Un proverbe tibétain dit que « La colère qui vient d'une raison juste ne sert guère, et
celle-là peut être apaisée, mais qui saura calmer la colère de celui qui s'y
livre sans raison ? » Cela devrait servir d'inspiration aux militants et aux partisans
de la droite canadienne qui ne cesse de piquer des colères pour tout et rien
par les temps qui courent. La démission du premier ministre de l'Alberta Jason
Kenney de son parti devrait donner à réfléchir. Plus encore, la campagne au
leadership du fils chéri des conservateurs en colère, Pierre Poilievre vient en
ajouter sur la colère de la droite canadienne et sur ses impacts dans la vie
politique canadienne.
Atmosphère de
carnaval médiéval...
Il faut faire un lien entre la
montée du populisme et cette colère qui s'exprime tant dans le monde politique
que sur les réseaux sociaux. Nous sommes plongés d'une certaine manière dans la
tradition du carnaval médiéval. Une fête qui mettait le monde sans dessus et
sans dessous. Les différences de conditions s'effaçaient le temps de la fête
ainsi que toutes les hiérarchies qui régissaient les rapports sociaux. Toutes
les transgressions étaient permises durant la période carnavalesque. Cela
permettait de renverser de manière symbolique et pour un temps limité, toutes
les organisations sociales instituées entre le pouvoir et les dominés, entre le
noble et le trivial, entre le haut et le bas, entre le raffiné et le grossier
et entre le sacré et le profane. Quel est le lien avec le populisme et la
colère de la droite et la tradition carnavalesque médiévale ?
C'est que notre époque ne s'est
jamais tout à fait libérée du carnaval et de son esprit subversif. Plutôt que
de parcourir les rues déguisées, les nouveaux thuriféraires de l'esprit
subversif s'emploient à nous le faire connaître dans les caricatures, dans les
satires de spectacle télévisuel et aujourd'hui dans les invectives des trolls
sur Internet. Le carnaval a abandonné son rôle dans la marge de la conscience
des femmes et des hommes modernes pour acquérir aujourd'hui une centralité
inédite dans la vie publique en se positionnant comme le nouveau paradigme de
la vie politique globale. La haine à l'égard des élites a nourri la
désaffection envers les institutions et a engendré une nouvelle culture politique
qui s'abreuve au ressenti et aux émotions. C'est de la sorte que la colère sans
motif de mon proverbe tibétain est hors de contrôle, car celles et ceux qui s'y
livrent le font sans véritables raisons autres que celles d'occuper l'espace
public. C'est ce que nous pouvons observer dans la présente campagne au
leadership du Parti conservateur du Canada où le favori des foules, Pierre
Poilievre, abreuve ses disciples d'un discours populiste qui s'inscrit dans les
sentiers du refus de l'universel et du mépris des institutions.
Où s'en vont
les conservateurs ?
Les conservateurs peinent à
retrouver le pouvoir depuis leur défaite aux mains des libéraux de Justin
Trudeau en 2015. Stephen Harper a perdu son élection et depuis c'est le temps
des vaches maigres. Du leadership provisoire de Rona Ambrose au leadership
d'Andrew Scheer et d'Erin O'Toole, les conservateurs ont été incapables de
présenter des politiques rassembleuses aux Canadiennes et aux Canadiens. Ils
ont trébuché sur les questions liées au conservatisme social (droit à
l'avortement, droit des minorités sexuelles) et celles liées à leur refus de
reconnaître la réalité des changements climatiques et d'en tirer les
conclusions qui s'imposaient eu égard à leur discours proénergie
fossile. En fait, les conservateurs sont prisonniers de leur base électorale
dans l'Ouest canadien et de leur désir d'avoir raison plutôt que celui de
vouloir gagner des élections. Il faut dire en toute franchise que
l'expérimentation que les conservateurs ont pu faire de céder sur leurs
convictions pour agrandir leur tente d'électrices et d'électeurs n'a pas été
très fructueuse si l'on garde à l'esprit les tentatives infructueuses pour
percer l'électorat au Québec. À l'occasion de l'actuelle course au leadership,
il semble que le meneur Poilievre n'a pas envie de faire des compromis sur les
convictions et les valeurs qui animent les militants de la droite canadienne et
il préfère nourrir la bête de ce qu'elle veut l'entendre plutôt que de vouloir
la faire grandir dans une coalition politique plus large.
D'où les propos de ce candidat
énergique et populiste sur le congédiement du gouverneur général de la Banque
du Canada, sur les bitcoins, sur la tyrannie sanitaire du gouvernement Trudeau.
Son programme c'est de faire du Canada le pays le plus libre de la terre et de
combattre les élites même celles qui se trouvent parmi ses propres rangs. Ce
qui justifie son test de pureté conservateur concernant son principal
adversaire Jean Charest qui ne le passe pas bien entendu puisqu'il est un
vulgaire libéral. Avec un tel discours, les conservateurs s'en vont dans le mur
de l'indifférence des Canadiennes et des Canadiens. Cela ne semble pas les
effrayer si l'on observe le sort qui a été réservé au premier ministre de
l'Alberta jugé pas assez à droite par une frange importante de son parti. Ne
vous méprenez pas, on congédie Kenney parce qu'il n'est pas assez conservateur
alors que les sondages indiquent que l'adversaire est à gauche et il s'incarne
dans le visage de la cheffe du NPD, Rachel Notley. Cela n'augure rien de bon
pour l'avenir du Parti conservateur au Canada.
L'avenir du
parti conservateur
Je crois que dans sa forme actuelle
le Parti conservateur du Canada n'a pas d'avenir politique au Canada. La grande
coalition de Stephen Harper ne résistera pas aux années 2020 tout comme
celle qu'a faite Jason Kenney en Alberta et qui vient d'imploser en plein vol.
Cela ne signifie pas que les libéraux de Justin Trudeau ou de Chrystia Freeland
sont au pouvoir à demeure. La politique, c'est connu, est un endroit plus que
tout autre qui a horreur du vide, c'est pourquoi qu'au lendemain du vote au
leadership du 10 septembre prochain, qu'importe le vainqueur, le Parti
conservateur implosera pour se diviser entre une droite radicale et populiste
et une droite plus traditionnelle. Vous aurez compris que chacune de ces
tendances a déjà élu leur chef. Poilievre est le chef incontesté de cette
droite radicale et populiste alors que Jean Charest est le chef du Parti
conservateur progressiste du Canada.
Celles et ceux qui
pensent que le retour aux affaires de Jean Charest n'aura été que le temps
d'une course à la chefferie se trompent. Dans la vie, il ne faut jamais parier
contre Tom Brady et contre Jean Charest. Jean Charest est de retour pour de bon
dans le paysage politique canadien pour le meilleur et pour le pire. Le
résultat du 10 septembre prochain ne fera que dicter l'enchaînement des
événements soit Charest gagne et Poilievre quitte avec ses militants populistes
et leur colère soit Poilievre gagne et Charest fondera un Parti progressiste-conservateur.
Avec la campagne menée par Poilievre, toute réconciliation de ce parti est
désormais impossible. Il est aussi impossible que le parti de Poilievre puisse
un jour prétendre au vote des Ontariens, des Québécois et des gens des maritimes.
C'est pourquoi les bleus en colère le seront plus que jamais après leur course
au leadership Bleu de colère...