Quand le
printemps s'est présenté pour son rendez-vous annuel, il accusait un retard
certain sur l'an dernier. Peut-être pour camoufler et excuser un peu ce retard,
il s'est présenté déguisé en été!
Je
trouve fascinant ce moment de l'année où on peut regarder la nature se déployer
presque d'heure en heure.
Un
moment qui appelle à une forme de contemplation. « Elle écoute pousser les
fleurs », chante Cabrel pour décrire celle qui, tout en douceur, sait se
concentrer sur la beauté simple de la nature environnante. Il précise qu'elle
le fait «au milieu du bruit des moteurs ».
Dans les
platebandes, ce qui semblait mort une fois la neige fondue, laisse jaillir des
pousses timides, mais qu'on devine assez fortes pour porter l'espoir d'une
floraison nouvelle.
Par la
fenêtre, le pommier s'est habillé de blanc. Un bouquet imposant de fleurs qui
captent notre attention. Ou pas. Après tout, il n'en tient qu'à nous de nous
sortir du rythme quotidien et de consacrer du temps à ce qui nous entoure.
Je me
dis que l'hiver est un intermède entre deux actes. L'automne apporte une
panoplie de couleurs flamboyantes qui succèdent aux verts riches et assumés.
Encore là, il faut être un peu attentif, ça ne dure pas longtemps. Après l'intermède
hivernal, on a un spectacle tout aussi étonnant. Le feuillage passe du vert
tendre (presque jaune, parfois) au vert plus intense et uniforme. Bien que
relativement courte, la croissance du feuillage est un spectacle en soi.
Encore cette
année, les tulipes sont en grande conversation avec les jonquilles. Le décalage
a été très court entre leur floraison. Plus sobres, les tulipes étalent les
subtilités des dégradés de couleur, alors que les jonquilles sont pétantes de
bonne humeur, leur jaune étant purement lumineux. Même différentes, elles
vivent ensemble et additionnent leur beauté respective pour offrir un tableau
harmonieux.
Quand je
pense à toutes ces couleurs, je fais un cruel constat: toutes les images que
j'ai vues de la guerre en Ukraine sont grises. Je ferme les yeux pour les
revoir, et ce ne sont que des nuances de gris. Trop de nuances de gris. Pour
sortir du lot, des accents noirs.
Que du gris
sombre déployé en nuances.
Le gris sombre
de la stupidité de l'humain. Le gris charbon de tous ces efforts d'ingénierie
utilisés pour fabriquer des armes. Le gris presque noir des véhicules
blindés qui détruisent des espaces de vie colorés, encore hier.
J'ai
beau revoir dans ma tête les images de cette guerre, je ne vois que du noir et,
au mieux, des nuances de gris. Même pas de blanc.
J'ai
voulu "faire ma preuve", comme on nous l'enseignait en
mathématiques... J'ai donc vu un reportage. Tout était gris. Et noir. Pas de
blanc. Jusqu'à ce moment précis où deux dames sortent des décombres de leur
maison respective. Deux voisines heureuses de savoir l'autre vivante. Elles
s'étreignent. Dans leur main, un sac de plastique coloré. Un sac d'un grand
magasin de là-bas, j'image. Lui, il porte des couleurs. Un peu. Les couleurs qui
rendent joyeuse la consommation de biens.
Il m'a
semblé que ces sacs ressortaient comme le manteau rouge que portait l'enfant dans
une pile de corps décimés, seul élément en couleur dans le film « La liste
de Schindler ».
Et j'ai
repensé à ma journée de samedi. Dans un commerce que j'ai fréquenté, je me
sentais heureux et libre de ne pas devoir porter de masque. Je me suis demandé
si ce petit bonheur n'était pas complètement déplacé par rapport à la misère
vécue ailleurs. Un peu comme un endeuillé qui se surprend à rire et se demande
s'il a le droit d'être heureux alors que l'être cher est mort.
Évidemment
qu'on a le droit. Comme on a aussi droit au malaise de celui qui est plutôt
choyé dans l'histoire.
Et je me
suis dit que pour le maintien de mon équilibre mental, je me devais même
d'écouter pousser les fleurs, au milieu du bruit gris des agresseurs...
Clin
d'œil de la semaine
En passant, à Stanstead,
les « Freedom fighters Canada » ont remercié « Dieu, qui a
ouvert les cieux, pour permettre aux camionneurs de les libérer ». Cibole...