L'historien
Paul-André Linteau a consacré sa thèse de doctorat au phénomène du
développement de l'urbanisation au 19e et 20e siècle
au Québec. Il avait alors choisi d'étudier ce phénomène à Montréal. (Paul-André
Linteau, Maisonneuve ou comment les
promoteurs fabriquent une ville, Montréal, éditions du Boréal, 1981, 280 p.)
Plus spécialement, il avait opté de considérer le cas de la ville de
Maisonneuve (actuellement le quartier Hochelaga-Maisonneuve) afin d'examiner
comment les décisions prises par les institutions immobilières, les entreprises
de transport, les chefs d'industries, les architectes influaient sur le cours
de la vie de la société de l'époque.
Si
j'écris là-dessus aujourd'hui c'est qu'en ce moment la question du
développement urbain fait l'objet de nombreux débats au Québec et à Sherbrooke
tout particulièrement. Je ne suis pas convaincu que les discussions sur ces
sujets prennent en compte tous les tenants et les aboutissants du développement
d'une ville à l'heure de la crise climatique. Réflexions libres pour contribuer
au dialogue collectif sur la question du développement urbain.
Un mot sur l'auteur : Paul-André Linteau
L'ouvrage
de Paul-André Linteau a marqué l'historiographie québécoise. Il s'intéresse alors
au double phénomène de l'urbanisation et de l'industrialisation à la lumière
d'une question importante dans les années 1980 soit l'existence ou non
d'une bourgeoisie francophone, complice du développement de l'économie
capitaliste au Québec et au Canada au 19e et 20e siècle.
Ces questions sont à ce moment-là déterminantes pour alimenter nos débats sur
l'avenir du Québec au sein du Canada.
Il faut
savoir que Paul-André Linteau est l'un des pères de l'école dite du
révisionnisme dans l'historiographie québécoise. Cette école veut présenter le
développement du Québec comme une société normale en rattrapage et dont le
destin et l'achèvement sont ceux de faire du Québec un pays.
Le cas de la
ville de Maisonneuve
La ville de Maisonneuve était une municipalité sur
l'île de Montréal créée le 27 décembre 1883. Des promoteurs urbains,
entrepreneurs en aménagement de l'espace, ont joué un rôle particulier afin d'accroître
l'efficacité des activités commerciales, financières et administratives. Le capital
foncier, capital spécialisé dont le rôle premier est d'organiser l'espace afin
de diminuer les faux frais de la production capitaliste, est principalement
représenté par le promoteur. Celui-ci a un rôle clé dans la croissance urbaine.
Plusieurs grands propriétaires ont été des
promoteurs actifs pour la ville de Maisonneuve notamment Joseph Barsalou,
Alphonse Desjardins ou encore Charles-Théodore Viau. Ces hommes d'affaires ont
orienté et stimulé le développement de la ville. De plus, celle-ci a été dirigée
par une bourgeoisie locale formée de promoteurs, d'industriels et de
commerçants qui ont véritablement orienté son développement et qui ont voulu en
faire le faubourg industriel de Montréal. Notons que la réussite d'un tel
développement ne dépend pas seulement du dynamisme des promoteurs, mais aussi
des conditions économiques générales. Maisonneuve est devenue le cinquième
centre industriel du Canada.
À la suite de l'entrée en guerre, la ville subit une
grave crise financière qui a des effets néfastes. Maisonneuve n'est plus en
mesure d'assumer et l'annexion s'impose. Elle fut annexée à la Ville de
Montréal en 1918.
L'histoire de Maisonneuve a permis de comprendre
différents aspects propres à la société québécoise : le processus du
développement urbain, l'industrialisation du Québec ainsi que le rôle et la
place du capital foncier dans l'activité économique.
En
d'autres mots, l'essai de Paul-André Linteau cherche à approfondir la réflexion
sur les conséquences et les effets des décisions prises par les institutions
municipales, les entreprises de transport et les chefs d'industrie sur
l'urbanisation et ses conséquences dans le développement du capital et de son
développement spatial. Bref, il nous révèle dans son essai, comme en indique le
sous-titre, comment les promoteurs fabriquent une ville. (Paul-André Linteau, Maisonneuve ou comment les promoteurs
fabriquent une ville, 1883-1918, Montréal, éditions du Boréal, 1981, 280 p.)
