Dans notre société, les médias d'information ont un rôle
fondamental pour permettre aux gens de faire société ou, si vous préférez pour
développer, discuter, débattre des choix qui s'offrent à tous. Au cours de la
dernière décennie, le rôle des médias d'information s'est transformé sous l'impulsion
de la faillite de leur modèle d'affaires et de l'apparition des géants d'Internet
marqués par le phénomène de l'autopromotion des publics qui s'autoréalisent en
commentant les faits d'actualité. Le public devient acteur. Cela brouille les
anciens modèles et ce n'est pas sans conséquences pour la couverture d'une
campagne électorale comme celle qui s'annonce au Québec.
Si l'on peut raisonnablement pointer du doigt les médias
sociaux et les fausses nouvelles qui y sont colportés comme source d'un certain
malaise social, nous devons aussi prendre la pleine mesure de la fonction de
mise en ordre de l'actualité par les médias d'information, communément appelés agenda
setting par les spécialistes universitaires. La couverture actuelle de la
précampagne électorale nous en donne une indication. Réflexions libres sur le
rôle et l'impact des médias d'information dans nos choix démocratiques.
Le phénomène course de chevaux
C'est bien connu. La couverture des médias de la sphère
politique carbure à l'émotion et aux effets spectaculaires. Qui plus est, les
informations sont codifiées selon la nature des médias concernée : les
clips de 15 secondes pour la radio, les images soignées et les mises en
scène pour la télévision et la langue de bois et ses phrases creuses pour les
médias imprimés. Le traitement de la nouvelle se fait ainsi dans nos médias.
Cela dans un univers où la nouvelle brute cède la première place à la
suprématie du commentaire et des témoignages d'expert. Chaque intervention est
liée à la personnalité des différents médias qui cherchent à se coller à leur
clientèle cible. Clientèle cible sur laquelle le média fondera la valeur de ses
espaces publicitaires. Je n'apprends rien de neuf à personne. Ce qui est
cependant troublant à notre époque c'est le mimétisme que l'on retrouve parmi
les médias. Ce qui fonde a priori leur personnalité propre cède le pas à une
forme d'uniformisation des contenus. Par exemple, les campagnes électorales
sont décrites par le prisme d'une lutte de personnalités entre les chefs et
comme une course de chevaux entre les différentes formations politiques. Le principal
intérêt des médias est de décrire qui sera le gagnant ou le perdant plutôt que de
couvrir les contenus qui opposent ou réconcilient les partis en présence. Cette
propension à proposer un narratif s'apparentant à une course de chevaux pour
les campagnes électorales sied bien au besoin de l'effet spectaculaire et des émotions.
Les véritables carburants des médias d'information.
La primauté de l'accessoire
Un autre trait important de la couverture des médias d'une
campagne électorale c'est le choix qu'ils font de s'intéresser à l'accessoire.
Par exemple, dans l'actuelle précampagne électorale, nous avons eu droit à la
chasse aux imperfections chez les personnes candidates qui un jour étaient pour
un parti et l'autre pour un autre. Les déclarations malheureuses de l'un de ses
candidats diffusés en forme de post sur son réseau social. Déclaration
sommaire souvent insignifiante qui s'inscrit en dehors de l'idéologie mainstream.
Cela permet la matérialisation d'une sorte de chasse aux sorcières par les
médias concernés. Déjà, cela fonctionne et n'a pas été sans effet, quelques
candidates et candidats ont dû se retirer de la course pour méfait d'opinion
non partagée par la majorité et/ou par le tribunal de l'opinion publique
présidé par les médias d'information. Il y a aussi dans le choix des nouvelles
par les médias d'information de nouveaux combats qui se pointent et dont ils se
font les champions en attente. Parmi ces nouveaux combats, il y en a deux qui pointent
à l'horizon : le contrôle des dépenses préélectorales et la question de la
pureté idéologique des candidats. Je commenterai celui des dépenses électorales
pour illustrer mon propos.
