Une dame me disait, dernièrement : « ma mère est décédée, mais après plus de 90 ans de grand bonheur! »
Bon.
Une fois l'heure de la mort arrivée, il semble bien qu'une tendance lourde s'installe en nous : celle de ne garder que les bons moments, les souvenirs heureux et de les étirer, dans le temps, assez pour qu'ils couvrent toute la vie de la personne.
Ainsi, il n'est pas rare qu'une personne atteigne la perfection dans le récit de ses proches après sa mort.
Mais le bonheur, qu'en est-il? Il existe? Il se crée, s'invente? À voir le nombre de livres de psycho-pop sur le sujet, il semblerait que oui! Bon.
J'aime croire que pour savoir ce qu'il en est aujourd'hui, il faut savoir d'où on vient.
Étymologiquement, le mot bonheur vient de « bon » (par opposition à mal) et de « heur » (du latin augurium : augure). Donc, on parle de bonheur quand on parle de bon augure. De bonne chance. Le malheur sera donc l'inverse.
Depuis des lunes, par instinct je crois bien, je parle de petits bonheurs. De ces petits bonheurs qui se déposent, çà et là, sur notre route. Et qu'on ne voit pas toujours.
Dans cette (bien instinctive) logique, je me dis que profiter du moment, c'est de porter attention à ce qu'on vit présentement. Sinon, je ne vois pas vraiment ce que veut dire « profiter du moment ». Et pourtant, on le dit, on se le fait dire. Tant et si bien, qu'on se sent une forme d'obligation presque morale de publier une photo de nous-même, généralement en train de ne rien faire, café au lait ou verre de vin (ou de bière de microbrasserie, ce que je préfère!), et en ajoutant un petit mot : « je profite du moment! »
Tu en profites, ou tu fais savoir aux autres que tu en profites? Lequel est le plus important? Et est-ce que juste en profiter sans partager gâche le moment?
Question existentielle, quand tu nous tiens!
La vie ne peut être que bonheur. Impossible. On peut être généralement heureux, j'en suis, mais une vie de grand bonheur, c'est de la chimère.
Le bonheur ne s'achète pas. Il n'est pas imposable non plus. Pas au sens de l'impôt à payer, mais au sens où on ne peut pas l'imposer à l'autre : « fais ça, et tu vivras le bonheur! »
Pour moi, le bonheur est un petit moment où tout s'aligne pour créer une impression dans notre cerveau. Ou dans notre cœur si vous croyez que l'émotion est hors du cerveau. C'est donc quelque chose qui passe et qu'on attrape au vol. Pas qu'on crée.
J'ai déjà organisé une sortie avec mes enfants (ils avaient 6 et 7 ans environ) en me disant, naïvement, que je venais de créer un moment de bonheur.
Ils ne s'en souviennent pas aujourd'hui. « Un petit moment où tout s'aligne pour créer une impression dans notre cerveau », disais-je. Je me souviens qu'ils ont beaucoup aimé leur soirée, à l'époque. Mais qui étais-je pour imposer le fait que ça s'imprime bien dans les petits bonheurs de leur vie?
Une vie de grand bonheur? Je n'y crois pas. Une vie heureuse? Oh! Oui!
Le bonheur est un bon augure, une bonne chance, par définition. Il est peut-être temps qu'on laisse sa quête de côté et qu'on vive notre quotidien à notre manière. Le bon augure, la bonne chance, c'est quelque chose qui arrive d'on ne sait où. Et on ne sait quand. Toujours par définition.
Vu de même, le bonheur est une sorte de loterie. Celle qui a la désagréable habitude de nous faire vivre par anticipation et, ainsi, d'échapper les petits bonheurs quotidiens qu'on ne voit pas, trop concentrés à regarder ailleurs...
Clin d'oeil de la semaine
« Un souvenir heureux est plus vrai bien souvent que le bonheur », chante Diane Dufresne.