Plus qu'un
simple lieu d'enfermement ou de surveillance, la prison évolue au même rythme
que la ville. De bâtiment carcéral à monument historique, la prison de la rue
Winter, bâtie entre 1865 et 1867, se fond dans le décor urbain sherbrookois. Du
premier détenu incarcéré en 1869 à son dernier, en 1990, l'héritage de la
prison demeure encore vivant, à travers les images, les archives et les
histoires.
Avec l'essor industriel
et démographique que connaît la ville de Sherbrooke durant le xixe siècle,
le sous-sol du palais de justice ne suffit plus pour héberger les
détenus. En 1825, une prison commune est construite à la jonction des rues Montréal,
Summer et Williams. Cependant, les conséquences de la révolution industrielle
en Estrie sont si importantes que cette prison ne répond plus aux
besoins : elle cesse ses activités en 1887 et est démolie en 1889.
Une
modernisation s'impose pour répondre adéquatement aux besoins. Ainsi débute la
construction de la prison de la rue Winter, qui se fait en deux temps. Lors de
la première phase, entre 1865 et 1867, la partie centrale et l'aile gauche de
la prison sont construites au coût de 27 022 $. Lors de la deuxième phase,
entre 1869 et 1872, le mur d'enceinte (6 200 $) et l'aile droite (12 400 $)
de la prison sont érigés.
Présentant
une architecture de style palladien (d'inspiration Renaissance italienne),
la prison de la rue Winter est le plus vieux bâtiment en pierre de taille à
Sherbrooke et le seul édifice au Canada à posséder un mur d'enceinte de prison encore
intact. L'architecte Frederick Preston Rubidge a dessiné deux ailes pour la
prison - l'une pour les détenus en attente de jugement et l'autre pour ceux
purgeant leur peine. Avec des cellules simples (de 2,45 m par 90 cm,
d'une hauteur de 2,75 m) et doubles (de 2,45 m par 2,15 m, d'une
hauteur de 2,75 m), la prison fonctionne selon le système auburnien,
d'inspiration américaine : les détenus, forcés à travailler, vivent en
commun le jour et sont isolés dans leurs cellules le soir.
Dès ses
premières années en fonction, la prison est lourdement critiquée par les
inspecteurs pour son manque de salubrité et son inconfort. En 1872, les
prisonniers se plaignent d'être enfumés au dernier étage à cause des problèmes
de cheminée. Les toilettes ne sont installées qu'en 1899 et le système de
chauffage au poêle à bois n'est remplacé qu'en 1913.
Les conditions
ne s'améliorent guère. En 1974, un
ex-détenu s'adresse ainsi aux lecteurs de La Tribune : « pour
se coucher, on doit le faire à quatre pattes, car les murs touchent le lit des
deux côtés [...] si durant la nuit il a à satisfaire un besoin de la nature, il
doit se servir d'une chaudière à cet effet, le lendemain c'est la parade des "bucket" ».
Les registres d'écrou de 1882 à 1915 permettent de brosser un portrait des
détenus de la prison de la rue Winter. De manière générale, les ouvriers sont
le plus souvent arrêtés pour ivresse et envoyés en prison pour avoir troublé la
paix. Du côté des femmes incarcérées, la prisonnière type est âgée de 17 à 45 ans,
occupe un emploi de domestique, est sans éducation et est arrêtée pour des
crimes contre l'ordre public comme l'ivresse, le vagabondage et l'inconduite (le
terme prostitution n'apparaît que rarement et semble camouflé sous des termes
généraux). Ces deux portraits reflètent le tournant historique de la fin du xixe siècle où les
autorités cherchent à épurer la ville en éliminant tout désordre.
L'histoire de la prison de
la rue Winter est unique au Canada, tant par son bâtiment que par son histoire,
qui compte six pendaisons : William Gray le 10 décembre 1880, William
Wallace Blanchard le 12 décembre 1890, Rémi Lamontagne le 19 décembre
1890, Antonio Poliquin le 20 février 1931, Albert Vincent le 15 mai
1931 et, finalement, Pierre Albert St-Pierre le 6 mai 1932. Devant la
potence se trouve chaque fois une foule de curieux avides de se retrouver au
premier rang. Le 20 février 1931, le journal La Tribune rapporte que « pendant l'exécution [d'Antonio
Poliquin], une trentaine de personnes tentèrent de s'aventurer près de la
prison, [...] deux ou trois personnes apparurent sur le toit du Manège Militaire
du 53e régiment. [...] Après l'exécution, ceux qui n'avaient pu entrer
montèrent dans les arbres ou dans les poteaux de télégraphe dans l'espoir de
voir quelque chose, mais tout était fini ».
Vous souhaitez en connaître
davantage sur cette prison? Consultez le microsite Projet Winter réalisé à l'été 2020
par l'Université de Sherbrooke et le Cégep de Sherbrooke.
Sources :
BLANCHARD, Carolyne, « La criminalité féminine dans le district
judiciaire de Saint-François (1874-1928) », thèse de maîtrise, Sherbrooke,
Université de Sherbrooke, 2003, 132 p.
GAGNON, François, « La population carcérale de l'établissement de
détention de Sherbrooke, 1891-1931 », Sherbrooke, Université de Sherbrooke,
2001, 119 p.
Gouvernement
du Québec, « Prison Winter », Répertoire du patrimoine culturel du Québec [site
Web]. < https://www.patrimoine-culturel.gouv.qc.ca/rpcq/detail.do?methode=consulter&id=168494&type=bien > (consulté le 8 mars
2021).
Historiamatica,
Projet Winter [site Web], 2020< https://winter.historiamati.ca/ > (consulté le 8 mars
2021).
« Il
faut bâtir une prison neuve à Sherbrooke », La Tribune, 31 octobre
1974, [en ligne]. ˂ https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/3649598 ˃ (consulté le 8 mars 2021)..
La Société d'histoire de
Sherbrooke, Guide historique du Vieux
Sherbrooke, 2001, 271 p.
« La
prison Winter enfin sauvée », La Tribune, 6 décembre 2019, [en
ligne]. https://www.latribune.ca/actualites/la-prison-winter-enfin-sauvee-8d3a08844ead4e4dc1c31481daf121db > (consulté le 8 mars
2021).
« Le
projet touristique de la prison Winter de Sherbrooke n'est pas mort », ICI Radio-Canada,
30 août 2019, [en ligne]. < https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1280842/projet-touristique-prison-winter-sherbrooke-destination-sherbrooke-david-lacoste > (consulté le 8 mars
2021).
MERCIER,
Michel. « La prison Winter : histoire et architecture », La Tribune,
11 juin 1990, [en ligne]. ˂ https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/3725819?docsearchtext=winter ˃ (consulté le 8 mars
2021)..
« Parlement
provincial. VI. Travaux et édifices publics », Courrier de Saint-Hyacinthe,
11 mars 1869, [en ligne]. ˂ https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/2583353?docsearchtext=mur%20enceinte%20prison%20sherbrooke ˃ (consulté le 8 mars 2021).
« Rémi
Lamontagne. Son exécution à Sherbrooke », L'Électeur, 20 décembre
1890, [en ligne]. < https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/2516311?docsearchtext=R%C3%A9mi%20Lamontagne > (consulté le 8 mars
2021).
Ces
archives vous intéressent? Prenez rendez-vous avec nous :
Les
Archives nationales du Québec à Sherbrooke sont situées au
225,
rue Frontenac, bureau 401
819 820-3010,
poste 6330
archives.sherbrooke@banq.qc.ca