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Notre histoire en archives : la publicité urbaine, entre nuisance et curiosité


Par Chloé Ouellet-Riendeau, agente de bureau aux Archives nationales à Sherbrooke
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Archives nationales à Sherbrooke Par Archives nationales à Sherbrooke
archives.sherbrooke@banq.qc.ca
Jeudi le 2 juin 2022

Avec Internet et les réseaux sociaux, nous pouvons avoir l'impression d'être continuellement sollicités par la publicité. Qu'elle vise à nous faire acheter des biens et services déjà intégrés dans notre culture ou à nous faire découvrir la nouveauté de l'heure, la pub est là pour nous séduire. Toutefois, son omniprésence dans notre quotidien est loin d'être un phénomène nouveau : cette forme de communication est aussi vieille que le commerce lui-même.

Les moyens utilisés pour accrocher les clients potentiels s'adaptent au goût du jour et se développent grâce aux technologies. Si les publicités intempestives fourmillent sur le Web, la pub domine physiquement notre environnement de bien d'autres manières. Et ce qui est une nuisance visuelle pour certains est une forme d'expression pour d'autres! À notre humble avis, l'affichage urbain illustré sur les photographies anciennes ajoute une touche esthétique à certaines rues estriennes. Qu'en pensez-vous? 

 

Les débuts de l'affichage urbain au Québec

Vue sur la façade du commerce Barrett Bros Parlor, situé au 238, rue Dufferin à Sherbrooke (anciennement 12 Dufferin Avenue) ([entre 1919 et 1921]). Archives nationales à Sherbrooke, fonds Cour supérieure du district judiciaire de Saint-François (TP, S8). Photographe inconnu.

Au Québec, l'utilisation de l'affichage comme moyen publicitaire remonte au XVIIe siècle, soit à l'établissement des colons européens. Forgerons, barbiers et aubergistes, entre autres, annoncent leurs biens et services aux passants des villes et des villages en développement. Jusqu'au XVIIIe siècle, l'écriture est moins utilisée que les images et les symboles sur les affiches et les écriteaux. Le mode pictural permet de rejoindre davantage de consommateurs, dont une majorité ne sait pas lire ou écrire. C'est plutôt au siècle suivant que les images font graduellement place aux mots afin de publiciser l'identité et la nature des commerces.

Ainsi, la publicité est déjà bien ancrée dans les paysages urbains du XXe siècle. De nombreux bâtiments installés sur des rues à vocation commerciale, comme la rue Dufferin à Sherbrooke, annoncent leurs produits à l'aide d'affiches posées sur leurs murs extérieurs ou dans les grandes vitrines. L'anglais est la langue la plus couramment utilisée à l'époque, car on la considère comme étant celle des affaires. Ainsi, plusieurs commerçants francophones affichent en anglais. Dans les Cantons-de-l'Est, il s'agit d'une pratique courante étant donné la présence importante d'anglophones dans la région et la proximité des États-Unis. Par exemple, l'affiche du glacier Barrett Bros annonce des « fruit candy, ice cream, cigars, tabacco and cigarettes », tandis que les vitrines permettent de regarder la sélection de fruits et légumes offerts.

L'affichage urbain au service de la société de consommation d'après-guerre 

 Vue de la rue King à Sherbrooke lors d'une inondation qui submerge le pont Aylmer, séparant ainsi le quartier est et le centre-ville (juin 1942). Archives nationales à Sherbrooke, collection Freeman Clowery (P14, S71, P67). Photographe inconnu.

À ses débuts, l'affichage urbain revêt une certaine simplicité. Les techniques de marketing que l'on connaît aujourd'hui, servant à créer une image de marque et à attirer l'œil, ne sont pas encore consciemment développées. Le but est simplement d'informer le consommateur sur les produits et services offerts. Avec le temps, on passe des affiches en lettres majuscules et aux couleurs neutres qui facilitent la lisibilité à des affiches et à des enseignes aux styles et aux couleurs fort variés. À partir des années 1950, alors que s'établit la société de consommation d'après-guerre, les publicités peintes directement sur les murs extérieurs déclinent au profit des grandes enseignes. Celles des hôtels Continental et Normandie, qui se font compétition sur la rue King à Sherbrooke, en sont de bons exemples. 

