Samedi soir dernier, je suis entrée dans la salle du Théâtre Léonard-Saint-Laurent avec l'espoir de m'évader. Le bruit des vagues et des oiseaux a vite trouvé le creux de mes oreilles. À la levée du rideau, huit corps étendus sur le sable chaud. Aux alentours, des chaises longues, des petites pelles et des serviettes de plage sont éparpillées dans le décor de L'anti-plage, la troisième production de la troupe L'Abattoir. Bienvenue à la station balnéaire des limbes, l'endroit idéal pour vivre après la mort.
« La mort est abordée, mais c'est tout sauf dramatique : c'est un spectacle, une occasion de faire de l'argent, de se faire prendre en pitié... C'est quasiment cruel la manière dont on a décidé de parler de la mort. Il faut que le spectateur comprenne qu'elle n'a plus aucune valeur dans l'univers de la pièce », explique l'auteur Mathieu K. Blais. Dans L'anti-plage, huit acteurs (Jasmin Boudreau, Danye Brochu, Gabriel Cloutier-Tremblay, Caroline Fontaine, Guillaume Gosselin, Sabrina Pariseau, Patrick Straehl et Valérie Toupin Delafontaine) se partagent 26 personnages. « Huit touristes qui se font bronzer quand ils ne sont pas occupés à rejouer leur mort. C'est des gens sur la plage qui font des sketchs, comme si la vie après la mort est un genre de théâtre à l'infini où ils rejouent leur propre mort », a-t-il affirmé.
Dès le premier acte (à l'ambulance), on apprend que le grand acteur Jeffrey Dalton n'a pas survécu à une terrible crise cardiaque lors d'un tapis rouge. Au deuxième acte (à l'hôpital), Olivia est en phase terminale, couchée dans un lit. Sa mère en profite pour inviter des curieux afin qu'ils assistent au dernier souffle de sa fille. Lors du troisième acte (à la morgue), les personnages de l'anti-plage ont été victimes d'une tuerie dans un salon de coiffure. Dans le quatrième (au salon funéraire), Tony Taylor est exposé, mais il n'y a personne à ses côtés. Une certaine Mme Lewis passe par là, mais elle s'est malheureusement trompée de salle. Finalement, il y a le cinquième acte : au cimetière. Bambi Krabbenhoft se cache pour ne pas être enterrée. Tous les invités réunis la forcent à entrer dans le trou... Bien des scènes nous font rire à gorge déployée, et d'autres... pas du tout. L'interprétation des divers personnages que campe Sabrina Pariseau m'a carrément charmée. Je crois d'ailleurs l'avoir déjà vue jouée entre les quatre bandes de l'Abordage... Une jeune comédienne qu'il faut surveiller selon moi.
Cinq actes détachés, mais ayant comme seul fil conducteur : la mort. Le tout est agrémenté d'une trame sonore réconfortante : le son des vagues. Les tableaux ont été agencés pour amener le spectateur à suivre les nombreuses phases de la mort. La plage est un prétexte pour nous transporter ailleurs qu'au paradis, celui qu'on rêve de connaître après notre vie sur la terre. La mort et la plage, deux concepts totalement éloignés, mais qui ont été fusionnés pour créer un équilibre parfait dans l'univers absurde de la troisième pièce de L'Abattoir. L'évasion a été réussie!
L'Abattoir, c'est du théâtre d'action et, surtout, on laisse le spectateur interpréter l'histoire à sa façon, sans lui donner des pistes avec de la narration par exemple. Mathieu aime bien mettre ses personnages dans le moment présent, sans avoir à ajouter trop de flaflas avec certaines conventions. La troupe de théâtre nous emmène davantage dans quelque chose de très épuré et burlesque à la fois, que ce soit à travers les textes ou grâce à la mise en scène.
L'Abattoir : une troupe de théâtre qui sort des conventions
Tous deux issus du programme en études littéraires à l'Université de Sherbrooke, Mathieu K. Blais et Mylène V. Rioux (metteure en scène de L'anti-plage) ont collaboré à un projet théâtral pour la première fois en 2007. Alors que Mathieu avait soumis son texte aux Mille Feux, Mylène s'occupait de la mise en scène. Un peu plus tard, l'idée de fonder une troupe ensemble est venue d'elle-même. « On était complémentaire, parce qu'elle est très forte en direction d'acteurs et moi, j'ai fait une maîtrise en création littéraire. C'est ça ma force dans l'équipe. Sans avoir étudié en théâtre, on avait juste le goût d'en faire », a exprimé l'auteur des productions.
Dès février 2008, le duo Blais-Rioux s'impose avec Le revolver porte une brassière, une pièce plus abstraite et expérimentale, mais qui a tout de même donné le ton au genre comédie absurde qu'exploite naturellement l'auteur. C'est ce qui fait la marque des créations de L'Abattoir. « Je trouve que le théâtre est un art imparfait. J'ai de la difficulté à m'asseoir dans une salle et à y croire quand c'est juste du drame. Je trouve ça grossier et je n'y crois pas », lance celui qui enseigne entre autres la littérature au Cégep de Sherbrooke. Lorsqu'il écrit et crée des personnages, Mathieu a le réflexe de mettre leur côté plus grotesque en évidence. En 2009, ils ont monté Vietnam pour un grilled cheese, une production tout aussi dérangeante, mais ô combien surprenante. « Elle était peut-être trop accessible par moment. Sans la renier, on l'a fait pour en donner plus au public. C'était ça notre défi cette année avec L'anti-plage, on est revenu à un juste milieu. Pas trop bonbon, ni trop expérimental », souligne-t-il.
L'anti-plage est présentée ce jeudi, vendredi et samedi à 20 h au Théâtre Léonard-Saint-Laurent (200, rue Peel à Sherbrooke). Pour plus d'information, visitez leur site : http://abattoirtheatre.wordpress.com/.