Par Stéphane Gagné
Sans style, sans
personnalité et sans charme à ses débuts il y a une cinquantaine d'années, la
maison usinée présente aujourd'hui divers attraits architecturaux qui n'ont
rien à envier à ceux de la maison traditionnelle entièrement construite sur
place. Tant et si bien qu'il n'est plus rare d'entendre dire qu'elle n'a pas «
l'air d'une maison usinée », mais qu'elle a, au contraire, tous les traits «
d'une vraie maison ». Regard sur un produit d'habitation au design grandement
amélioré et adapté au sur-mesure.
Début des années 1960. Le
Québec assiste aux premiers balbutiements du concept de la maison usinée.
Paul-Émile Bonneville démarrait une entreprise qui vendait des maisons mobiles
à une clientèle désireuse d'accéder à la propriété mais qui n'avait pas les
moyens de se faire construire une maison. Les affaires allaient bien, les
ventes étaient bonnes. « Un peu plus tard, on a eu l'idée de coller deux
maisons mobiles ensemble, relate Dany Bonneville, coprésident des Industries
Bonneville. Le produit s'appelait la « maison mobile double ». Mais la qualité
n'était pas là. Mon grand-père a alors décidé de construire lui-même les
maisons afin d'avoir un meilleur contrôle sur la qualité. » La maison usinée
québécoise était née.
« Au début, le design
était plutôt rudimentaire, poursuit Dany Bonneville. Les maisons étaient
petites, les toits étaient en tôle et le revêtement extérieur en aluminium.
Elles avaient des pentes de toit très faibles afin de respecter les normes de
transport. »
La contrainte du transport
Au début de la maison
usinée, le transport imposait une certaine contrainte au design. Les
concepteurs étaient limités par les hauteurs et les largeurs maximales imposées
par les normes de transport. Aujourd'hui, cette contrainte est toujours
présente mais moins importante, car les constructeurs se sont adaptés.
Chez Bonneville, par
exemple, une modification dans le transport des maisons a eu un impact positif
sur leur design. « On a développé un fardier spécifique pour nos besoins, dit
le coprésident. Les modules des maisons peuvent être déposés entre les roues et
non au-dessus. Cela permet d'avoir des modules de 10 pieds de haut. »
Chez Maison Usinex, le
nombre de modules transportés est déterminé par la complexité et la taille du
projet, précise Geneviève Morin, technicienne en bâtiment pour l'entreprise : «
On peut concevoir différents types de projets : chalets, maisons unifamiliales,
bigénérationnelles et jumelées, duplex, condos et bâtiments multilogements
pouvant aller jusqu'à trois étages de haut. »
Un design amélioré et adapté aux besoins du client
Des adaptations dans le
transport ont certes étendu les possibilités, mais à cela il faut ajouter
l'intérêt accru des consommateurs pour le design. Le style classique demeure
toutefois prédominant. Ainsi en est-il chez Maison Usinex, mis à part quelques
modèles contemporains. Les modèles ont tous des toits en pente. Geneviève Morin
l'explique de la façon suivante: « Notre entreprise est basée en Estrie, notre
clientèle est surtout régionale et elle a en général des goûts plus
traditionnels. »
Il est à noter que le
style classique prédomine aussi chez Pro-Fab, qui exploite deux usines et huit
sites de vente à travers le Québec. Pro-Fab construit aussi des habitations
multilogements en plus de bâtir des chalets, des maisons de plain-pied, des
cottages et des maisons de deux étages.
Les styles sont plus
variés chez Bonneville. En 2005, les Industries Bonneville marquent un grand coup
en dévoilant la Poitras Casa, une maison résolument contemporaine aux lignes
épurées, conçue par le célèbre designer Jean-Claude Poitras. « C'était très
avant-gardiste pour l'époque et cette maison a été le précurseur de la série
Natur », affirme Dany Bonneville. La série Natur compte cinq maisons modèles.
Elles sont très contemporaines, avec des plafonds de 10 pieds de haut, de
grandes fenêtres, de grandes vitrines et des terrasses. Le bois est omniprésent
sur les murs, les plafonds, les planchers et le revêtement extérieur. Cela crée
une ambiance zen.
La série Pur est de même
inspiration, avec toutefois une touche plus audacieuse. Ces modèles
s'inscrivent tout à fait dans la tendance actuelle : plafonds hauts, grands
espaces ouverts, matériaux nobles (bois, céramique) et de très grandes
fenêtres. Mais le style contemporain ne plaît pas à tous. Les Industries
Bonneville offre donc d'autres designs. Le site Internet donne un bon aperçu de
la centaine de modèles offerts : maisons de ville, chalets, cottages, lofts
modulaires et plain-pied. Depuis plusieurs années, l'entreprise construit même
des habitations multilogements. Des projets de cette nature sont d'ailleurs en
cours à Belœil et à Saint-Tite-des-Caps.
