Depuis longtemps, je fréquente la pensée du penseur marxiste
italien Antonio Gramschi qui fut le fondateur du parti communiste italien et
emprisonné par le régime de Mussolini. Ce penseur original est à l'origine des
concepts d'hégémonie culturelle et de penseurs organiques. Il est l'un des
auteurs les plus cités de notre monde contemporain. Aujourd'hui, je voudrais
citer l'une de ses réflexions que l'on peut trouver dans ses Cahiers de prison : « Le vieux monde se
meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent
les monstres. »
Comment ne pas faire de rapprochement avec l'idée exprimée
dans cette citation par Gramschi et notre actualité qui est marquée par le
dernier rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du
climat (GIEC) ? Ce dernier rapport crie à l'urgence d'agir en matière de
changements climatiques. Malgré les vérités scientifiques qui ne se démentent
pas, nous sommes collectivement incapables d'agir. Le hasard fait parfois bien
les choses, nous sommes en élection au Canada depuis dimanche et bientôt plus
de 1100 municipalités se sonneront de nouveaux conseils municipaux à la suite
des élections municipales de novembre prochain. Quelques réflexions sur l'état
de situation en matière de changements climatiques et surtout sur notre état
d'esprit collectif dans le contexte électoral des prochains mois.
Un bilan catastrophique
Le dernier rapport du GIEC ne laisse plus de choix. Selon
l'étude des derniers résultats scientifiques concernant la lutte aux
changements climatiques, l'humanité est au pied du mur. Empruntant un ton qui
valse entre l'apocalypse et l'espoir, la centaine de scientifiques qui signent
ce rapport appelle à l'action et celle-ci doit être immédiate. Il n'y a plus
place aux tergiversations. Le constat est clair : la vie comme nous la
connaissons sur terre n'est plus soutenable, il faut changer nos vies et ce
monde sans quoi la terre survivra, mais sans l'espèce humaine qui n'a jamais
cessé de la détruire. C'est l'analogie que je veux partager avec vous concernant
ce vieux monde qui meurt et le nouveau qui tarde à se manifester.
Le vieux monde qui s'écroule
nous le connaissons bien. Il est caractérisé en ce moment non seulement par des
guerres, la famine et les injustices, mais il sera aussi ponctué si nous ne
faisons rien de phénomènes climatiques extrêmes. Lisons le rapport des experts dans le texte
tel que rapporté par Radio-Canada : « Pénurie
d'eau, exode, malnutrition, extinction d'espèces... Quel que soit le rythme de
réduction des émissions de gaz à effet de serre, les impacts dévastateurs du
réchauffement sur la nature et l'humanité qui en dépend vont s'accélérer,
assure le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC),
et devenir douloureusement palpables bien avant 2050. La vie sur
Terre peut se remettre d'un changement climatique majeur en évoluant vers de
nouvelles espèces et en créant de nouveaux écosystèmes, note le résumé
technique de 137 pages. L'humanité ne le peut pas. »
Le constat
est implacable, le climat se réchauffe et nos actions tardent à se traduire
dans la réalité si bien que la cible de maintenir la hausse du réchauffement à
deux degrés maximum pour éviter le pire ne sera pas atteint si nous ne commençons
pas dès maintenant à poser des actions concrètes pour réduire le réchauffement
de la planète. C'est ici que le bât blesse, car l'atteinte de résultats passe
par des changements draconiens dans nos modes et styles de vies et cela sera
difficile, car nous sommes habités par nos monstres qui nous condamnent à l'inaction
et à l'impuissance. Ces monstres qui apparaissent dans le clair-obscur de l'intermède
entre le monde qui se meurt et celui qui tarde à naître. Quels sont ces
monstres ?
Nos
monstres
De mon
point de vue, les monstres qui peuplent nos vies se résument à l'acronyme HIPRA
qui est constitué des premières lettres de la définition de chacun de ces
monstres. Voyons cela.
D'abord, l'Hyperconsommation.
Nous vivons dans un monde où des entreprises s'affairent à créer des
besoins et nous à consommer des produits que nous n'avons pas vraiment besoin.
Cette consommation excessive se traduit par une course sans fin dans une vie
qui ne sert qu'à gagner de l'argent pour consommer. Cette consommation est l'un
des grands pans de notre système économique capitaliste qui est fondé sur le
seul profit et qui n'hésite pas à valoriser le capital au détriment de la vie
elle-même. Ce n'est pas le capitalisme qui est seul en cause. Après tout, ce
système économique a fait la preuve qu'il peut réduire les inégalités si l'État
peut contenir les pires excès à la faveur d'une plus grande justice sociale.
Puis, l'Insouciance. Nous
sommes insouciants parce que nous ne voulons pas changer un monde qui nous
avantage. Cette insouciance se traduit par des histoires que nous aimons bien
nous raconter et qui font de nous des gens meilleurs que nous le sommes. Notre
croyance au progrès et aux technologies miracles en fait partie.
Il y a
aussi la Peur du changement.
Nous avons peur de voir nos vies se modifier en pensant que la solution sera
pire que ce que nous connaissons. Pourtant, l'histoire de l'Occident tout au
moins est une démonstration que le monde change constamment et que nous les
humains avons une formidable capacité d'adaptation aux changements. D'ailleurs,
l'actuelle crise pandémique a bien fait voir que nous pouvons changer si nous
le voulons.
Pourquoi
alors ce Refus d'agir ? C'est cela la question
fondamentale. Nos gouvernements refusent d'agir parce que nous les électeurs
n'exigeons pas qu'ils agissent. Nous sommes plus préoccupés sur les progrès de
nos voisins et des autres pays en matière de luttes aux changements climatiques
que de nos propres actions. Pourtant, nous le devons à nos enfants et à nos
petits-enfants. Nous qui voulons protéger celles et ceux que nous aimons,
comment pouvons-nous assister impuissants à l'extinction de notre espèce ?
Enfin, l'Appât du gain semble le principal
coupable de notre refus d'agir, de notre peur changement, de notre insouciance
et de notre fuite en avant dans les biens de consommation. Pourquoi sommes-nous
impuissants à nous délivrer de ce monstre qui fait en sorte que nous voulons
toujours plus et toujours mieux pour assurer notre confort ? Cette course
effrénée dans un vide abyssal se fait au détriment de nos valeurs les plus
chères comme la justice sociale et l'égalité des conditions de vie du plus
grand nombre.
Nouer le dialogue
Il n'existe pas de solutions miracles pour enrayer
le réchauffement de la planète. Cela passe par le changement de nos vies et de
nos habitudes. Or, il sera essentiel pour que nous puissions livrer un combat
pour contrer les catastrophes appréhendées de nouer un dialogue entre nous tous
pour privilégier des voies d'action susceptibles de nous permettre de réussir.
Ce dialogue doit réunir tous les humains de cette planète, pas seulement nos
gouvernants. C'est un travail de longue haleine. On peut cependant commencer
par entamer ce dialogue entre Canadiens durant la campagne électorale
canadienne et la poursuivre lors des élections municipales qui s'en viennent à
grands pas.
Je ne crois pas à une élite éclairée qui va nous
conduire à la terre promise. Je suis plutôt enclin à croire plus que jamais à
la force de l'humanité en chacun de nous et au dialogue démocratique. N'en
déplaise aux petits tyrans qui croient que seules les élites ont droit de cité,
je crois pour ma part qu'il faut susciter un large débat démocratique sur cet
enjeu qui sera orienté vers des solutions concrètes qui auront pour effet de
réduire les effets des changements climatiques dans nos vies. C'est à ce prix
que nous serons capables de vaincre et de combattre nos monstres...