Qu'est-ce que ce titre ? Personne ne hait les femmes. Pourtant, il y a 30 ans à quelques jours près, un jeune homme que l'on disait dérangé mentalement a tué de sang-froid des femmes parce qu'il haïssait le féminisme et refusait aux femmes le droit d'être ingénieure.
Comment est-ce possible que des hommes puissent en toute lucidité faire preuve de violence envers un groupe ciblé pour la simple raison de leur genre, de leur sexe ? Cela paraît surréaliste. C'est pourtant ce qui est arrivé à l'École polytechnique à Montréal le 6 décembre 1989. Réflexions d'un homme sur la violence faite aux femmes et sur l'égalité pleine et entière des femmes et des hommes dans une société où il existe encore aujourd'hui une discrimination systémique envers les femmes.
Se rappeler le 6 décembre
Vendredi dernier, des femmes et des hommes et nos principaux représentants politiques ont participé à Montréal et dans plusieurs autres villes du Québec et du Canada à des commémorations pour souligner la mémoire des victimes de cet acte crapuleux, de ce féminicide honteux pour une société comme la nôtre.
On ne trouvera jamais les mots justes pour témoigner de notre tristesse et de notre désarroi devant ce tueur qui a enlevé la vie à de jeunes femmes qui n'avaient pour tort que le désir de devenir ingénieures.
Rappelons-nous le nom de ces jeunes femmes : Geneviève Bergeron (née en 1968, 21 ans), étudiante en génie civil, Hélène Colgan (née en 1966, 23 ans), étudiante en génie mécanique, Nathalie Croteau (née en 1966, 23 ans), étudiante en génie mécanique, Barbara Daigneault (née en 1967, 22 ans), étudiante en génie mécanique, Anne-Marie Edward (née en 1968, 21 ans), étudiante en génie chimique, Maud Haviernick (née en 1960, 29 ans), étudiante en génie des matériaux, Barbara Klucznik-Widajewicz (née en 1958, 31 ans), étudiante infirmière, Maryse Laganière (née en 1964, 25 ans), employée au département des finances, Maryse Leclair (née en 1966, 23 ans), étudiante en génie des matériaux, Anne-Marie Lemay (née en 1967, 22 ans), étudiante en génie mécanique, Sonia Pelletier (née en 1961, 28 ans), étudiante en génie mécanique, Michèle Richard (née en 1968, 21 ans), étudiante en génie des matériaux, Annie St-Arneault (née en 1966, 23 ans), étudiante en génie mécanique, Annie Turcotte (née en 1969, 20 ans), étudiante en génie des matériaux.
Autant il faut se rappeler le nom de ces femmes, autant il m'apparaît que l'on doit taire le nom du tueur féminicidaire qui leur a volé la vie. D'autant que je lisais samedi dernier que la police a arrêté un sexagénaire qui se réclamait de ce tueur. Il faut éviter d'héroïser nos tares et refuser de donner un visage humain à un être qui a commis un geste aussi répugnant. Commettre des actes féminicides est une aberration pour la majeure partie de nous. Justifier de tels actes par de savantes analyses psychologiques et faire preuve d'empathie envers leurs auteurs m'apparaît comme impensable. Taire le nom du tueur est pour moi un strict minimum à notre dignité collective et au respect de la mémoire de ces femmes tuées par un ennemi des femmes pour ce qu'elles étaient et ce qu'elles représentaient.
