Je ne sais pas comment vous vivez cela vous. Moi, je trouve
l'époque dans laquelle nous vivons fascinante. Imaginez, cette humanité
québécoise et canadienne aux prises avec une forte propension à
l'autodestruction en se croisant les bras devant les changements climatiques qui
s'évertue à débattre de la question du sexe des anges sous forme de
reconnaissance symbolique des droits autochtones ou encore sous celle de l'éveil
à toutes les formes d'injustices, le mouvement woke. Cette dernière
semaine a été marquée par ces phénomènes. Réflexions libres sur des thèmes
d'actualité québécois récents.
Les Canadiens et les territoires non cédés
de Montréal
Les Canadiens de Montréal peinent sur la surface glacée.
Après cinq matchs, l'équipe n'a toujours pas connu la victoire et n'a marqué
que quatre misérables buts. L'absence de Carey Price, du défenseur Joel Edmundson
et la panne des Toffoli, Caufield et Suzuki en sont les principaux
responsables. Outre les difficultés sur la glace, l'équipe en arrache aussi à
son deuxième étage. Le repêchage de Logan Mailloux, l'incapacité de
l'organisation à retenir Philippe Danault et Corey Perry sont autant de sujets
qui ont retenu l'attention. Pire encore, l'avenir du directeur général et
enfant chéri mal-aimé des médias, Marc Bergevin, est incertain. Le propriétaire
de l'équipe Geoff Molson se fait rare et il refuse de confirmer ou d'infirmer
la nouvelle concernant l'avenir de Bergevin à Montréal. Vous en conviendrez,
cela fait beaucoup de boulot pour le vice-président aux relations publiques des
Canadiens Paul Wilson. Pourquoi alors cette maladresse commise samedi dernier
en annonçant que dorénavant le Canadien déclarera avant chaque match que le
centre Bell se trouve sur un territoire non cédé des Mohawks ? Les
commentateurs s'entendent pour dire que cela est faux puisque les historiens
s'entendent pour dire que jamais Montréal n'a été un territoire occupé par la communauté
mohawk. Or, invoquer ainsi le tribunal des juges historiens pour débattre de
sujets aussi délicats n'est pas la trouvaille du siècle. Sous la plume des
historiens, on retrouve rarement des réponses noires ou blanches à nos
questionnements.
Montréal un territoire non cédé ?
Je n'ai pas fait une revue de toute la
littérature sur la question. Je ne fais pas donc œuvre d'historien ici. Néanmoins,
la lecture d'un livre récent publié chez Boréal par Roland Viau sur le Montréal
du 16e siècle intitulé. : Gens
du fleuve, Gens de l'île. Hochelaga en Laurentie iroquoienne au XVIe siècle semble donner lieu à des
interprétations qui sont loin d'une réponse binaire oui ou non.
Lisons l'ethnohistorien Roland Viau en page 76 et 77. « En
ces temps lointains, les Amérindiens accordaient-ils une signification
symbolique à la notion d'île ? Les habitants de Montréal voyaient-ils leur île
comme un territoire mythique et comme une façon de s'identifier eux-mêmes en se
démarquant des autres ? Ont-ils investi leur milieu de vie d'une forte charge
symbolique en l'associant étroitement à la tortue (Graptemys geographica), qui maîtrisait à la fois l'eau et la terre ?
La forme et le tracé de sa carapace ne rappellent-ils pas une île et la
topographie du lieu ? Le dos de la tortue n'est-il pas devenu le plancher du
monde sur lequel marchait l'humanité ? ... c'est que de nombreuses cultures
autochtones étaient intimement convaincues que l'île et la montagne reflétaient
une image du monde des commencements ou qu'elles reproduisaient un visage de
leur origine commune. »
On voit bien que nous ne sommes pas dans le registre du
droit libéral et de la notion des traités. Dans son essai sur la question,
Roland Viau fait ressortir la propension naturelle des Amérindiens à se
fabriquer un patrimoine historique à travers un passé et une mémoire collective
façonnée par le territoire et l'univers cosmologique. Cela devrait suffire à
nous convaincre que l'on ne retrouvera pas sous la plume de nos historiens des
réponses simples et limpides sur l'occupation du territoire par la nation mohawk.
