L'un des premiers gestes du nouveau maire de Sherbrooke et du nouveau conseil municipal a été d'annoncer le retrait de la Ville du financement de la Fête du lac des nations qui s'établissait à 75 000 $. Un geste qui aux dires de la direction de cet événement ne mettra pas en péril son avenir. Si le retrait du financement de la Ville de Sherbrooke n'est pas en soi catastrophique, il n'en est pas moins une belle occasion pour nous interroger sur le sort que réservera cette nouvelle administration à la culture.
Un maire qui s'est fait élire sur des promesses de baisse de taxes et qui a pour vision culturelle des animateurs ludiques dans les centres commerciaux prête au questionnement, vous en conviendrez. Réflexion autour de la culture.
Qu'est-ce que la culture?
Pour discuter d'un sujet, il importe d'en définir les termes. Voyons ce que nous en dit le Dico des définitions : « En général, la culture est une espèce de tissu social comprenant plusieurs moyens et expressions d'une certaine société. Donc, les coutumes, les pratiques/habitudes, les façons d'être, les rituels, les façons de s'habiller et les règles du comportement sont des aspects que la culture englobe et prévoie. »
Une autre définition établie que « la culture est l'ensemble des phénomènes matériels et idéologiques d'un groupe ethnique ou une nation, une civilisation, par opposition à un autre groupe ou à une autre nation. Pour l'UNESCO, la culture donne à l'être humain la capacité de réflexion de soi-même : par le biais de la réflexion, l'homme discerne les valeurs et part à la recherche de nouvelles significations. »
La pensée dumontienne sur la culture
Ce sens général ne nous dit pas toute l'importance de la culture pour une société. Chez nous, un grand intellectuel, Fernand Dumont, y a consacré l'essentiel de ses travaux. On comprend mieux sous sa plume les enjeux que recèle la culture. Daniel Mercure nous résume l'essentiel de la pensée dumontienne sur la culture dans un article paru dans la revue Sociologie et Sociétés :
« L'idée de développement est d'abord vue comme une métathéorie qui fait référence à l'idée de changement social. Ce qui est ici en cause, c'est bien sûr l'idéologie fondamentale du monde moderne, celle de l'historicité, soit une idéologie marquée par le fait que "notre conscience de la société n'est rien d'autre que sa production par elle-même". Mais comment penser le fait que nous puissions penser une telle lecture du monde? Quel est cet ailleurs, ce lieu de la pensée, ce dédoublement de la culture qui nous amène à concevoir une telle réalité au-dessus des sujets singuliers? Et cet ailleurs ne fait-il pas lui-même partie de la culture? Un tel questionnement constitue le point nodal des principales analyses de Dumont de la culture moderne. D'entrée de jeu, l'auteur aborde de manière très empirique la question de l'idée de développement culturel, qui est en fait une idéologie. Il tâche d'en retracer la genèse. Pour ce faire, Dumont emprunte deux voies dont le tracé traverse nos existences quotidiennes : l'étude des politiques dites culturelles et de l'idéologie de la participation. Il montre que les politiques dites culturelles mettent surtout l'emphase sur la culture comme production (les productions artistiques bien sûr, mais aussi les productions "savantes" et les grandes idéologies) et comme consommation, dont l'école est évidemment l'un des principaux lieux de diffusion et donc de socialisation à de tels produits "culturels". Quant à l'idéologie de la participation, il appert que son ambition première est de tenter de réconcilier rationalité et culture dans une sorte de dépassement des genres de vie et des solidarités premières en vue de la production de la société par elle-même selon des formes multiples (par exemple la forme technocratique), depuis l'économie jusqu'à la culture. »
Refuser les raccourcis intellectuels
Dits en des mots simples, la culture c'est notre vouloir-vivre commun. Ce qui nous lie les uns et les autres dans un espace donné à un temps donné. C'est pourquoi la Culture avec un grand C est toujours en évolution et que la créativité de ses artisans qui explorent sans cesse de nouvelles avenues nous sont si précieuses pour nourrir nos âmes. Ce qui ne rend pas inutile la culture en action. Ce que je pourrais appeler les produits culturels grands publics. Aussi assimiler la culture à des manifestations d'expression populaires est réducteur même si nous ne devons pas faire preuve d'un élitisme à tout crin qui fera de l'art d'avant-garde notre culture.
Ce débat est un peu celui que mène le propriétaire de cinémas, Vincent Guzzo, contre le cinéma d'auteur préférant pour sa part que nos taxes et nos impôts servent à financer des films qui font vendre des entrées dans ses cinémas. Ici, on oppose culture populaire à culture d'élite. Un faux et vain débat. C'est un peu au même débat que nous convie le nouveau maire de Sherbrooke, Steve Lussier en opposant les artistes d'ici aux artistes de l'extérieur. Durant sa campagne, il a promis d'investir 500 000 $ pour soutenir les artistes d'ici qui pourront se produire dans nos centres commerciaux plutôt que d'investir dans des événements comme la Fête du lac des nations ou le spectacle Cow-Boys à la Place Nikitotek. Grande vision ce qu'est et ce que représente la culture.
N'en déplaise au nouveau maire, la culture d'ici puise largement à la culture d'ailleurs. Plutôt qu'être sans culture, nous devrions cultiver cent cultures. Il apparaît judicieux à notre époque de soutenir nos artistes d'ici pas pour se produire dans les centres commerciaux ou au Centre de foires, mais sur les scènes internationales et sur le Web. D'ailleurs, le maire serait inspiré de prendre connaissance du plan développé par le Conseil de la culture de l'Estrie à la suite de la tenue d'États généraux qui ont mobilisé des centaines de personnes intéressées ou acteurs de notre monde culturel.
Si c'est une forte mauvaise idée que de retirer le financement de la Fête du Lac des Nations, c'est pire encore lorsque l'on prend la peine de relire la vision exprimée par le nouveau maire lors de la dernière campagne électorale sur la culture. Il aurait avantage à s'informer des merveilles que réalisent ici et ailleurs les artisans du Théâtre des petites lanternes, de la compagnie de danse Sursaut, pour ne citer que deux exemples que je connais fort bien, avant de poser des gestes en matière de culture. La Ville de Sherbrooke s'était jusqu'à maintenant généralement bien acquittée de sa tâche de soutenir la culture même si cela n'était pas suffisant eu égard aux besoins.
Nous pouvons craindre le pire avec les orientations du nouveau maire en matière culturelle. Il risque de nous faire la démonstration que la culture c'est comme la confiture ; moins tu en as, plus tu l'étends...