Il y a quarante-deux ans, la rue Wellington était bondée de
gens qui discutaient sous les marquises du centre-ville. Un policier dirigeait
la circulation dans la désormais célèbre poubelle de métal. Dans le décor
visuel des Sherbrookois, le café Bla-Bla était parmi les choix de restaurants à
visiter.
Situé coin King et Wellington, le Café Bla-Bla semble figé
dans le temps. Pour les nouveaux arrivants, c'est d'abord un repère visuel,
tout le monde reconnaît l'enseigne et de loin. Aujourd'hui le centre-ville s'est
modernisé, de nouveaux commerçants se sont greffés à l'univers commercialisé du
Centro. Mais le café est toujours bien portant.
J'arrive à la course au café Bla-Bla, la première neige
fondante de l'Estrie tombe sur nos têtes. J'entre dans le restaurant et c'est
la serveuse Chloé qui nous accueille. Depuis bientôt deux ans, Sébastien
Maillot est copropriétaire avec Jean-François Martel.
Sébastien, c'est le maître d'œuvre de l'établissement.
Employé depuis plusieurs années, il définit désormais son dévouement pour
l'endroit avec la gestion, la création et une soif animée d'offrir les plats
les plus goûteux et les plus abordables possible. Jean-François lui, tient d'une
main de maître le service à la clientèle au bout de ses doigts. Sylvain Auger
n'est jamais très loin. C'est le grand manitou de l'établissement culinaire. Il
fut durant toutes ces années le propriétaire de l'endroit. Aujourd'hui, ce
n'est pas rare de le croiser sur place. Sa vie, c'est le resto, ça demeure donc
sa priorité, même si les ficelles sont maintenant dirigées par Jean-François et
Sébastien.
Je prends place avec ma famille sur une coquette table à
quatre. Les chaises en fer forgé imitent parfaitement la forme d'un cœur. Le
décor a peu changé ici. Les habitués de la place renouent à chaque visite avec
leurs souvenirs les plus lointains. Ici, le menu de boissons est vraiment
hallucinant. Bières importées, bières de microbrasseries, cocktails sans
alcool, c'est le paradis des buveurs. L'amoureux choisit une Griffon Rousse.
Moi, un cocktail de jus Méli-Mélo. Un jus de fraise-kiwi, avec jus de
canneberge et orange. Ma belle-fille opte pour le grand gagnant du Bla-Bla. Le
passionné est une boisson texture slush, c'est fait sur place. Avec de la
mangue, du jus d'orange. Délectable.
Déjà, nous avons commandé notre entrée, deux soupes à
l'oignon et une portion de bruschetta. Quoi de mieux pour le réconfort que de
plonger une cuillère dans une soupe chaude. J'avais une envie folle d'une soupe
à l'oignon gratinée. Honnêtement, je ne suis pas déçue. Cette version est
l'antithèse d'un bouillon régulier. Les oignons baignent dans un liquide poivré
et à base de Moût de pommes Michel Jodoin. Beaucoup de croûtons, du fromage. La
portion est parfaite pour l'automne. Mention d'honneur pour l'adaptation du restaurant.
Ma belle-fille avait le souhait de manger un pain plus mou pour l'aider à
mastiquer à cause de ses broches. Ce vœu fût exaucé sans difficulté. Une belle
étoile dans le cahier de commentaires du restaurant.
Pendant que tout le monde mange, j'en profite pour reluquer
la place. Le Café Bla-Bla, c'est clairement l'ancêtre du réseau social
Facebook. Ici, on jase, on discute, on refait le monde, on étudie, on soupe en
amoureux, on sort entre amis après un spectacle et on échange des moments
cocasses. Ce n'est pas rare de croiser des étudiants du regard qui étudient
avec leur ordinateur portable branché au mur. Un café, deux cafés et une
dissertation.
Durant ma dégustation, l'illustre Madame Bou fait son entrée
dans le restaurant. C'est une icône du centre-ville. Elle sourit aux clients, chuchote son légendaire BOUH à tous et chacun et quitte l'endroit tout aussi
rapidement que son apparition. Au même moment, j'envoie en cuisine mon repas
principal, une cassolette espagnole. Une composition de type paella. Des
moules, des crevettes, du riz au safran et des morceaux de saucisses de la
compagnie estrienne Les Gars de la saucisse. J'aime le fait que ce soit parfumé
et provocateur comme composition d'assiettes. C'est goûteux. C'est ce que je
recherche d'un restaurant. Le goût, les saveurs.
Une lasagne arrive pour notre
adolescente et un burger pour mon chum. Le resto s'attire les éloges. Il est
réputé pour être LA place pour les meilleurs burgers en ville. D'abord, on doit
choisir notre viande. Un grand choix sur le menu. Il y en a tellement que je me
perds un peu. Canard, bœuf, poulet, végé, sanglier, veau, humm! Ensuite c'est
le festival des garnitures. Oignons confits, portobello, avocat, miel, hummus,
légumes sautés. Comme le resto n'est pas une bannière, il permet une plus
grande flexibilité avec les producteurs locaux. De la viande d'ici, des moules
d'ici, des pousses d'ici. Une productrice de champignons est même passée cet
été avec son petit panier au restaurant pour faire découvrir sa cueillette.
Même chose pour les têtes de violon. Pour le café Bla-Bla, c'est tout à fait
normal.
Au total, tout près de trente employés se relaient pour le
bon fonctionnement du resto. Un téléviseur sans volume dans le coin droit. Mais
c'est tout. Une musique en sourdine laisse toute la place au placotage. Au
comptoir-bar, le barman François cumule 32 ans de service. Des peines d'amour,
des rires, des projets, des papillons d'une première rencontre, depuis tant
d'années il en entend de toutes les couleurs.
Je fais la sélection de mon dernier droit vers le dessert.
Un gâteau double chocolat à partager et un café alcoolisé Banana Split pour
moi. C'est tellement bon que je planifie déjà de revenir juste pour prendre un
café spécialisé en fin de soirée.
Le café Bla-Bla possède une âme, une vraie. Elle diffuse
l'histoire, du vécu. L'aventure commence en entrant, avec l'affiche géante
éclairée du mythique monsieur frisé vert et ça se termine très tard en soirée.
Et Bla-Bla-Bla et Bla-Bla-Bla... alors, on
commence une discussion ?