Selon leur code de déontologie, les avocats ont envers leur client :
... un devoir de compétence ainsi que des obligations de loyauté, d'intégrité, d'indépendance, de désintéressement, de diligence et de prudence;
et selon le Code des professions :
«Article 59.2
Nul professionnel ne peut poser un acte dérogatoire à l'honneur ou à la dignité de sa profession...»
Dans un arrêt daté du 6 février 2015, le tribunal des professions qui est un tribunal composé de trois juges de la Cour du Québec chargé d'étudier et d'examiner en appel les décisions rendues par les différents conseils de discipline formés en vertu de la loi pour analyser le comportement de ses membres, a eu à se prononcer sur les faits ci-après énoncés (500-07-000832-133).
Une avocate ayant quatre ans et demi d'expérience pratiquant en droit de l'immigration, a eu à représenter un jeune homme d'origine tunisienne tout comme elle, auprès du ministère de l'Immigration et des communautés culturelles du Québec afin d'obtenir un certificat de sélection pour obtenir plus tard une autorisation de résidence permanente auprès d'Immigration et Citoyenneté Canada. Le client suit des cours de pilotage au Québec.
L'avocate prépare donc le dossier de son client, se présente avec lui à une entrevue auprès de la direction de l'Immigration économique du Québec. La demande est acceptée le jour de l'audition et le certificat de sélection du Québec est alors remis.
Quelques jours plus tard, selon la version de l'avocate, elle apprend d'un autre client que son premier client se vante d'avoir obtenu son certificat en présentant un faux diplôme.
L'avocate effectue certaines vérifications sur Internet pour se rendre compte que l'université d'où provient le diplôme est une université fictive qui décerne des diplômes de complaisance. Toujours selon la version de l'avocate, cette dernière avait rejoint son client pour l'inviter à «s'auto dénoncer» comme il ne semble pas vouloir agir, elle lui indique qu'elle entend le dénoncer auprès des autorités compétentes. Le client n'agit pas.
L'avocate est prise dans le dilemme suivant : doit-elle dénoncer son client au nom de l'intérêt public ou se taire dans l'intérêt de son client?
Après avoir consulté une collègue, cette dernière la réfère au Code de déontologie; elle ne consulte pas le syndic du Barreau qui aurait pu l'orienter. De sa propre initiative, l'avocate décide puisque son client a posé un geste illégal, qu'elle doit le dénoncer.
C'est ainsi que l'avocate fait parvenir des lettres à différentes autorités gouvernementales autant au Canada qu'en Tunisie dénonçant son client.
Plus tard étant informé de la situation, le client se plaint auprès du syndic du Barreau, l'avocate avait-elle raison d'agir ainsi?
Après examen du dossier, le Conseil de discipline du Barreau en vient à la conclusion que même si l'avocate :
«... avait décidé de ne plus représenter son client, le devoir de loyauté à son égard demeurait le même.
Dans les circonstances, la seule chose que l'intimée (l'avocate) pouvait faire était de se retirer du dossier de monsieur N.B.R. si elle ne se sentait plus à l'aise de le représenter. En aucun temps, elle ne pouvait se retourner contre son client et agir contre lui et contre les intérêts de celui-ci.»
Le Conseil de discipline du Barreau conclut à la culpabilité de l'avocate et la condamne à cinq (5) mois de suspension.
L'avocate soumet donc son dossier en appel devant le Tribunal des professions et invoque entre autres ses devoirs et obligations envers son client et ceux envers le public. Le Tribunal écrira à ce sujet :
90 «Or, justement, l'appelante (l'avocate) ne pouvait ainsi choisir entre ses devoirs et obligations envers son client d'une part et ses devoirs et obligations envers le public d'autre part. L'avocate ne peut ainsi faire du «pick and choose» parmi les divers devoirs et obligations prévues au Code de déontologie. Comme l'écrit l'intimé (le syndic du Barreau) dans son mémoire:
61 [...] les devoirs et obligations imposés aux avocats par leur Code de déontologie ne s'opposent pas. Ces différents devoirs-obligations ne peuvent être respectés pour un au détriment d'un autre.»
(Les soulignés sont de nous)
Pour le tribunal, l'avocate aurait dû consulter le bureau du syndic et cesser d'occuper pour son client.
92 «La seule option qui ne lui était pas ouverte : celle de dénoncer son client comme elle l'a fait.»
(Le souligné est de nous)
C'est ainsi que le tribunal des professions rejette l'appel de l'avocate, maintient sa condamnation et la sentence.
Il faut retenir de ce jugement que l'avocat en plus de son secret professionnel, a également un devoir de loyauté et de confidentialité envers son client malgré certains gestes répréhensibles que ce dernier peut commettre.
Au plaisir.