Les policiers sont plus que jamais en
vedette. Dans le cadre de la pandémie on leur a donné le difficile rôle
d'interpeller les gens pour qu'ils respectent les règles édictées par la Santé
publique. Des règles qui ne sont pas toujours populaires, mais qui sont
inexorablement des limites à des libertés que nous tenions pour acquises. Par
ailleurs, les corps de police sont sous pression en matière de racisme et de
discrimination. Ils sont régulièrement interpellés pour des pratiques de
profilage racial. Je passe sous silence les déboires de l'UPAC et les
rocambolesques épisodes des enquêtes sur les enquêtes ainsi que les incidents
dans lesquels les corps de police sont mêlés en matière de violence envers des
citoyennes et des citoyens.
Pas étonnant que la ministre de la Sécurité
publique, Geneviève Guilbault, ait cru nécessaire de confier à l'ancien maire
de Sherbrooke, Bernard Sévigny, la présidence d'une commission d'enquête
chargée de faire rapport sur l'avenir de la police. Ce rapport est attendu pour
le mois de mai prochain. N'empêche que la dernière bavure en liste du service
de police de la Ville de Montréal (SPVM) et du directeur des poursuites
criminelles et pénales (DPCP) à l'égard de l'arrestation injustifiée du citoyen
montréalais Mamadi III Fara Camara vient miner encore plus la confiance du
public envers ces institutions. Réflexion sur une crise inutile à Montréal.
L'affaire
Mamadi III Fara Camara
Le
28 janvier dernier à Montréal, un policier est blessé dans l'exercice de
ses fonctions dans le quartier Parc-Extension. Des coups de feu sont tirés. Le
policier aura été agressé par un citoyen après lui avoir remis une
contravention. Il a été frappé violemment et le policier Sanjay Vig a été
grièvement blessé. On lui a volé son arme et tiré dessus avec sa propre arme. Le
lendemain, le SPVM procède à l'arrestation de Mamadi lll Fara Camara.
Citoyen interpellé la veille par le policier agressé pour une contravention
pour utilisation illégale de son cellulaire au volant. Il est accusé de
tentative de meurtre. Nous avons appris par la suite que l'arrestation a été
musclée et que les policiers ont arrêté ce citoyen sans ménagements. Sa famille
a pu en témoigner aux médias.
Or,
après six jours de détention, le DPCP retire les accusations. Il y aurait eu
erreur sur la personne. Un troisième personnage aurait été vu sur place par le
biais d'une vidéo du ministère des Transports. Il n'en fallait pas plus pour
que la machine s'emballe. Les médias ont traité largement de cet événement
acceptant de faire fuir de nombreuses informations tentant d'expliquer pourquoi
le SPVM a pu faire une telle erreur. Le DPCP garde le silence sur la question
alors que la mairesse de la Ville de Montréal a déclaré l'innocence du prévenu
avant la police qui, de son côté, a tardé 24 heures de plus pour présenter
ses excuses au faux accusé de cette affaire. Tous réclament à cor et à cri une
commission d'enquête alors que le vrai coupable avec l'arme volée au policier est
toujours dans les rues de Montréal. Quel gâchis !
La
question que nous nous posons tous est la suivante : comment cela est-ce
possible ? Pourquoi la police arrête-t-elle un citoyen innocent pour un fait
aussi grave sans une preuve solide et hors de tout doute raisonnable ? Comment
le DPCP a-t-il pu se prêter à cette mascarade de justice alors qu'il doit
valider les éléments de preuve et s'assurer de la présomption d'innocence ? Il
y a dans ce dossier une comédie d'erreurs qui viennent remettre en cause notre
confiance déjà fortement ébranlée envers le système de justice. Quel gâchis !
La
présomption d'innocence
La règle de droit de la présomption
d'innocence a souvent volé la vedette ces dernières années dans des procès en
matière d'agression sexuelle. De nombreuses victimes ont remis cette notion en
question en affirmant que jamais on ne sera capable de condamner des coupables d'agression
sexuelle si on appliquait ce principe de droit avec son pendant qui dit que
l'on doit faire la preuve hors de tout doute raisonnable. Rappelons ici ces
règles que l'on cite souvent à tort. La présomption
d'innocence protège les personnes accusées d'avoir commis une
infraction à une loi. L'article 11 (d) de la Charte canadienne des droits
et libertés énonce ainsi le principe : « Tout inculpé a le droit [...] d'être présumé innocent tant qu'il n'est pas déclaré coupable,
conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l'issue d'un procès
public et équitable. Le principe s'impose aux tribunaux chargés de
déterminer si une personne est coupable d'une infraction. L'État ne peut condamner que pour des infractions
prévues par la loi et uniquement lorsque la preuve en a été faite dans le cadre
d'un procès public, équitable, donc dans le respect des règles de preuve et des
autres dispositions des lois applicables. La présomption d'innocence oblige les
juges à tenir pour acquis qu'une personne accusée est innocente jusqu'à ce que
soit établie la preuve de sa culpabilité. Pour les accusations criminelles, la
démonstration de culpabilité doit convaincre le juge au-delà du doute
raisonnable. À défaut d'une telle certitude, le doute bénéficie à l'accusé ».
Il faut convenir que c'est la présomption
d'innocence et ses règles qui souvent sont décriées qui ont sauvé Mamadi III
Fara Camara en l'occurrence. Sans cette règle, jamais le DPCP n'aurait retiré
ses accusations mal fondées à l'égard du prévenu et une grave injustice aurait
été commise envers ce citoyen.
La suite des choses
Contrairement
à bien des commentaires lus et entendus dans l'espace public québécois, je suis
d'avis qu'il faut se féliciter de constater que le système fonctionne et que
les gardes de fous sont bien en place pour éviter de commettre de graves
injustices. Les bavures néanmoins ne sont pas toujours évitables. Il faut aussi
faire preuve d'empathie envers le corps policier qui doit réagir à une attaque
contre l'un de ses membres. On peut comprendre que l'émotivité est à son comble
et qu'un esprit de corps vient engluer le jugement des gens impliqués dans une
telle enquête. Les autorités ont le devoir de mettre en place des règles
particulières dans de telles circonstances comme le recommanda il y a longtemps
le rapport Poitras. Dans un tel cas, il aurait mieux valu que l'on confie
l'enquête à un autre corps de police comme la Sûreté du Québec ou les policiers
de Longueuil ou de Laval. Voilà l'erreur du SPVM, qui contrairement aux propos
de son directeur Sylvain Caron n'a pas fait preuve de la plus grande rigueur
dans cette enquête. Quant au ministre de la Justice, Simon Jolin-Barette et la
mairesse de Montréal, Valérie Plante, il aurait été mieux avisé de réserver
leurs commentaires qui ont blanchi Mamadi III Fara Camara ou accusé les
autorités avant qu'une enquête soit mise en place. La précipitation est
toujours mauvaise conseillère dans ce type de circonstances. Les médias
auraient dû faire preuve de plus de retenue et refuser de se laisser « pisser
dans les oreilles » par le SPVM pour justifier son travail. Le premier ministre
du Canada Justin Trudeau quant à lui devrait se méfier des amalgames avec sa
grande croyance dans le racisme systémique pour commenter des dossiers qui ne
sont pas de son ressort. Bref, une comédie d'erreurs de tous les acteurs, mais
la pire erreur est celle de la police. Heureusement, on a offert des excuses
publiques à Mamadi III Fara Camara. Mieux vaut tard que jamais dit
le vieil adage. Allo la police...