Depuis
ma jeunesse (et ma jeunesse commence à être pas mal expérimentée!), j'ai
tendance à pelleter par en avant. Au sens où souvent, mon premier réflexe est
de dire : « quand ce moment-là sera arrivé, ça ira mieux ». Ou
« quand ce moment sera passé, ce sera autre chose.» « Si mon
secondaire peut finir, je vais être plus libre! » « Si je peux avoir
ma voiture, je vais pouvoir faire plein de trucs ». « Si ... »
Vous voyez le genre...
À
l'époque, je disais « Minque ». « Minque que ça, ça arrive, ça
ira mieux! » Le « minque » est sorti de mon vocabulaire,
heureusement!
Cette
semaine, une photo a croisé mon œil. Évidemment, c'est mon œil qui a croisé la
photo, mais je le dis comme ça parce que j'ai souvent cette impression que les
médias sociaux sont programmés pour capter mon œil, plutôt que ce soit
l'inverse.
Une
photo d'avant et après une diète « sans effort ». La dame est
photographiée du cou à la cuisse, disons. On ne voit pas son visage. Elle est
de profil. On y dit qu'à peu près sans rien faire, elle a perdu, avec le
sourire, 60 livres. La photo est relayée par quelqu'un qui fait remarquer un
détail intéressant en écrivant : « une diète tellement efficace qu'elle
fait même disparaître les tatouages! » Effectivement, en y regardant de
plus près, la dame de la photo de gauche a un tatouage assez grand à la taille.
Et il a disparu après la diète : c'est pas beau, ça?
Il faut
se méfier de toutes ces photos truquées ou, parfois, carrément fausses. Pareil
pour les résultats promis pour le nettoyage ou de « remise à la vie! ».
Des crèmes de jour et de nuit aux produits cosmétiques de voiture, en passant
par le coup de pinceau qui rénove à lui seul une pièce, tout est visualisé en
mode (souvent douteux) avant et après.
Il y a
souvent supercherie. Vous achetez le produit qui doit ramener à l'état de neuf
un joint de silicone de la douche devenu noir et, subitement, le résultat n'est
pas le même que sur la photo. Même chose pour la cire auto qui doit redonner,
sans frotter, l'aspect du neuf à une peinture vieille de 10 ans.
Dans la
supercherie, il y a surtout la notion que tout était moins bon avant et que
tout sera tellement mieux après. La photo d'avant de la peau du visage de la
dame est probablement autant travaillée électroniquement que celle d'après. On
passe de l'épouvantable au supraparfait. Par extension, on vient aussi insinuer
que ce qui était fait hier n'est pas que différent de ce qui se fera demain,
mais est nécessairement moins bon que ce qui se fera demain.
Supercherie,
quand tu nous tiens.
Et le
piège, là-dedans?
Il est
au moins double. Le premier piège est de rendre l'âgisme systémique. Si ce qui
était hier est nécessairement moins bon que ce qui sera demain, ça veut dire
que ce qui vieillit devient inutile, dépassé et lourd à supporter. Ça fait
plein de personnes subitement « inutiles » d'une part, et ça met une
pression très forte sur ceux qui feront demain, d'autre part.
À
propos, vous le savez, vous, à quel âge on devient vieux?
L'autre
aspect du piège, c'est que cette façon de toujours anticiper demain nous fait
oublier de vivre aujourd'hui.
Entre
l'avant et l'après, il y a le pendant. Le seul sur lequel on a une certaine
poigne. Mais on l'occulte. Comme si on vivait tellement rapidement qu'on finit
par fuir le moment présent pour espérer que le moment d'après soit meilleur.
Mais le moment d'après, on le vit en espérant le suivant.
Et shlak...le
piège se referme...
Clin
d'œil de la semaine
- Un jour, notre vie va s'arrêter.
- Oui, mais ce sera le paradis
après, crains pas! »
- Ah, bon...