L'actuelle campagne électorale ne suscite pas l'engouement des foules. Loin de là! L'intérêt de la population pour cette élection reste à démontrer. Il faut rappeler que de 20 à 32 % des gens, c'est selon, ne se prévaudront vraisemblablement pas de leur droit de vote le 1er octobre prochain. La classe politique est bien consciente de la montée du cynisme dans la population et c'est pourquoi tous se réclament de l'idée de faire de la politique autrement.
Le Saint Graal de cette nouvelle politique de faire autrement est souvent vu par le prisme d'un changement du mode de scrutin. Au Québec, trois des quatre principaux partis en lice, à l'exception du parti libéral du Québec, se sont engagés à changer le mode de scrutin actuel, le scrutin uninominal à un tour pour un autre promu par Mouvement démocratie nouvelle : le système de scrutin proportionnel mixte compensatoire. Un changement fondamental qui viendra changer notre culture politique. Pourtant, changer le mode de scrutin sans refonder nos institutions politiques et la culture politique ambiante sera une vaine tentative de changer les choses. Expédition dans les terres de solutions possibles pour faire de la politique autrement...
L'origine du vote du peuple
Nous sommes les héritiers des révolutions anglaise, française et américaine. Chacun de ces pays qui ont connu des révolutions dans leur histoire tenta d'affaiblir les pouvoirs des gouvernements monarchiques ou de puissances coloniales pour le redonner au peuple. Dans une étude publiée en 2015, le professeur actif au Centre d'histoire des Sciences politiques à Paris, Nicolas Roussellier dans son ouvrage publié chez Gallimard, La force de gouverner affirme que : « Les régimes politiques modernes ont d'abord visé à affaiblir les pouvoirs du gouvernement. En France, en particulier, les républicains ont été littéralement par la nécessité obsédés par la réduction de la puissance du gouvernement et même, pour certains, par la nécessité de limiter voire de supprimer le rôle de l'État. Ils rejetaient tout ce qui était associé aux abus de la monarchie et de l'Empire, tout ce qui pouvait encore nourrir la quête de prestige et la recherche de la gloire personnelle. » (Nicolas Roussellier, La force de gouverner. Le pouvoir exécutif en France XIXe-XXIe siècles, Paris, Gallimard, 2015, p. 9. [NFR essais]).
Cette volonté n'a cependant pas résisté à l'épreuve du temps et peu à peu on a vu en France, nous raconte l'étude du professeur Roussellier, l'émergence d'un pouvoir central fort : « Un siècle après, les choses ont bien changé. Aujourd'hui, la démocratie contemporaine se présente sous le jour d'un gouvernement central et puissamment organisé, largement concentré autour d'une personne reconnue comme un chef suprême... l'élection a en fait changé de destination : elle ne désigne plus des représentants qui auront à défendre les intérêts du peuple face au "Pouvoir" mais les gouvernants eux-mêmes, c'est-à-dire ceux qui sont placés à la tête de l'État. L'élection n'est donc plus faite pour affaiblir, mais au contraire pour renforcer le pouvoir » (Ibid. p. 9-10).
L'hégémonie du libéralisme sur le régime politique canadien et le triomphe du pouvoir exécutif sur le pouvoir législatif
C'est le triomphe du pouvoir exécutif sur le pouvoir législatif. L'hégémonie des élites sur le peuple. Le règne comme au Canada d'un ordre libéral immuable tel que l'a démontré l'historien canadien Ian McKay, dans un article de la Canadian Historical Review paru en décembre 2000 dans lequel il explique que : « Comment nous sortir de l'impasse actuelle du débat socio-culturel par opposition à national-politique dans les travaux qui s'écrivent sur l'histoire canadienne? Par une pratique historique de re/connaissance, qui débute non pas par le projet essentialiste qui consiste à "repenser le Canada", mais plutôt par le but plus modeste de représenter l'État canadien comme un projet de règne libéral dans la partie septentrionale de l'Amérique du Nord.
Les individus qui entreprendront cette re/connaissance d'un moment complexe de l'hégémonie libérale qui s'appelle le Canada auront beaucoup à apprendre des historiens nationaux-politiques et socio-culturels qui les ont précédés. Mais de plus, ils s'engageront (et certains le font déjà) dans une voie radicalement nouvelle - parce que la catégorie "le Canada" repensée dans leurs travaux dénote, non pas un contexte dépourvu de théorie ou une entité essentielle impossible à analyser, mais ce même projet socio-culturel grâce auquel L'ordre libéral est devenu le "bon sens" national-politique dans la partie septentrionale de l'Amérique du Nord. » (Ian McKay, "The Liberal Order Framework: A Prospectus for a Reconnaissance of Canadian History", dans The Canadien historical review, University of Toronto Press, Vol 81, No. 4 December 2000, p. 616-645-citation p. 616.)
