Son retour suscite et
suscitera maints commentaires du tribunal de l'opinion publique populaire même
si, comme Julien Lacroix, elle n'a jamais été condamnée par un tribunal pour
quoi que ce soit.
Des dérapages avec la vérité
D'autres exemples nous viennent en tête lorsque l'on
évoque l'idée de fausses nouvelles ou tout simplement de mensonges éhontés. Le
plus spectaculaire d'entre tous est bien sûr le vol de l'élection
présidentielle américaine par Joe Biden et les démocrates. Le grand mensonge de
Trump qui a presque mené à un coup d'État dans l'une des démocraties phares du
monde libre. Cela est quasi incroyable. Ne pensons pas que nous sommes
immunisés contre ce virus de la désinformation chez nous au Canada. Les
canulars de toute sorte sur les vaccins, la pandémie de la COVID-19 en sont des
exemples navrants. Cela s'est illustré dans l'apothéose du convoi de la liberté
et de l'occupation du centre-ville d'Ottawa pendant de longues semaines.
Triste à reconnaître, mais les fake news ne
sont pas apparus qu'avec les médias sociaux même si ceux-ci en facilitent
grandement la diffusion. Dans un livre publié en 2018 aux éditions des Presses
de l'Université Laval, sous le titre évocateur : Les fausses nouvelles, nouveaux visages, nouveaux défis, comment
déterminer la valeur de l'information dans les sociétés démocratiques.
Les auteurs Florian Sauvageau, Simon Thibault et Pierre Trudel font le lien
entre le contenu des fausses nouvelles que l'on trouve sur les médias sociaux
et les informations familières aux spécialistes de la propagande lors de la Première
Guerre mondiale.
Dans la revue Pouvoirs
(no 164, no 1, 2018 p. 99 à 119).
Jayson Harsin publie un article intitulé « Un guide critique des fake news : de la comédie à la tragédie »
Permettez-moi de vous en citer un extrait fort significatif aux propos de cette
chronique : « Les fake
news relèvent d'un certain type de désinformation, similaire à la
propagande traditionnelle associée à l'État et au gouvernement. Elles
s'inscrivent dans un phénomène historique et culturel communément désigné par
le terme de "post-vérité" et présentant toutes sortes d'options agressives dans
leur répertoire (certains préféreront parler de leurs "armes" dans un "arsenal"
constitué en vue de mener une "guerre de l'information") incluant différentes
bombes communicationnelles... »
Des bombes lancées à des fins politiques afin de
modifier les rapports de pouvoir entre les groupes sociaux. Il n'en demeure pas
moins que nous sommes loin, très loin, d'une conversation démocratique. Ce qui
fait en sorte que la présence des médias sociaux dans nos vies contribue à
généraliser la désinformation et à rendre brutaux les échanges et les
discussions en les déshumanisant et en cherchant un bouc émissaire pour évacuer
la colère. C'est en quelque sorte le retour du refoulé à vitesse grand V...
Le
juge Poliquin...
À la lumière de ce que sont devenus les médias
sociaux et le jugement lapidaire d'une population chauffée à bloc par des
groupes d'intérêts, vous comprendrez que moi je préfère m'en remettre au
jugement de la Cour d'appel du Québec plutôt qu'à ceux entendus dans la rue ou
lus sur les médias sociaux. Il est vrai que les tribunaux ont un travail à
faire pour mieux comprendre les victimes d'agressions sexuelles. La création de
tribunaux spécialisés est en ce sens un pas dans la bonne direction. Il reste
néanmoins que la justice parce qu'elle est humaine restera toujours imparfaite
aux yeux des uns ou des autres. Cela risque d'être encore plus difficile en
cette époque de la babélisation de l'espace public...