La rhétorique d'occasion
Il va de soi que la commémoration de tel événement revêt d'importantes significations. Il est de bon aloi dans de telles circonstances que nos représentants politiques témoignent en notre nom pour dire ce que nous en pensons collectivement. Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, par voie de communiqué de presse a déclaré : « Le 6 décembre 1989, à l'École polytechnique de Montréal, 14 jeunes femmes ont été brutalement assassinées simplement parce qu'elles étaient des femmes. Aujourd'hui, lors de la Journée nationale de commémoration et d'action contre la violence faite aux femmes, nous pleurons la perte de ces jeunes femmes qui avaient la vie devant elles. Nous nous souvenons des victimes de ce geste de violence haineux et nous nous dressons contre la misogynie à l'origine de cette tragédie. C'est le moment d'agir contre la violence et la discrimination auxquelles les femmes, les filles et les personnes de diverses identités de genre font face au Canada et à travers le monde. Il est plus que temps de mettre fin à cette violence, qui bouleverse la vie des survivantes, des familles et des communautés entières. Les survivantes et les militants nous montrent la voie à suivre pour changer les choses. Ils sont une source d'inspiration pour nous tous. Peu importe notre identité de genre, nous avons la responsabilité commune de faire partie de la solution et de défendre les droits des femmes. Nous avons tous le pouvoir de faire une différence chaque jour, dans notre propre communauté. »
Quant au premier ministre du Québec, François Legault, il a déclaré : « Nous nous sommes réunis ce soir à Montréal pour commémorer la mémoire des victimes de Polytechnique. Il y a 30 ans aujourd'hui, 14 Québécoises se sont fait voler leur brillant avenir. Elles ont perdu la vie parce qu'elles étaient des femmes. La tragédie de Polytechnique Montréal a touché l'une de nos valeurs les plus fondamentales : l'égalité entre les femmes et les hommes. On ne peut plus tolérer la violence envers les femmes et on ne peut plus reléguer la lutte pour l'égalité au second plan. Cette tragédie est une cicatrice qui fait partie de notre histoire. Nous avons un devoir de mémoire, mais également d'action pour qu'un drame comme celui-là ne se répète pas. Aujourd'hui, nous faisons la promesse que nos valeurs d'égalité et d'humanité ne seront plus jamais terrassées par la haine. »
Rien à redire messieurs les premiers ministres sur votre rhétorique, mais à quand l'action concrète pour éliminer la discrimination systémique contre les femmes dans notre société. À titre d'exemple, monsieur Trudeau, que faites-vous pour éradiquer la violence faite aux femmes dans le monde et dans les pays en guerre comme la République démocratique du Congo ? Le contrôle des armes à feu c'est pour quand ? Quant à vous, monsieur Legault, je ne doute pas de vos bonnes intentions, mais dans la prochaine négociation des conditions de travail des employés de l'État que ferez-vous pour vous assurer que les femmes aient des conditions de travail égales à celles des hommes et pas juste concernant les salaires. La question du travail supplémentaire des infirmières est un bel exemple. Pourquoi aussi votre gouvernement veut-il abolir un palier démocratique comme les commissions scolaires alors que les femmes y sont majoritaires ? Je pourrais citer de nombreux autres exemples.
Faire du 6 décembre 1989 un événement signifiant
Les femmes ont montré l'exemple par leur résilience à la suite de la tuerie féminicide de Polytechnique. En cette journée sombre pour notre mémoire collective, une étincelle d'espoir brille dans le fait que ce drame n'a pas découragé les femmes d'étudier dans ce domaine ni de devenir ingénieures. Dans certains domaines du génie, leur nombre dépasse légèrement celui des étudiants masculins. C'est le cas en génie chimique, génie biomédical et génie biologique. Selon le tout dernier rapport d'Ingénieurs Canada intitulé Des ingénieurs canadiens pour l'avenir, la proportion de femmes inscrites à des programmes de génie au Canada a battu des records en 2016, tant au premier cycle (20,7 %) qu'au deuxième (25,3 %). En 1989, 17 % des étudiantes de Polytechnique étaient des femmes, tous niveaux d'études confondus. En 2017, leur proportion est de 28 %, soit 2300 étudiantes, ou près d'un étudiant sur trois. Leur nombre a augmenté aussi sur le marché du travail. En 1989-1990, elles n'étaient que 4,3 % des ingénieurs dans la province, alors qu'aujourd'hui elles sont un peu plus de 14 %.
Cela tend à démontrer que la folie de certains hommes ne peut venir à bout de notre humanité collective. Rappelons-nous en ce 6 décembre que les femmes sont souvent les victimes de la violence sous toutes ses formes et que nous devons collectivement développer une tolérance zéro envers toutes ces manifestations sexistes qui sont encore malheureusement présentes dans nos sociétés. L'égalité pleine et entière des femmes et des hommes demeure aujourd'hui un objectif à atteindre plutôt qu'un acquis de société. Il ne faut pas l'oublier en cette journée de commémoration à la faveur de ces jeunes femmes de Polytechnique il y a aujourd'hui 30 ans. Vaincre la discrimination systémique des femmes est une tâche de toute priorité pour notre société afin que nous puissions cesser de haïr les femmes et les tuer...