Vous possédez un immeuble, vous désirez renouveler votre assurance, votre courtier vous suggère de faire évaluer celui-ci puisque les coûts de reconstruction ont définitivement augmenté depuis la construction. À la suggestion de votre courtier, vous retenez les services d'un évaluateur qui doit déterminer les coûts de reconstruction.
Le courtier reçoit l'évaluation, mais demande à un collègue de faire le suivi puisqu'il doit quitter pour des vacances.
Le collègue ne fait rien.
L'immeuble est incendié, l'assureur paie le montant sans tenir compte de la nouvelle évaluation de l'immeuble.
De nombreux problèmes ressortent après l'incendie - l'évaluation pour la reconstruction était insuffisante, les coûts de reconstruction ont été sous-évalués, les frais de démolition et de mise aux normes n'ont pas été pris en compte dans l'évaluation, le bâtiment a été considéré comme résidentiel alors que le premier étage est commercial.
L'évaluation de 565 000,00 $ est nettement insuffisante, la démolition et la reconstruction ont coûté plus de 1 000 000,00 $.
Avez-vous un recours et si oui, contre qui?
La réponse est oui et la Cour d'appel dans l'affaire Maison Jean-Yves Lemay assurances inc., Louis-Charles Warren c. Bar et Spectacles Jules et Jim inc. datée du 19 septembre 2016 s'est prononcée sur le sujet.
En première instance, le juge affirme qu'un courtier a une obligation de moyens et qu'en vertu de la Loi sur la distribution des produits de services financiers, il a une obligation d'offrir à son client un produit qui couvre un sinistre éventuel pour un montant approprié malgré le fait que l'évaluation ait failli à la tâche, le juge en vient à la conclusion que le courtier n'a pas respecté ses obligations dont celle entre autres de ne pas avoir transmis à l'assureur le rapport énoncé de l'évaluateur et le condamne à rembourser l'entièreté de la perte subie par le propriétaire.
En appel, la décision est partagée à deux voix contre une.
Citant également l'article 39 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers, la juge Savard déclare :
«(66) Afin d'assurer de la suffisance de la couverture d'assurance lors du renouvellement, le courtier pourrait devoir recommander à son client de procéder à l'évaluation de ses biens. Il s'agit d'une obligation de conseil, la décision revenant ultimement au client de décider de la tenue d'une telle évaluation...»
Cependant, elle précise sa réflexion et se dissocie du jugement de première instance pour affirmer :
«(67) Par ailleurs, vu la nature de son obligation, le courtier n'est pas tenu de visiter les lieux pour s'assurer de la suffisance de la protection décidée par le client. L'évaluation des biens relève plutôt du champ d'exercices de l'évaluateur agréé, et non du courtier d'assurance. Dès lors, sous réserve du respect de son obligation de renseignement et de conseil, le courtier n'est pas responsable des dommages pouvant résulter d'une évaluation inadéquate de la valeur des biens assurés par son client...»
Après avoir constaté les fautes d'ailleurs admises par l'évaluateur (c'est-à-dire avoir considéré l'immeuble uniquement comme étant résidentiel, avoir omis les frais de démolition ainsi que les coûts de mise aux normes dudit immeuble), la juge considère qu'il y a deux fautes distinctes, soit celle du courtier et celle de l'évaluateur.
Pour le courtier, la juge affirme qu'il aurait dû transmettre le rapport de l'évaluateur afin de faire augmenter la couverture et comme le courtier ne conteste pas son obligation d'avoir prévu les frais de démolition, elle ne se prononce pas sur le partage de responsabilité qui aurait pu exister avec l'évaluateur. C'est ainsi qu'elle condamne le courtier à la différence entre le montant assuré et le montant apparaissant dans le rapport d'évaluation soumis par l'évaluateur, mais non transmis à l'assureur.
Par la suite, la juge condamne l'évaluateur à rembourser la différence entre le montant qu'il avait suggéré et le coût réel des travaux.
Que doit-on retenir de cette décision?
Un courtier d'assurance a des obligations, dont celle de bien conseiller son client, c'est ainsi que le courtier devrait, au moment de renouveler une assurance habitation qui date de plusieurs années, suggérer à son client de procéder à une évaluation de son immeuble.
Le courtier n'est cependant pas responsable d'une évaluation erronée, seul l'évaluateur qui rédige ladite évaluation en est responsable, même si le nom de l'évaluateur a été suggéré par le courtier.
Sur ce, Bonne et Heureuse Année, de la santé et des petits bonheurs tout au long de celle-ci.
Au plaisir.
Me Michel Joncas