 

Les enseignes sous toutes leurs formes

Prise de vue du 75 au 101, rue Wellington Nord à Sherbrooke, où l'on remarque les façades de la Sherbrooke Trust Company, du magasin Simpson-Sears, des Ateliers Bélanger, de la Banque de Montréal et de Tip Top Tailors ([entre 1961 et 1964]). Archives nationales à Sherbrooke, fonds Studio Boudrias (P21, S2, D3227). Photographe : Studio Boudrias.

Les commerçants utilisent différents types d'enseignes afin de promouvoir leurs produits, et plus souvent le commerce lui-même. L'enseigne simple face, comme celle du magasin à grande surface Simpsons-Sears, est probablement la plus utilisée encore aujourd'hui. Elle est habituellement installée sur la façade du commerce, et peut être lumineuse ou non. Le même commerce et plusieurs de ses voisins utilisent l'enseigne à double face, qu'on retrouve généralement sur les poteaux en bordure de rue ou suspendue à même la façade du bâtiment. Le graphisme est visible des deux côtés, et l'enseigne peut également être illuminée ou non.   

 

Au cœur du décor urbain

Vue sur la rue Wellington Nord à Sherbrooke en direction de la rue Frontenac, où des passants font du lèche-vitrine (janvier 1967). Archives nationales à Sherbrooke, fonds Jacques Darche (P5, S2, SS2, D651). Photographe : Jacques Darche.

Jusqu'aux années 1970, la rue Wellington Nord est une des principales artères commerciales de Sherbrooke. Ce n'est qu'en 1973 que le Carrefour de l'Estrie ouvre ses portes pour lui faire compétition. Bien que la ville possède déjà quelques autres centres commerciaux, le Carrefour de l'Estrie se démarque par la variété et le nombre de commerces qui y logent. Néanmoins, la rue Wellington conserve sa vocation commerciale, et on ne peut passer outre cette dernière lorsque vient le temps de parler de publicité urbaine en Estrie. La publicité sous toutes ses formes y est utilisée entre autres par les restaurateurs, les hôteliers, les stations-services, les garagistes, les grandes surfaces et les épiceries. Les enseignes du Sherbrooke Daily Record, du restaurant La Cafetière ainsi que des magasins Guy Le Bottier et Miss Rido donnent à la « Well » une apparence unique et presque méconnaissable pour les plus jeunes ou les Sherbrookois et Sherbrookoises d'adoption récente. 

 

Pas seulement l'affaire des grandes villes!

Vue sur la rue Sherbrooke à Magog, à la hauteur de la rue Alexandre. Avant la fusion de 2002, il s'agissait d'un secteur d'Omerville ([vers janvier 1967]). Archives nationales à Sherbrooke, fonds Jacques Darche (P5, S2, SS2, D658). Photographe : Jacques Darche.

Si l'installation de panneaux, d'affiches et de grandes vitrines semblent s'imposer davantage au sein des centres urbains, la pratique est loin de s'y limiter. Il suffit de se promener sur la rue principale de n'importe quelle ville pour soudainement se faire proposer par une enseigne un café réconfortant en hiver, puis une bonne bière froide ou une boisson gazeuse désaltérante en été. 

 

Pepsi ou Coca-Cola?

Livraison de boissons gazeuses au restaurant-épicerie Thérèse Dubé, situé au 290, rue Short à Sherbrooke [vers juillet 1967]. Archives nationales à Sherbrooke, fonds Jacques Darche (P5, S2, SS2, D771). Photographe : Jacques Darche.

En effet, parmi les entreprises qui ont rapidement saisi l'efficacité de l'affichage public, et qui doivent une partie de leur succès à cette stratégie de marketing, on trouve les compagnies de boissons gazeuses. En 1894, le logo Coca-Cola est peint sur la façade d'un drugstore à Cartersville, dans l'État de la Géorgie, aux États-Unis; dès 1925, les peintures murales sont remplacées par des panneaux publicitaires. Sur la photo, on voit que les publicités des compétiteurs Pepsi-Cola, Coca-Cola et 7up dominent l'extérieur du restaurant-épicerie Thérèse Dubé, à Sherbrooke.

