On jasait. Il y a bien longtemps, il me semble. Papa était
des nôtres. Avant 2003, donc. Probablement autour des années 1995-96.
Toujours est-il que nous parlions de l'école. De l'école et
des enfants. De l'école et des parents. À l'époque, un épisode survenu à
l'école avait mis un parent en furie. Celui-ci avait cru bon monter aux
barricades pour défendre son héritier de sang. Pour le père, les barricades,
c'étaient les médias. Je ne me rappelle plus trop de la nature de l'anecdote
(puisqu'il ne s'agissait que de cela, je me souviens bien), mais j'ai un
souvenir impérissable de la fin de l'entrevue télé où le père s'exclame avec un
air d'outré devenu dédaigneux : « En tous les cas, je me demande ben
ce qu'ils leur montrent à nos enfants dans ces écoles-là! »
Je me souviens avoir laissé échapper un : « ...sans
dessein... » bien senti à l'endroit du père.
La fin de la discussion me revient encore aujourd'hui. Et
c'est papa qui l'avait résumé: « on
aurait dû appeler cela le ministère de l'instruction. Pas de l'éducation.
L'éducation, c'est à la maison que ça se donne. »
Je trouve toujours que la conclusion de la discussion tient
la route.
Les années passent. Et l'on tient pour acquis que les temps
changent.
Pas tant. Des fois.
---
À l'aréna, un père menace l'entraîneur de l'équipe de son
fils. Il faut dire que son fils joue bien. Très bien. Déjà, il a une tête de
plus que les autres. Celle de son père, probablement, parce que lui, il semble
l'avoir perdue. Il engueule l'entraîneur devant tout le monde. « Fais
jouer mon gars, sans dessein, on veut la gagner cette game-là! » Il hurle,
ne ressentant rien du malaise profond qu'il sème autour de lui. En commençant
par son fils qui ne sait plus quoi penser devant cette pression, lui qui trouve
déjà qu'il est un peu hors du groupe parce qu'il est trop grand...
Le père en remet. Et en remet.
Le fils finit la partie. Et fait gagner son équipe.
1-0 pour le père
---
Deux ans plus tard, à l'école, le directeur convoque le même
père. Son fils a été pris à fumer un joint dans un petit boisé près de la cour
d'école. Le père est en furie. Il veut des détails. Son fils était avec deux autres
garçons. Voilà! Il comprend tout. Il s'écrie, les bras en l'air :
« Mon fils est un athlète, monsieur, encadrez-le mieux que ça. Les pommes
pourries (il a dit pourrites, mais bon) de la cour d'école l'ont entraîné
là-dedans, c'est clair. Agissez envers eux, sinon.... « Il arrête là ses
menaces, puis, il fait signe à son fils, qui assiste à tout cela, la tête
baissée : « Viens-t-en, si l'école règle pas ça avec les autres
élèves, moi, je vais m'en occuper. Ça va jouer dur. »
Le temps que le directeur réagisse, il était déjà seul dans
son bureau.
2-0 pour le père?
---
L'été suivant, loin de l'école, le père constate que l'eau
de la piscine que son voisin est en train de vider coule directement sur son
terrain. Le père revendique ses droits haut et fort : « Aïe, le
smatte, thèque ton eau! Je paie pas des taxes pour éponger le voisinage, moé!
Si tu règles pas ça tout de suite, je vais être obligé de prendre les moyens,
pis ça va aller moins bien, tu vas voir »
« Désolé, voisin, je pensais que ça suivrait la ligne
des cèdres... » répond timidement le voisin surpris.
« Ben oui, c'est ça», répond l'autre
exaspéré » t'as intérêt à regarder ce que tu fais, t'es pas tout seul sur
la planète... »
3-0 pour le père ?
---
Par une belle fin d'après-midi de septembre, le fameux père
revendicateur revient chez lui après une ballade en vélo. Le temps est
splendide. Un message l'attend sur le répondeur. « Monsieur, on voudrait
vous rencontrer le plus tôt possible. Votre fils est en retenue. Il a été
impliqué dans une séquence d'intimidation envers un autre élève. »
Le père saute dans la douche. Il va chercher ses deux autres
enfants à l'école et revient rapidement. Sa conjointe rentre du bureau au
moment où il entre dans la cour. Sans autre préambule, il déclare :
« Je vais chercher ton gars (!) à l'école. Il paraît qu'il a intimidé
quelqu'un. Veux-tu ben me dire ce qu'ils leur apprennent, dans cette école de
marde là? » Pendant que ses deux autres enfants s'éclipsent doucement, il
continue : « Moi, je te le dis, je le change d'école avant Noël, gang
de sans dessein... » Et il repart, bien décidé à protéger son fils de
l'incompétence de l'école. « Ils vont entendre parler de moi, eux
autres... »
4- 0 pour le père?
---
L'histoire s'arrête là.
Ou plutôt, pas tout à fait.
Je repensais à tout cela cette semaine en écoutant une
vieille toune de Paul Piché. Je vous laisse sur cet extrait : « Pis
les enfants, c'est pas vraiment, vraiment, méchant. Ça peut mal faire, faire
mal de temps en temps. Ça peut mentir, ça peut tricher, ça peut voler. Au fond,
ça peut faire tout ce qu'on leur apprend. »
Clin d'œil de la semaine
Le vieil adage dit: être parent, ça ne s'apprend pas à
l'école. Le faudrait-il?