Il est amusant de lire les commentaires sur la question des
dépenses préélectorales. Comme si cela était un véritable enjeu. À ce que je
sache, toutes les formations politiques ont le droit et le pouvoir de dépenser
leur argent pour faire connaître leur parti, leurs idées ou leurs candidats. Le
match est égal pour tous en ce qui concerne les règles. Il est vrai que
certains partis ont plus de moyens financiers que d'autres, mais cela c'est
nous qui décidons par nos votes et par nos contributions financières à tel ou
tel parti. Je ne vois pas pourquoi nous devions règlementer encore plus les
dépenses électorales. Déjà que cela est une entrave pour les groupes et les
individus dans la société. En campagne électorale, je n'ai pas le droit comme
individu d'acheter une publicité pour dire par exemple que la ou le député de
mon comté est incompétent ou est la septième merveille du monde. Un faux débat
accessoire.
Une campagne électorale doit-elle
débattre des vrais enjeux ?
Voilà la question la plus importante. Une campagne
électorale sert-elle à débattre des vrais enjeux qui confrontent notre société
ou plutôt être une mise en scène de la sphère politique et de ses principaux
acteurs par les médias d'information ? Pour ma part, je crois que la couverture
d'une campagne électorale devrait se concentrer sur les idées et les valeurs
proposées par chacun des partis politiques plutôt que sur les chances des uns
et des autres de remporter la mise dans tel ou tel comté. La politique
prédictive n'est pas une politique d'information viable susceptible d'améliorer
notre vivre-ensemble et notre capacité de « faire société » pour reprendre le
concept du sociologue Joseph-Yvon Thériault. (Ceux qui s'intéresseraient à la
pensée de ce sociologue acadien d'origine et québécois d'adoption pourraient
lire l'excellent ouvrage tout juste publié aux Presses de l'université du
Québec intitulé : Sur les traces de la démocratie. Réflexions autour de l'œuvre de Joseph-Yvon
Thériault, cf. : Stéphanie Chouinard, François Olivier Dorais et
Jean-François Laniel, dir., Québec, 2022, 323 p. Je vous recommande aussi :
François-Olivier Dorais et Jean-François Laniel, L'autre moitié de la modernité. Conversations avec Joseph-Yvon
Thériault. Québec, Presses de l'Université Laval, 2020, 350 p.)
Un exemple d'un débat important qui doit avoir lieu durant
la prochaine campagne électorale concerne l'avenir de notre système de santé.
La crise de la pandémie liée à la COVID-19 nous a donné un aperçu clair des
principales lacunes de notre système de santé qui coûte déjà fort cher au
trésor québécois et aux payeurs d'impôt et de taxes que nous sommes. Je ne veux
pas remettre ici en cause le travail du gouvernement Legault durant la pandémie.
Il a fait de son mieux avec ce qu'il avait entre les mains. Néanmoins, la crise
de la pandémie a menacé nos libertés civiles au nom de la sauvegarde de notre
système de santé. Cela est inacceptable. Nous n'en avons pas pour notre argent
ni pour les efforts que nous y consacrons tous. Il faut faire quelque chose et
vite. D'abord en débattre durant la prochaine campagne électorale et cela sans
les tabous habituels au Québec.
Parmi ces tabous, il y a celui de l'opposition entre le
privé et le public. Une opposition qui est en fait une vaste opération de
langue de bois et d'hypocrisie, car le secteur privé existe déjà dans notre
système de santé. À cet égard, je suis plutôt favorable à ce que l'on discute
en campagne électorale de l'une des idées du parti conservateur d'Éric Duhaime
qui veut qu'après un certain temps, nous ayons droit de faire appel à des
ressources privées pour obtenir des services et nous faire rembourser par la
suite. Cela inciterait vraisemblablement le secteur public à faire mieux.
Personnellement, j'attends depuis plus d'un an pour une intervention
chirurgicale mineure. C'est inacceptable. Moins inacceptable je l'avoue que les
gens qui n'ont plus de services du tout comme en Abitibi et dans le Grand Nord
québécois.
Plutôt que de nous titiller avec la chasse aux sorcières des
candidats des différents partis politiques, de jauger la pureté idéologique des
uns et des autres ou de jouer à qui va prédire le gagnant, les médias
d'information accompliraient mieux leur mandat en portant à notre attention de
vrais débats plutôt qu'à se livrer à un exercice de diversion médiatique...