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Bleu de colère

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Daniel Nadeau Par Daniel Nadeau
Mercredi le 1 juin 2022

Un proverbe tibétain dit que « La colère qui vient d'une raison juste ne sert guère, et celle-là peut être apaisée, mais qui saura calmer la colère de celui qui s'y livre sans raison ? » Cela devrait servir d'inspiration aux militants et aux partisans de la droite canadienne qui ne cesse de piquer des colères pour tout et rien par les temps qui courent. La démission du premier ministre de l'Alberta Jason Kenney de son parti devrait donner à réfléchir. Plus encore, la campagne au leadership du fils chéri des conservateurs en colère, Pierre Poilievre vient en ajouter sur la colère de la droite canadienne et sur ses impacts dans la vie politique canadienne.

Atmosphère de carnaval médiéval...

Il faut faire un lien entre la montée du populisme et cette colère qui s'exprime tant dans le monde politique que sur les réseaux sociaux. Nous sommes plongés d'une certaine manière dans la tradition du carnaval médiéval. Une fête qui mettait le monde sans dessus et sans dessous. Les différences de conditions s'effaçaient le temps de la fête ainsi que toutes les hiérarchies qui régissaient les rapports sociaux. Toutes les transgressions étaient permises durant la période carnavalesque. Cela permettait de renverser de manière symbolique et pour un temps limité, toutes les organisations sociales instituées entre le pouvoir et les dominés, entre le noble et le trivial, entre le haut et le bas, entre le raffiné et le grossier et entre le sacré et le profane. Quel est le lien avec le populisme et la colère de la droite et la tradition carnavalesque médiévale ?

C'est que notre époque ne s'est jamais tout à fait libérée du carnaval et de son esprit subversif. Plutôt que de parcourir les rues déguisées, les nouveaux thuriféraires de l'esprit subversif s'emploient à nous le faire connaître dans les caricatures, dans les satires de spectacle télévisuel et aujourd'hui dans les invectives des trolls sur Internet. Le carnaval a abandonné son rôle dans la marge de la conscience des femmes et des hommes modernes pour acquérir aujourd'hui une centralité inédite dans la vie publique en se positionnant comme le nouveau paradigme de la vie politique globale. La haine à l'égard des élites a nourri la désaffection envers les institutions et a engendré une nouvelle culture politique qui s'abreuve au ressenti et aux émotions. C'est de la sorte que la colère sans motif de mon proverbe tibétain est hors de contrôle, car celles et ceux qui s'y livrent le font sans véritables raisons autres que celles d'occuper l'espace public. C'est ce que nous pouvons observer dans la présente campagne au leadership du Parti conservateur du Canada où le favori des foules, Pierre Poilievre, abreuve ses disciples d'un discours populiste qui s'inscrit dans les sentiers du refus de l'universel et du mépris des institutions.

Où s'en vont les conservateurs ?

Les conservateurs peinent à retrouver le pouvoir depuis leur défaite aux mains des libéraux de Justin Trudeau en 2015. Stephen Harper a perdu son élection et depuis c'est le temps des vaches maigres. Du leadership provisoire de Rona Ambrose au leadership d'Andrew Scheer et d'Erin O'Toole, les conservateurs ont été incapables de présenter des politiques rassembleuses aux Canadiennes et aux Canadiens. Ils ont trébuché sur les questions liées au conservatisme social (droit à l'avortement, droit des minorités sexuelles) et celles liées à leur refus de reconnaître la réalité des changements climatiques et d'en tirer les conclusions qui s'imposaient eu égard à leur discours proénergie fossile. En fait, les conservateurs sont prisonniers de leur base électorale dans l'Ouest canadien et de leur désir d'avoir raison plutôt que celui de vouloir gagner des élections. Il faut dire en toute franchise que l'expérimentation que les conservateurs ont pu faire de céder sur leurs convictions pour agrandir leur tente d'électrices et d'électeurs n'a pas été très fructueuse si l'on garde à l'esprit les tentatives infructueuses pour percer l'électorat au Québec. À l'occasion de l'actuelle course au leadership, il semble que le meneur Poilievre n'a pas envie de faire des compromis sur les convictions et les valeurs qui animent les militants de la droite canadienne et il préfère nourrir la bête de ce qu'elle veut l'entendre plutôt que de vouloir la faire grandir dans une coalition politique plus large.

D'où les propos de ce candidat énergique et populiste sur le congédiement du gouverneur général de la Banque du Canada, sur les bitcoins, sur la tyrannie sanitaire du gouvernement Trudeau. Son programme c'est de faire du Canada le pays le plus libre de la terre et de combattre les élites même celles qui se trouvent parmi ses propres rangs. Ce qui justifie son test de pureté conservateur concernant son principal adversaire Jean Charest qui ne le passe pas bien entendu puisqu'il est un vulgaire libéral. Avec un tel discours, les conservateurs s'en vont dans le mur de l'indifférence des Canadiennes et des Canadiens. Cela ne semble pas les effrayer si l'on observe le sort qui a été réservé au premier ministre de l'Alberta jugé pas assez à droite par une frange importante de son parti. Ne vous méprenez pas, on congédie Kenney parce qu'il n'est pas assez conservateur alors que les sondages indiquent que l'adversaire est à gauche et il s'incarne dans le visage de la cheffe du NPD, Rachel Notley. Cela n'augure rien de bon pour l'avenir du Parti conservateur au Canada.

L'avenir du parti conservateur

Je crois que dans sa forme actuelle le Parti conservateur du Canada n'a pas d'avenir politique au Canada. La grande coalition de Stephen Harper ne résistera pas aux années 2020 tout comme celle qu'a faite Jason Kenney en Alberta et qui vient d'imploser en plein vol. Cela ne signifie pas que les libéraux de Justin Trudeau ou de Chrystia Freeland sont au pouvoir à demeure. La politique, c'est connu, est un endroit plus que tout autre qui a horreur du vide, c'est pourquoi qu'au lendemain du vote au leadership du 10 septembre prochain, qu'importe le vainqueur, le Parti conservateur implosera pour se diviser entre une droite radicale et populiste et une droite plus traditionnelle. Vous aurez compris que chacune de ces tendances a déjà élu leur chef. Poilievre est le chef incontesté de cette droite radicale et populiste alors que Jean Charest est le chef du Parti conservateur progressiste du Canada.

Celles et ceux qui pensent que le retour aux affaires de Jean Charest n'aura été que le temps d'une course à la chefferie se trompent. Dans la vie, il ne faut jamais parier contre Tom Brady et contre Jean Charest. Jean Charest est de retour pour de bon dans le paysage politique canadien pour le meilleur et pour le pire. Le résultat du 10 septembre prochain ne fera que dicter l'enchaînement des événements soit Charest gagne et Poilievre quitte avec ses militants populistes et leur colère soit Poilievre gagne et Charest fondera un Parti progressiste-conservateur. Avec la campagne menée par Poilievre, toute réconciliation de ce parti est désormais impossible. Il est aussi impossible que le parti de Poilievre puisse un jour prétendre au vote des Ontariens, des Québécois et des gens des maritimes. C'est pourquoi les bleus en colère le seront plus que jamais après leur course au leadership Bleu de colère...

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