En 1994, deux sœurs âgées respectivement de 10 et 12 ans perdent leur père accidentellement. Les sœurs deviennent alors orphelines puisque leur mère est décédée auparavant. Leur père a laissé un testament dans lequel il désigne les deux filles légataires universelles et son frère, leur oncle, liquidateur de sa succession.
Selon le testament, chacune d'entre elles doit recevoir la moitié de leur capital respectif à l'âge de 18 ans et l'autre à l'âge de 30 ans. Les filles recouvrent chacune un montant lorsqu'elles atteignent l'âge de 18 ans.
Gabie, l'une des héritières, demande au liquidateur son oncle Denis à plusieurs reprises des informations concernant la succession; ce dernier est évasif, lui indique que son père avait plusieurs dettes. À l'âge de 22 ans. Gabie réclame le solde de son héritage, car elle veut s'acheter une maison, le liquidateur lui répond qu'elle doit attendre l'âge de 30 ans comme il est stipulé dans le testament.
Dès qu'elle atteint 30 ans, Gabie demande au liquidateur la balance de son héritage et insiste pour obtenir des informations sur la succession. Elle n'obtient pas de réponse. Gabie retient alors les services d'un avocat qui réclame de Denis le paiement de la deuxième moitié de son héritage et une reddition de compte. Encore une fois, Denis ne répond pas.
Faute de réponse, Gabie s'adresse en 2012, au Curateur public qui lui transmet une copie du testament, une copie de l'inventaire de la succession de son père et des informations concernant des versements accordés par la SAAQ suite au décès de son père. Il est ainsi établi qu'en 1995, les actifs de la succession s'élevaient à 182 000 $ et qu'après paiement des dettes d'environ 34 000 $, il restait une valeur nette d'environ 148 000 $ plus les indemnités de 52 500 $ versées par la SAAQ à chacune des héritières. Insatisfaite de la situation, Gabie entreprend des procédures contre son oncle le liquidateur en février 2013.
La première question que le Tribunal se pose est de savoir si la demande de Gabie est prescrite. En effet, normalement un recours en dommages se prescrit après 3 ans à compter de l'arrivée du geste reproché. C'est ainsi que le liquidateur plaide que la prescription débutait quand Gabie a eu 18 ans ou quand elle a demandé le versement de la deuxième partie de son héritage en 2004. Le Tribunal conclu que le départ de la prescription débute au moment où Gabie détient assez d'information concernant les reproches qu'elle fait au liquidateur et la nature des dommages qui lui ont été causés soit quand le Curateur public lui révèle en particulier l'inventaire de la succession en 2012.
À ce sujet le Tribunal écrit : (26) La faute ayant causé le dommage dans le cas présent n'est pas d'avoir omis de fournir des informations sur la succession lorsque Gabie en faisait la demande, mais bien de ne pas avoir géré les actifs de la succession avec prudence, et d'avoir manqué à son devoir de loyauté. Gabie ne pouvait savoir que l'actif de la succession s'était « volatilisé » avant d'avoir connaissance du contenu de la succession, connaissance qu'elle a eu en 2012 lorsque le Curateur public Renaud c. Renaud, 2017 QCCS 2919 lui a transmis une copie de l'inventaire.
Relativement à sa gestion, le liquidateur affirme que le défunt avait beaucoup de dettes, que l'argent a servi à l'exploitation du restaurant de son frère; le Tribunal note que le liquidateur n'a pas effectué de reddition de compte, qu'il n'a conservé aucun document, qu'il n'a ouvert aucun compte bancaire au nom de la succession, pour conclure qu'il a de «... nettes réserves quant à la crédibilité à accorder au témoignage de Denis ... » C'est ainsi que le Tribunal accorde aux héritières les montants dont elles ont été privées et qu'elles étaient en droit de recevoir.
La Cour refuse cependant d'accorder des dommages moraux au motif que le manque de compassion de l'oncle ne constitue pas une faute engendrant une responsabilité civile et que, bien que le liquidateur ait menti sur la succession, ce n'est pas suffisant pour donner droit à une réclamation à ce chapitre.
En conclusion, pour déterminer la date du début d'une prescription il faut connaître la date de l'existence de la faute commise. De même, autant le liquidateur que l'administrateur du bien d'autrui ont des obligations dont celle d'être loyal, une contravention à ces obligations entraine la responsabilité de son auteur.
Au plaisir,
Me Michel Joncas
Fontaine Panneton Joncas Bourassa & Associés