Après seize ans de vie commune, deux enfants et un ex-conjoint devenu multimillionnaire, le juge Robert Mongeon a octroyé une compensation de près de 2,4 millions de dollars à une ex-conjointe de fait, au motif que la fortune de Monsieur provient essentiellement du rôle de Madame dans la maison familiale. Alors qu'aucune loi ne prévoit les droits des conjoints de fait lorsqu'arrive une séparation, ce jugement progressiste laisse-t-il entrevoir une amélioration de la protection des conjoints de fait en droit québécois?
Actuellement, les conjoints de fait ne bénéficient pas de la même protection légale que les couples mariés en matière de séparation. En 2013, la Cour Suprême a statué, dans l'affaire ultramédiatisée Éric c. Lola, que les couples non mariés ne peuvent espérer avoir droit à une pension alimentaire pour eux-mêmes ou encore avoir accès à une part du patrimoine familial.
Or, selon le juge Robert Mongeon, cet état de droit ne reflète pas du tout la réalité contemporaine. Dans le jugement rendu le 18 septembre 2018, il écrit que : « Sauf semble-t-il le Législateur, tous s'accordent à dire qu'en 2018 les conjoints de fait ont droit à une meilleure protection et à une plus grande reconnaissance de leurs droits de la part du système judiciaire. »
Au début de la vie commune des parties en 1996, les deux travaillent comme salariés, ce qui leur offre un revenu familial décent, mais sans extravagance. Au début des années 2000, Monsieur quitte son emploi pour fonder son entreprise, qui connait des débuts difficiles, au point où il a parfois des revenus inexistants. Pendant ce temps, Madame garde son emploi à temps plein pour pallier le déficit budgétaire, et s'occupe de manière exclusive de la maisonnée et du soin de leurs deux enfants en bas âge.
Quelques années plus tard, l'entreprise de Monsieur connait une véritable envolée grâce au développement d'un produit révolutionnaire et en 2007, celui-ci vend ses parts de l'entreprise pour la « modique » somme de 17 millions de dollars. Il diminue alors considérablement ses heures de travail afin de se consacrer à ses loisirs, tout en refusant que sa conjointe fasse de même. La preuve révèle que Monsieur craignait que Madame ne devienne financièrement dépendante de lui en cas de séparation. En 2012, les parties se séparent. Monsieur refuse catégoriquement de partager sa fortune et prétend que Madame n'a aucunement contribué à son succès.
L'absence de législation spécifique en matière de conjoints de fait ne veut pas dire l'absence de droits et de devoirs l'un envers l'autre. La théorie de l'enrichissement injustifié s'applique dans les cas où l'enrichissement de l'un provoque l'appauvrissement de l'autre. À cet égard, la jurisprudence est éloquente. La prestation de services domestiques, comme l'a fait Madame pendant des années, peut constituer un motif valable pour un recours en enrichissement injustifié. En l'espèce, le tribunal n'a eu aucune difficulté à conclure que c'est le travail domestique offert par Madame qui a permis à Monsieur d'accumuler une fortune de plusieurs millions de dollars, alors que Madame n'a pas augmenté son capital.
De manière générale, les tribunaux fixent les compensations financières applicables dans de telles situations notamment selon la longueur de l'union et les avantages reçus pendant celle-ci. Ainsi, le juge Mongeon accorde à Madame une somme de 3,5 millions de dollars. Toutes déductions effectuées, Madame a ainsi reçu une somme de près de 2,4 millions de dollars à titre d'enrichissement injustifié en compensation de son apport dans la maisonnée.
Le Québec est la seule province qui n'octroie pas de droits patrimoniaux aux conjoints de fait, malgré la popularité grandissante de ce modèle familial. À l'instar du juge Mongeon, la magistrature n'hésite plus à indemniser le conjoint, souvent la femme, qui a joué un rôle prédominant en tenant le foyer et en élevant les enfants, ayant subi une perte financière ou un manque à gagner. Bien qu'une augmentation de la protection des conjoints de fait soit souhaitable, la prise en charge de cette amélioration par les tribunaux risque de créer un état de droit hétéroclite et incohérent en la matière. Le gouvernement aurait tout à gagner de réformer le droit familial en matière de conjoints de fait et d'établir des règles claires pour le bénéfice de tous.
Me Elizabeth Poulin et Me Karine Bourassa
Fontaine Panneton Joncas Bourassa & Associés