L'affichage est loin de se limiter aux bâtiments de lieux achalandés. Une majorité de compagnies commerciales, dont Coca-Cola, joignent utilité et publicité en transformant leurs camions de livraison en panneaux publicitaires itinérants. 

 

La publicité qui voyage jusqu'à nous

Autobus Laramée no 38 desservant le quartier universitaire et circulant sur la rue King Ouest à Sherbrooke. L'avant du véhicule porte une publicité pour la boisson gazeuse Pepsi (1964). Archives nationales à Sherbrooke, fonds Jacques Darche (P5, S2, SS3, DM1). Photographe : Jacques Darche.

D'autres entreprises, comme Pepsi-Cola, utilisent également la carrosserie des autobus de ville afin d'afficher leurs logos et leurs slogans. Dès lors, leurs noms et l'image de leurs produits circulent continuellement dans les rues, rejoignant un nombre croissant de personnes. Qui n'a jamais posé son regard sur les produits affichés sur les autobus en patientant au feu rouge? Tous les moyens sont bons pour atteindre un maximum de consommateurs potentiels!

Bref, la publicité est utilisée afin de séduire le public et de l'encourager à consommer. L'affichage extérieur n'est qu'une de ses nombreuses formes. Avec le temps, elle devient de plus en plus envahissante sur les bâtiments commerciaux, ce qui suscite de nombreuses critiques. La discrétion n'a pas sa place dans le monde de la publicité : au contraire, la pub cherche à s'affirmer et à accaparer l'espace urbain. Elle peut néanmoins être perçue comme un élément esthétique de la ville. Les éléments publicitaires peuvent être originaux et artistiques; ils peuvent même être une curiosité touristique dans certaines agglomérations. Certes, la rue Wellington de Sherbrooke ne peut rivaliser avec les célèbres Times Square de New York et Shibuya Crossing de Tokyo. Néanmoins, les différents types d'affichage qu'on y trouve et qui changent avec le temps font partie de sa personnalité et de son charme, entre autres parce qu'ils nous permettent de repérer nos commerces locaux préférés et de découvrir de nouvelles perles.

 

Sources :

« L'affichage au XXe siècle », Musée des arts décoratifs, https://madparis.fr/petite-histoire-de-l-affichage#:~:text=L'affichage%20s'est%20d%C3%A9velopp%C3%A9,Dictionnaire%20de%20Richelet%2C%201724) (consulté le 28 février 2022).

« Les différents types d'enseigne », La Nouvelle Union, 23 octobre 2020, https://www.lanouvelle.net/2020/10/23/les-differents-types-denseignes/ (consulté le 28 février 2022).

CHOKO, Marc H., « Les panneaux réclames, éléments historiques du paysage urbain, Le Devoir, 28 septembre 2016, https://www.ledevoir.com/societe/transports-urbanisme/480979/les-panneaux-reclames-elements-historiques-du-paysage-urbain (consulté le 28 février 2022).

DE RAUCOURT, Melchior, « L'affichage urbain, entre histoire, déclinaisons et secrets », Creads the Ultimate Content Factory, https://www.creads.com/blog/decryptage/analyses-marketing-communication/laffichage-urbain-entre-histoire-declinaisons-et-secrets/#:~:text=Histoire%20et%20d%C3%A9but%20de%20l,simplement%20aux%20coins%20des%20rues  (consulté le 28 février 2022).

LAPOINTE, Louis, « L'affichage dans le paysage urbain », Formes, 14 janvier 2015, https://www.formes.ca/objet/articles/l-affichage-dans-le-paysage-urbain (consulté le 28 février 2022).

MADEC, Annick, « Publicité et promotion (sub)urbaine », Mouvements, nos 39-40, 2005, p. 60-67, https://www.cairn.info/revue-mouvements-2005-3-page-60.htm (consulté le 28 février 2022).

TSIKOUNAS, Myriam, « La publicité, une histoire, des pratiques », Sociétés & Représentations, n° 30, 2010, p. 195-209, https://www.cairn.info/revue-societes-et-representations-2010-2-page-195.htm (consulté le 28 février 2022).

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