Chez nous, on assiste depuis toujours à la prééminence du pouvoir exécutif sur le pouvoir législatif comme ailleurs dans plusieurs démocraties libérales. Les travaux de Donal J. Savoie et son livre paru en 1999 aux Presses universitaires de Toronto, Governing from the Centre, en ont fait une démonstration convaincante. Savoie nous raconte que des organismes comme le Bureau du Conseil Privé, le ministère des Finances et le Conseil du Trésor exercent une trop grande influence. Bien souvent, la plupart du temps en fait, ils sont téléguidés par le bureau du premier ministre et viennent dicter la marche à suivre et la manière de dépenser l'argent. Ce qui vient affaiblir d'autant le pouvoir des différents ministres. Donald J. Savoie, Governing from The Centre, Toronto, University of Toronto Press).
Que dire du pouvoir des simples députés?
Si je reviens à l'excellent ouvrage de Roussellier, il constate dans son étude sur le pouvoir en France que l'expérience de la Cinquième République a complètement changé la donne. Si elle a apporté la stabilité de gouvernement qui avait tant manqué les années d'avant-guerre, elle a aussi concentré comme jamais le pouvoir au sein des mains du pouvoir exécutif. Chez nous au Canada, les traditions de gouvernance héritées des puissances coloniales ont favorisé depuis toujours la concentration du pouvoir entre les mains du premier ministre et de son Conseil des ministres. La seule tentative de changer les choses dans notre histoire fut les rébellions de 1837-1838 et elles ont échoué. Au cours du temps, le travail des membres du pouvoir législatif, notre Assemblée nationale, s'est vu réduit à sa plus simple expression faisant des élus du peuple et de la chambre d'assemblée de simples tampons d'approbation des lignes de partis de leurs formations respectives. Comme en France, le pouvoir exécutif a connu une concentration accrue par le développement de politiques plus nombreuses et par la création de nombreux organismes relevant du Conseil des ministres. Le pouvoir redevient de plus en plus monarchique au Québec et au Canada.
Un nouveau mode de scrutin
C'est dans ce contexte qu'il faut apprécier l'engagement qu'ont pris trois des quatre formations politiques principales en présence dans la présente élection. On s'est engagé à la CAQ, au PQ et chez QS, à adopter dès la première année de leur élection un projet de Loi qui mettra fin au mode de scrutin uninominal à un tour, qui est en vigueur actuellement, pour le remplacer par le mode de scrutin proportionnel mixte. Dans les faits, ce nouveau mode de scrutin réduira l'actuel nombre de circonscriptions électorales à 75 plutôt que les 125 actuelles. Elles épouseront alors les contours des circonscriptions fédérales au Québec. On ajoutera 50 sièges à l'Assemblée nationale qui seront déterminés en fonction d'un second vote des électeurs exprimant leur préférence pour un parti donné à partir de listes soumises par ceux-ci. Un calcul réalisé sur le résultat d'un tel mode de scrutin pour la représentation des partis à la dernière législation indique que le gouvernement libéral aurait été minoritaire obligé de composer avec le PQ et la CAQ, ce qui aurait probablement retardé l'atteinte de l'équilibre budgétaire aussi rapidement et évité le régime d'austérité libérale qui a heurté tant de démunis au début du dernier mandat du gouvernement Couillard.
Refonder nos institutions démocratiques
Certains s'inquiètent du fait qu'un tel mode de scrutin affaiblira la notion de régions et de porte-parole régional des députés et favorisera des gouvernements de coalition. Dans la culture politique actuelle, ce sera, disent ces critiques, la paralysie du gouvernement. Ces critiques ne suffisent pas cependant à discréditer ce projet. Néanmoins, il faudrait y réfléchir davantage. Il faut le bonifier. Pourquoi ne pas penser une réforme du mode de scrutin dans une réflexion plus large de la refondation de nos institutions politiques? Pourquoi ne pas élire notre premier ministre au scrutin universel? Pourquoi les ministres ne seraient-ils pas dorénavant des gens choisis par le premier ministre élu sur le modèle américain? On pourrait mieux les payer et faire de ces gens de véritables exécutants sous l'emprise d'un pouvoir législatif revampée et véritable maître du jeu. Une assemblée proportionnelle travaillant de concert et plus représentative c'est ce que les Québécoises et les Québécois souhaitent et appellent de tous leurs vœux.
Un gouvernement aux ordres d'une assemblée de représentants du peuple. Une assemblée plus représentative et plus en cheville avec la volonté populaire. Une assemblée qui reflètera mieux les divers courants d'opinions dans notre société démocratique. Une réforme aussi qui fera une plus large place à un meilleur équilibre entre la culture de démocratie participative et la culture de démocratie représentative. Pourquoi pas une chambre des régions et des groupes de la société civile qui s'ajouteraient à nos institutions?
C'est une bonne idée de changer le mode de scrutin, j'en suis! Ce sera encore une meilleure idée si notre réflexion collective s'élargissait à une refonte de nos institutions démocratiques. Il ne faut pas attendre le Grand soir pour réhabiliter la politique et celles et ceux qui font métier de nous y représenter. Oui, voter autrement pour gouverner autrement...