Il a pu conclure qu'il y a une alliance entre francophones et anglophones dans
le développement économique du capital à cette époque. Un phénomène présent
aussi à Sherbrooke à la même époque, mais avec des particularités comme l'a
brillamment démontré l'historien Jean-Pierre Kesteman dans sa thèse de doctorat
qu'il a consacré au développement industriel de Sherbrooke au 19e siècle
et à une bourgeoisie francophone qui s'appuyait sur sa complicité avec le grand
capital britannique et puis américain. (Jean-Pierre Kesteman, Une bourgeoisie et son espace :
industrialisation et développement du capitalisme dans le district de Saint-François
Québec, 1823-1879, UQAM, 1985)
Le capital et son espace de Lipietz
Ces
thèses de doctorat s'abreuvent à un auteur qui a consacré ses efforts à faire
la démonstration des impacts sociaux du développement urbain en lien avec le développement du
capital : Alain Lipietz.
Dans un
ouvrage très théorique, l'économiste Alain Lipietz fait la preuve que le
développement spatial d'une communauté, sa géographie, son développement urbain
s'inscrit dans une logique de développement du capital. Ce déploiement spatial
se manifeste dans des structures économiques et sociales qui sont le reflet
articulé des rapports sociaux qui polarisent l'espace social et politique.
(Alian Lipietz, Le Capital et son espace,
Paris, Maspero, 1977, 165 p.)
En
termes simples, Lipietz explique que le développement urbain est lié au
développement de l'économie capitaliste et que cela se réalise dans le cadre de
rapports sociaux et de rapports de force politique. Je crois rien n'apprendre à
personne. Tout de même, se rappeler ces études spécialisées d'historiens et
d'économistes permet de jeter un éclairage particulier sur les débats actuels
au Québec et à Sherbrooke concernant le développement immobilier et la
protection de l'environnement dans le cadre du réchauffement du climat. Cela
permet de nous donner des clés de compréhension pour mieux comprendre les
intentions politiques du conseil municipal de madame Evelyne Beaudin.
Le mandat d'Évelyne Beaudin
Je
crois que la mairesse de Sherbrooke, madame Évelyne Beaudin, cerne bien les
enjeux liés au développement urbain de Sherbrooke. C'est peut-être que certains
d'entre nous ne comprennent pas bien ce qui se passe sous nos yeux.
Dans
sa volonté de répondre à la crise du logement, madame Beaudin privilégie le
développement de projets coopératifs et souhaite plus de logements sociaux afin
de satisfaire aux besoins des moins bien nantis dans sa ville. Ce qui
franchement n'est pas une si mauvaise idée dans une ville qui compte parmi
celles où l'on retrouve les plus bas revenus. Pas étonnant par exemple qu'elle
s'oppose à des projets de logements de luxe alors qu'elle voit les besoins
ailleurs.
Evelyne
Beaudin ne s'est jamais caché de sa volonté de lutter contre les changements
climatiques. Dans sa volonté arrêtée de contrer les gaz à effet de serre,
celle-ci fait la promotion du vélo, des pistes cyclables et n'est pas très
sympathique au développement de stationnements qui est l'un des reliquats très
présent dans notre ville de la civilisation du tout à l'auto. Vous n'avez qu'à
relire ses déclarations depuis son entrée en politique pour vous en convaincre.
C'est
dans le même esprit que madame Beaudin s'oppose au développement immobilier
tous azimuts et qu'elle souhaite préserver les boisés et les espaces verts dans
la ville de Sherbrooke. D'ailleurs, cette intention était clairement exprimée
dans le programme de son parti avec son projet-phare du développement du boisé
Ascot-Lennox.
Le
problème avec l'approche et les politiques défendues par le nouveau conseil de
ville que dirige madame Beaudin, si l'on peut qualifier cela de problème, c'est
que de nombreuses personnes n'ont pas saisis en apposant leur vote à côté de
son nom que madame Beaudin désirait une rupture avec le monde tel que nous le
connaissons. Cela n'est ni bien ni mauvais, mais c'est une orientation nouvelle.
C'est dans ce contexte qu'il faut comprendre et analyser les positions et les
politiques défendues par madame Beaudin. Tout cela au fond ce ne sont que des
jeux d'équilibre...