Quoi qu'il en soit, il semble exister des preuves que l'on n'a pas retrouvé
d'artefacts archéologiques qui prouvent la présence de membres de la nation mohawk
sur le territoire d'Hochelaga avant l'arrivée des conquérants européens. Est-ce
dire qu'il n'y a pas de liens de mémoire de nature cosmologique entre les
Mohawks et le territoire réclamée comme non cédée ? Nul ne saurait l'affirmer
avec autorité. L'histoire, comme les autres disciplines des sciences humaines
et sociales, n'offre pas des vérités, mais pose des hypothèses et des
interprétations en fonction des sources qui sont consultées. Rien de plus, rien
de moins. C'est pourquoi il m'apparait téméraire de faire appel à un tribunal
d'historiens pour trancher ce type de question. Faire autrement serait de
plonger dans une forme de dérive.
Les wokes
Autre dérive qui nous guette, c'est de faire
l'instrumentalisation d'une nouvelle catégorie de gens à combattre. Les wokes
sont aujourd'hui une cible de choix pour les chroniqueurs du Journal de
Montréal comme Richard Martineau, Joseph Facal et Mathieu Bock-Côté pour ne
nommer que ceux-là. Il est vrai que des incidents liés au vandalisme sur des
monuments publics, l'autodafé de bandes dessinées ou encore la restriction de
la liberté d'expression d'un professeur d'université comme Veruschka Lieutenant-Duval qui a prononcé
un mot en N pour expliquer dans une mise en contexte la récupération par les
victimes de métaphores négatives à leur endroit porte à réflexion. D'autres
événements à Radio-Canada et à L'Université Concordia avec le livre de Pierre
Vallières Nègres blancs d'Amérique (c'est le titre d'un livre, un fait et non
pas une utilisation malveillante d'un mot infamant envers les populations
racisées) sont ici des faits
troublants.
Néanmoins pas à ce point troublant pour lancer
une croisade contre les wokes comme semble vouloir le faire le
gouvernement de la CAQ. Cela a commencé par le premier ministre François
Legault qui a accolé à Gabriel Nadeau-Dubois l'épithète woke pour le
définir. La semaine dernière, le ministre de l'Éducation, Jean-François Roberge
a co-signé avec son homologue français une lettre
brulot contre le mouvement woke. Ils écrivent notamment :
« Nous assistons depuis trop longtemps aux
dérives liées à la culture de l'annulation ("cancel culture"), une idéologie et
des méthodes directement importées de certains campus universitaires américains
et qui sont à mille lieues des valeurs de respect et de tolérance sur
lesquelles se fondent nos démocraties. Le bannissement de personnalités, de
spectacles et de conférences, le harcèlement sur les médias sociaux, la
censure, l'assujettissement de la science à l'idéologie, l'effacement de
l'Histoire jusqu'à l'autodafé de livres constitue autant d'assauts portés
contre la liberté d'expression et le sens civique, qui nous ramènent aux temps
les plus obscurantistes de nos sociétés occidentales. »
La
culture de l'élection contre la culture de l'annulation
Un peu fort en
café. Il est vrai que de tels phénomènes existent ici comme ailleurs au Canada,
mais de là à en faire le combat le plus pressant de la nation, il y a une
marge. Il faut plutôt voir cela comme une préparation du terrain électoral pour
la CAQ qui veut faire de la nation le héros de la prochaine élection générale
de 2022. Il ne faut pas être dupe et participer à cette culture de l'élection
pour combattre la culture de l'annulation. Le mouvement woke très
présent dans certaines de nos universités n'est pas un ennemi à battre, mais
plutôt une génération à conquérir pour les nationalistes québécois. Agir
autrement ce sera de se condamner à de joyeuses dérives...