Je vous ai peut-être raconté cette anecdote. Mais cette fois-ci, elle m'amène ailleurs.
C'était au secondaire. Un prof génial. Une espèce d'autodidacte qui maniait l'histoire, l'architecture et l'ingénierie à sa façon. Un bonhomme curieux qui n'avait rien d'un curieux bonhomme. Robert Milot. Et ces temps-ci, il me revient un souvenir tenace, presque troublant.
C'était dans un cours d'histoire. Il nous racontait comment on fait pour avoir le peuple sous sa gouverne. Le principe est simple : couper l'information et empêcher la comparaison. Ce qu'on ne sait pas ne nous influence pas. Et on ne peut comparer son statut avec autrui si on n'a pas accès à autrui. Simple. Donc, les dictateurs fermaient les écoles (ou, au pire, contrôlaient le message...) et fermaient les frontières.
Aussi simple que ça.
À mon œil, l'année 2011 nous a fait connaître le meilleur et le pire. Le meilleur d'Internet et des réseaux sociaux dans le soulèvement populaire qu'on a appelé le printemps Arabe. L'événement démontrait qu'il est de plus en plus difficile, pour un dictateur, d'isoler son monde. Et le pire, quand on a appris que plus de 40 % de nos concitoyens ne maîtrisent pas assez bien leur langue pour l'écrire ou la lire.
Et le lien entre les deux est tellement évident que j'ai ressenti comme une chute de pression. Rien de moins...
Savoir lire, c'est la liberté. Individuelle, d'abord, quand elle permet de s'installer dans un coin et de se transporter, littéralement, dans un autre monde, celui qu'un auteur nous propose. Collective, aussi, cette liberté, puisqu'elle donne la possibilité de s'informer, de comparer les données et les idées pour, ultimement, s'en faire une, nous aussi.
Savoir écrire, c'est s'assurer que ce qu'on conçoit s'énonce correctement. Pouvoir écrire une lettre à une personne ou à une institution, c'est pouvoir asseoir une demande, dénoncer une injustice, justifier son point de vue.
Pouvoir lire et écrire au-delà des petits écriteaux et des petites phrases apprises par cœur, c'est la liberté. Liberté de penser, de comprendre et, en finalité, d'émettre un point de vue.
Tout autour de nous est devenu capsule. Une vidéo sur YouTube, un commentaire sur Facebook ou Twitter, un bulletin de nouvelles télé où chaque sujet reçoit entre une et trois minutes ou un bulletin de nouvelles à la radio commerciale où on réussit à placer quatre manchettes en 90 secondes.
Toutes ces petites capsules que nous recevons nous donnent l'impression qu'on sait. Qu'on est informés.
La technologie, pourrait-on penser, sert de béquilles à quiconque ne sait pas bien lire. Faux! Dans une époque où tout peut circuler librement grâce à des plateformes incroyablement variées et accessibles, on se fait une idée sur un sujet à partir d'une phrase dite ou écrite. Une phrase et, hop, on a une opinion! L'opinion de quelqu'un qui l'a peut-être piquée ailleurs, sans réfléchir beaucoup plus... En fait, la technologie est une béquille d'apparence : il est possible, plus que jamais, de naviguer en société en camouflant son incapacité à lire et à écrire. Mais ça fait des navigateurs vulnérables. Manipulables.
Le fait de savoir lire et écrire conduit vers une compréhension et un sens critique essentiels. Plus de 40% des citoyens n'y arrivent pas.
Si on ne veut pas que les enfants de nos enfants deviennent des naufragés sociaux, il faut réagir. Ces temps-ci, on parle beaucoup de Plan Nord. Pour moi, ce plan n'est pas une innovation : c'est la réponse d'un gouvernement aux demandes d'une industrie qui doit mettre la patte sur des métaux précieux nécessaires à la fabrication de tous les IMachins qui meublent nos vies.
Je rêve plutôt d'un Plan Sud. Le sud du Québec. Là où l'humain est installé sur le territoire. Je souhaite qu'on prenne conscience que lire et écrire, c'est fondamental. Je voudrais juste qu'on réalise que la liberté n'est pas qu'une charte.
Savoir lire et écrire, c'est la liberté. Celle de penser, de concevoir, de convaincre, de discuter. Celle qui pousse tout le monde à être meilleur...
Clin d'oeil de la semaine
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