Récemment, l'une des lectrices de cette
chronique m'a demandé de vous entretenir relativement aux caméras de
surveillance en milieu de travail.
Au départ, il faut savoir qu'un individu
a droit à sa vie privée. De même, un travailleur a droit à des conditions de
travail justes et raisonnables dans le respect de son intégrité physique, de sa
santé, de sa sécurité.
Il est donc interdit à un employeur de
braquer des caméras sur des employés de façon systématique et constante de
telle sorte que tous les faits et gestes desdits employés soient
continuellement surveillés. Il s'agit là d'une forme de harcèlement, comme
l'écrivait l'arbitre Dulude :
« ...En
tout temps et en tout lieu, il (le travailleur) conserve sa dignité d'homme, sa
liberté individuelle. Il répugne à l'esprit qu'au cours des opérations
quotidiennes de son travail, il soit constamment sous observation électronique
au moyen de caméras braquées sur lui, que tous ses moindres gestes puissent
être épiés de façon continue tel un microbe sous microscope ... »
Voilà donc le grand principe de droit. Cependant,
il existe des exceptions.
La jurisprudence reconnaît à l'employeur
son droit d'installer des caméras afin de protéger ses secrets industriels et de
surveiller les allées et venues dans son usine. Dans l'affaire du Syndicat ... de la Fabrique Notre-Dame - CSN,
l'employeur avait installé dans la Basilique Notre-Dame des caméras de surveillance
à l'insu du syndicat.
Mis au courant de la situation, le
syndicat demande où sont situées lesdites caméras pour que l'on cesse toute
surveillance. L'arbitre maintient celles-ci en se fondant sur le fait que la
Basilique contient de nombreux objets précieux, que plusieurs visiteurs y
circulent quotidiennement, que des vols y ont déjà été perpétrés, que les
caméras ne sont pas installées de façon à ce que les employés soient
continuellement observés, contrôlés ou surveillés.
Le vandalisme est également reconnu
comme un motif justifiant la présence de caméras.
Qu'en
est-il de la surveillance des employés à l'extérieur des lieux du travail?
La Cour d'Appel du Québec s'est
prononcée en 1999 dans l'affaire Syndicat
... Bridgestone/Firestone (J.E. 99-1786 CA) et cette décision s'applique encore aujourd'hui.
En voici les faits.
Un employé âgé de 35 ans ayant
quinze années d'expérience fait une chute et se blesse au travail. Il rencontre
un médecin qui confirme un arrêt de travail. Plus tard, l'employé rencontre une
infirmière qui travaille pour l'employeur. Cette dernière est perplexe, elle
envoie le cas à un médecin désigné par la compagnie.
Au même moment, l'employeur décide de
faire suivre son employé par un enquêteur privé. Cette filature durera trois
jours.
Il appert que l'employé marchait
normalement lors de la filature, alors qu'il marchait avec difficulté lors des
examens médicaux. Le médecin de l'employeur qui examina le travailleur ne
constata aucune anomalie. Le médecin traitant évalua l'employé de façon
différente.
Deux autres filatures furent organisées
pour constater que l'employé ne semblait pas souffrir comme il le prétendait.
L'employeur rencontra l'employé, puis le
congédia parce qu'il avait menti afin de prolonger son congé.
Cette décision de l'arbitre fut soumise
à la Cour d'appel pour qui la surveillance d'une personne constitue une atteinte
à sa vie privée. Cependant un employé ne bénéficie pas d'un droit absolu à la
protection de sa vie privée.
C'est ainsi que conformément à l'article
9.1 de la Charte des droits et libertés de la personne, la Cour d'appel a
affirmé que si les exigences suivantes étaient rencontrées, il était possible
de limiter ce droit à la vie privée :
- un lien entre la
mesure prise et les exigences du bon fonctionnement de l'entreprise;
- des motifs
raisonnables et sérieux;
- la nécessité de
la surveillance pour vérifier le comportement de l'employé;
- des moyens de
surveillance limités et les moins intrusifs possibles.
La décision de congédier l'employé a
donc été maintenue, puisque l'employeur avait le droit de vérifier
l'honnêteté de celui-ci dans de telles
circonstances et que la filature répondait aux critères énoncés.
En conclusion, on ne peut pas se cacher
derrière la Charte des droits et libertés de la personne pour se défiler de nos
obligations, dont celle de l'honnêteté envers son employeur (Cet article a été
inspiré d'un texte d'une conférence de Me André Royer).
Au plaisir!