Vous faites du vélo de
montagne, vous utilisez le télésiège pour une dernière descente.
À quelque 300 mètres du
débarcadère, le télésiège s'arrête. Vous entendez « fermeture de la montagne ».
Vous voyez les préposés au débarcadère,
vous hurlez pour attirer leur attention, sans réponse. Vous les voyez quitter
les lieux en véhicule tout terrain. Vous comprenez que vous avez été oublié.
Vous analysez la situation,
vous êtes à une hauteur de 10 mètres du sol, vous êtes en T-shirt, il fait
environ 15 degrés Celsius, vos vêtements sont humides suite à la transpiration,
le centre n'ouvrira pas avant dix heures le lendemain matin. Vous avez déjà
suivi des cours de secourisme pour lesquels vous êtes diplômé, vous craignez de
tomber en hypothermie durant la nuit. Vous n'avez aucun moyen de communication
et personne ne vous attend ce soir-là. La solution de sauter vous apparaît
impossible compte tenu de la hauteur.
Vous apercevez derrière vous un
pylône qui se trouve à une dizaine de mètres, pylône sur lequel se trouve une
plateforme et un garde-fou, permettant aux employés d'y accéder pour faire
l'entretien. Sur le pylône se trouve des barreaux qui permettent d'accéder à la
plateforme. Il n'y a aucun siège entre vous et le pylône.
Après réflexion, vous décidez
d'utiliser le câble pour vous rendre au pylône. À mi-chemin sur le câble, vous
apercevez des randonneurs qui sortent de la forêt; ces derniers communiquent
avec le 9-1-1.
Vous poursuivez votre chemin,
alors que vous êtes à un mètre environ du pylône, vous perdez prise et vous
chutez au sol.
Les secouristes arrivent et
vous conduisent à l'hôpital. Vous avez subi de nombreuses blessures.
Êtes-vous responsable de votre
malheur?
En juin 2021, la Cour d'Appel
du Québec a eu à se prononcer sur cette situation (1). En effet, la Cour devait
décider de certaines questions juridiques dont celle de savoir si la station
avait une obligation de moyen ou de résultat pour assurer la sécurité de son
client, est-ce que la manoeuvre utilisée par la victime a été bien analysée par
le juge de première instance, est-ce que la manoeuvre pouvait constituer une
faute pour une personne raisonnable, est-ce que les manoeuvres utilisées
constituait un motif pour briser le lien entre la faute de la station et les
dommages subis et finalement est-ce que les gestes posées par le demandeur ont
contribué au préjudice qu'il a subi?
La Cour d'appel statue que le
juge de première instance n'a pas commis d'erreur en concluant qu'il s'agit là
d'une obligation de résultat. :
(56)...le juge n'a pas commis d'erreur en concluant que
l'obligation de Ski Bromont de s'assurer que M. Jauvin ne soit pas oublié dans
le télésiège était une obligation de résultat...(2)
(1) Ski Bromont.com c Vincent Jauvin
(2021QCCA1070)
(2) 2021 QCCA paragraphe 56
Relativement au choix de la manoeuvre et est-ce que celle-ci
constituant une faute, la Cour analysant les propos du premier juge sur le
sujet s'exprime comme suit :
(65) Dans un premier temps, il (le juge)
conclut que les craintes de M. Jauvin quant aux risques d'hypothermie ou de
chutes étaient fondées. Il conclut également que son calcul soit qu'il courait
un risque moins grand en tentant de se secourir qu'en restant dans le télésiège
toute la nuit était raisonnable dans les circonstances. Ceci étant, il conclut
que M. Jauvin n'a pas commis de faute. (3)
Or comme
l'appelant n'a pas soumis d'élément permettant de conclure que le premier juge
a commis une erreur, la Cour reconnait l'évaluation qu'a fait le premier juge
de l'analyse de M. Jauvin.
Finalement en
ce qui concerne l'argument à l'effet que la chute est une faute subséquente à
celle du manquement à la sécurité qui rompait le lien de causalité entre la
faute et les dommages, la Cour reprendra les propos du juge de première
instance pour rejeter l'argument :
(105) Dans le présent cas, Ski Bromont a
commis une faute en conséquence de laquelle Vincent s'est retrouvé coincé sur
la montagne et exposé de manière inattendue à un grave danger dont le risque
qu'il se matérialise croissant (sic) de minute en minute. Sa tentative
infructueuse de s'extirper de ce pétrin est en continuum avec la faute initiale
commise par Ski Bromont.
(106) Il n'y a pas eu rupture du lien de
causalité (4)
Il est à noter
que la décision souffre d'une dissidence. En effet, le juge Schrager, considère
qu'étant donné que la signalisation de Ski Bromont indiquait au bas de la
remontée mécanique la possibilité le 9-1-1, que le site web informait les
cyclistes qu'ils devraient avoir sur un eux un téléphone cellulaire, M. Jauvin
aurait dû ainsi avoir avec lui un cellulaire. Le juge considère donc que
l'intimé devrait assumer 25% de la responsabilité pour ses dommages.
Il y a lieu de
conclure que la sécurité constitue une obligation de résultat de la part de
ceux qui offrent des services et qu'avant de prendre une décision dans une
situation périlleuse qui pourrait entrainer des dommages, celle-ci doit être
bien mûrie.
(3) 2021 QCCA paragraphe 65
(4) 2021 QCCA paragraphe
105-106