Nous parlons beaucoup de la Syrie dernièrement à cause de l'exode de sa population vers l'Europe. Cela fait 4 ans que la guerre perdure dans ce coin de la planète en semant son lot de destruction. Cette chronique n'a pas pour but de vous vendre la Syrie comme future destination touristique, mais elle se veut plutôt une forme de conscientisation axée sur la nostalgie de sa beauté récemment perdue. Je m'y suis rendu quelques mois avant que ne débutent officiellement les hostilités, et il faut dire que ce pays, du moins son régime dictatorial dirigé par Bashar Al-Assad, était loin d'être parfait, mais rien ne laissait présager un futur aussi violent.
Toutefois, quelques chauffeurs de taxis et d'autres transports, habituellement des témoins sociaux fiables, m'ont clamé leur exaspération face à l'autorité contraignante du régime. Dans un pays où chaque discussion et déclaration pouvait éventuellement mener en prison, et où une ville complète, population incluse, pouvait être cernée et en partie massacrée pour son opposition ouverte au régime (Hama, 1982). Je trouvais que des commentaires comme : « Tu vas voir, ça va exploser bientôt! La famille Assad en a trop fait! » étaient assez courageux de leur part. C'était un signe que les mentalités se durcissaient face à leurs dirigeants, mais je ne m'y suis jamais senti menacé; au contraire, chaque fois que j'arrivais dans une nouvelle région, des gens m'accueillaient et m'offraient de visiter avec eux... Si je refusais, car je voulais plutôt visiter seul, ils m'accompagnaient à l'entrée des sites en question et me souhaitaient bonne journée avec le sourire! On m'invitait à visiter les mosquées, les églises et les autres lieux de culte en me fournissant l'habillement adéquat nécessaire.
Contrairement à bien d'autres endroits, je n'ai jamais eu le sentiment qu'on essayait de m'arnaquer lorsque je magasinais, je me suis même surpris à remarquer que je payais toujours le même prix que les locaux... Une fois, j'ai acheté un film sur DVD et je me suis rendu compte, après coup, que le son était très mauvais; je suis retourné voir le vendeur et il me l'a échangé, puis m'en a donné un second en guise d'excuse. Un peuple civilisé, éduqué et culturellement varié, qui paie aujourd'hui le prix pour avoir désiré une gouvernance plus démocratique...
C'est ainsi que des manifestations, s'inscrivant dans la mouvance révolutionnaire du jasmin, se sont terminées en bain de sang, ce qui a mené à une radicalisation des rebelles, qui entrèrent en guerre civile contre leur dictateur. Cette guerre assez cruelle envers les civils a déstabilisé et fragilisé le pays, ce qui a permis au Groupe armé État islamique d'entrer par la porte arrière et de faire encore plus de dommages...
Les magnifiques villes d'Alep et de Damas, totalement défigurées par les bombardements, sont inscrites au patrimoine mondial de l'UNESCO pour de nombreuses raisons, mais principalement, car il s'agit des villes constamment habitées les plus anciennes du monde. J'ai de bons souvenirs des souks remplis d'épices, de tissus colorés, de nourritures séchées et d'objets ornementaux métalliques, mais surtout des vendeurs qui m'invitent à prendre le thé beaucoup plus dans un but relationnel que mercantile. Je vais toujours me souvenir des kiosques à jus frais, sucrés au miel, incroyablement bon marché, qu'on retrouvait un peu partout en Syrie. 
Les vieilles villes occuperont aussi mon esprit avec leur architecture hétérogène et plurimillénaire, leurs lieux de culte lourdement décorés de mosaïques, de boiseries et de métaux travaillés, souvent cachés derrière de vieilles arcades, de l'autre côté d'un tunnel ou à l'intérieur de murailles médiévales. C'est là, en plus des multiples musées renfermant des chefs-d'œuvre de l'art sumérien (personnages aux yeux globuleux), que j'ai passé le plus clair de mon temps en ville!
Puisque la guerre fait toujours rage, ce n'est qu'ultérieurement que nous pourrons effectuer un bilan de ce qui a été détruit, soit par les bombardements d'Al-Assad ou par la volonté inculte et barbare du groupe EI d'annihiler l'histoire en détruisant les vestiges des autres sociétés qui y vivaient avec un autre système de croyances. Parmi les plus beaux sites qu'il me fut donné de visiter figurent les suivants :
Palmyre
Ville antique qui donna du fil à retordre aux Romains durant leur expansion au Levant, et dont le temple de Baal (détruit par l'EI), les riches tombes et les rues bordées d'arches sont classés au patrimoine mondial. Je l'ai visité durant deux jours complets afin de l'admirer sous tous ses angles à différents moments de la journée, et ce dans une liberté d'action assez impressionnante pour le joyau architectural qu'elle constitue.
Bosra
On l'appelle « la ville noire », car les Nabatéens, puis les Romains ont utilisé de solides pierres de basalte pour y construire l'ensemble des bâtiments, dont un théâtre fortifié très impressionnant... En fait, dû à son excellent état de conservation, il s'agit du plus intéressant vestige romain qu'il me fut donné de voir! Nous étions moins de 10 visiteurs à sillonner les 4 étages ainsi que les murailles lors de mon passage : une rencontre intime avec l'histoire. Cela m'a donné l'occasion de tester l'acoustique avec une chanson d'Elvis au plus grand damne ou pour le bonheur (c'est selon...) de mes nouveaux amis installés dans les gradins.
Krak des Chevaliers
Un de mes rêves d'enfant! Explorer un immense château fortifié du moyen-âge... Cette imprenable forteresse juchée au sommet d'une bonne élévation permet, en temps clair, de voir arriver toute armée ou caravane commerciale circulant dans la région. Bâtie durant les croisades, ses murailles de pierres massives défendent un château, des tours, une cathédrale, des écuries, des réservoirs d'eau, bref, les occupants étaient quasi-autonomes. Une dizaine d'heures de plaisir avec et sans lampe frontale à imaginer la vie de l'époque.
Les rives de l'Euphrate et le lac Assad
J'ai énormément apprécié la quiétude après avoir visité la dynamique Raqqa, aujourd'hui tristement célèbre pour être la capitale de l'intangible califat de l'État islamique en Iraq et en Syrie. Il y a aussi Ougarit, près de Lattakia, d'où proviennent les premières traces de notre écriture ainsi que la première composition musicale de l'humanité! Plus près d'Alep, les villes fantômes, toutes construites de pierres et datant du temps des Romains, m'ont captivé et m'ont permis d'apprendre énormément sur les techniques, les outils ainsi que la vie quotidienne des gens de cette époque.
Plus les jours passent, plus je réalise que la Syrie, tellement riche de sa culture, de ses arts et de son expertise architecturale, ne sera plus jamais pareille! Mais surtout, je réalise que le joyau le plus important à préserver est son peuple, dynamique et accueillant, qui souffre énormément des hostilités qui ravagent leur pays... Nous avons le pouvoir de sauver plusieurs Syriens de la misère en ouvrant réellement nos portes à leur immigration, ici, maintenant! Ils seront une richesse pour notre société. Ensuite, nous pourrons les aider à rebâtir leur contrée et, qui sait, peut-être avoir la chance de contempler à nouveau ses merveilles...
À bientôt,