La technologie au service du design
L'évolution technologique
a aussi joué un rôle dans le design de la maison usinée. Par exemple, la
création de fermes de toit avec pentures a ouvert les possibilités en
permettant d'augmenter la hauteur des toits. Il devenait alors possible de
construire des maisons avec des pentes de toit de la hauteur désirée par le
client.
L'évolution des
techniques de construction permet aussi de faire aujourd'hui des bâtiments en
ossature de bois de plus grande hauteur. « On peut construire des bâtiments
jusqu'à six étages de hauteur », indique René Giguère, directeur du développement
des affaires chez Pro-Fab.
Geneviève Morin estime
pour sa part que l'évolution du bois d'ingénierie a aussi permis la conception
de styles innovateurs en plus de susciter l'intérêt des consommateurs pour de
nouveaux designs.
Des matériaux plus variés
La maison usinée
d'aujourd'hui est aussi construite avec une gamme plus vaste de matériaux. Au
début, le choix était plutôt limité. « Prenons les fenêtres, par exemple,
relate René Giguère. Avant, elle étaient surtout en PVC. Maintenant, il y a le
PVC, l'aluminium et le bois. On peut avoir une fenêtre en PVC à l'extérieur et
en bois à l'intérieur. » Le choix de types de fenêtres est aussi plus vaste.
Les revêtements
extérieurs sont aussi beaucoup plus variés. « Avant, c'était surtout du vinyle,
poursuit René Giguère. Depuis une dizaine d'années, on peut avoir une maison
revêtue de pierre collée, de Canexel, de panneaux en fibrociment, de pierre
Suretouch, etc. »
D'autre part, il y avait
très peu d'ornements architecturaux. Aujourd'hui, il s'en trouve sur certaines
maisons de style classique.
Une conception sur mesure
Il est vrai que le design
a pris une plus grande importance dans la fabrication de maisons usinées au fil
des années. D'ailleurs, tous les représentants d'entreprises de maisons usinées
interrogés dans le cadre de cet article ont confirmé l'importance qu'occupe
leur service de design dans la conception de nouveaux modèles de maisons et
pour répondre à la demande de modèles sur mesure.
Chez Bonneville, l'équipe
compte six designers. Chez Pro-Fab, le service de design a pris beaucoup
d'expansion depuis 2006. « Nous sommes passés de trois à 10 employés en 2011,
affirme René Giguère. Depuis 2011, nous avons un centre de design qui inclut
une vaste salle de montre où le client peut choisir le décor de sa maison de A
à Z. Nous concevons des maisons sur mesure lorsque les clients le demandent,
mais la plupart du temps, les clients choisissent parmi les 150 modèles que
nous offrons. »
René Giguère et Dany
Bonneville affirment même faire appel à l'occasion aux services de firmes
d'architectes pour permettre la conception de modèles de maisons plus spéciaux.
Chez Maison Usinex, toute
la conception se fait à l'interne. « Avec nos 21 ans d'expérience, on a
développé une grande capacité d'adaptation pour répondre aux besoins du marché,
affirme Geneviève Morin. Le plus souvent, on part de nos plans et on s'adapte
aux besoins des clients. Il arrive parfois que les clients viennent avec leurs
idées et même leurs plans. On travaille alors avec eux pour répondre à leurs
besoins. »
Dans le processus de
conception, Geneviève Morin dit s'inspirer des nouvelles tendances, de nouveaux
produits offerts par les fournisseurs, ainsi que des différentes demandes des
clients au cours de l'année.
Au chapitre des coûts,
une maison usinée se vend sensiblement le même prix qu'une maison construite en
chantier, confie René Giguère. « On peut avoir un plain-pied à partir de 130
000 $, terrain non compris. La différence concerne la qualité de la construction
et la rapidité de livraison. Elle est de qualité supérieure, car construite
avec du bois séché à 85 %, et la livraison est rapide, soit entre quatre et
huit semaines, selon le type de maison. » Évidemment, les délais peuvent varier
d'un constructeur à l'autre.
Un avenir radieux
Si elle était peu
attrayante et mal-aimée à ses débuts, la maison usinée a acquis petit à petit
ses lettres de noblesse, notamment en ce qui concerne son design. Bénéficiant
d'une grande amélioration des techniques de fabrication et n'ayant pratiquement
plus de limites sur le plan du design, les constructeurs de maisons usinées
entrevoient donc un avenir plutôt radieux.
Tout compte fait, ces
entreprises peuvent maintenant répondre à 100 % aux attentes des acheteurs
d'habitations individuelles et multilogements, y compris même des bâtiments
commerciaux (hôtels, motels, etc.). Dany Bonneville s'attend à ce que la maison
usinée occupe une part grandissante du marché dans un avenir rapproché. Même
constat pour René Giguère, qui en conclut que « toute composante usinée est
d'ailleurs vouée à un grand avenir ».