Dans nos vies, nos relations, il est des gens que l'on côtoie qui éveillent en nous le meilleur de soi; tout comme il est vrai de terminer certaines relations en ayant vu le pire de ce que l'on porte.
Ce petit peuple ne fait certes pas exception à la règle tacite qui veut que où il y a l'humain, il y a de l'aberration, et quand on est soudé serré il y a des frictions.
Sauf que...
Chaque fois que je me rends dans cette petite cité en bordure du lac Mégantic, j'en reviens remuée intérieurement. Un petit séisme bousculant doucement mes fortifications érigées au fil des ans, pour parer aux nombreux assauts dans les champs de bataille de ma vie. Oui, après un bref moment passé là-bas, je me sens un peu moins blindée face à mes semblables, j'arrive à bavarder avec de purs inconnus et à sentir dans mon cœur, que chacun peut y avoir une place sans présomption.
À la crèmerie du centre-ville, sous une chaleur torride s'affairent de jeunes commis devant l'interminable filée. Cependant je ne leur sens aucune tension : tous un chacun leur jase avec cette cordialité qui donne envie de revoir quelqu'un et allège le labeur. Je me surprends moi-même à folichonner avec le pur inconnu derrière moi, alors que, d'ordinaire, je suis on ne peut plus pondérée.
19 h à ma montre. Je me languis d'une pizza qui se fait attendre, sur un siège bancal de la petite croûterie, dernière disponible dans la ville bondée de curieux. Sur la terrasse, une femme s'affole devant l'insistance d'une abeille intriguée de son parfum. Cette fois encore, j'observe la particularité des gens qui instantanément lui cherche une solution comme s'il s'agissait d'une connaissance. Non; c'est une inconnue débarquant tout juste de Québec! Tandis que l'une est allée quérir un tue-mouche, j'échange avec mes « nouvelles connaissances » sur cette scène de fraternité étrangère aux grandes villes, solidarité distinctive du patelin. Pour eux aussi, c'est percutant!
Puis, je déambule dans la rue dans l'intention d'échanger un mot de soutien, là où mon intuition me guidera. Je m'arrête donc jaser avec l'agent de police qui veille aux abords du site dévasté. Un échange sur les images qui meublent désormais les silences de ce premier répondant. On parle des gens de la place, de leur contagieuse cohésion. Hardiment, je relève sur sa tête ses verres fumés, question de regarder dans ces yeux le drame humain qui s'y joue. C'est à ce moment qu'une boule dans la voix, il me partage sa préoccupation de la jeune fille du dépanneur du coin. Elle a fui les flammes et depuis la nuit du drame, elle entre quotidiennement au boulot. Tous les jours il échange avec elle de sa détresse palpable et grandissante. Il se sent si interpellé qu'il me demanda de bien vouloir lui apporter du soutien. Wow...
En rentrant tard hier soir, j'étais encore une fois, chamboulée de cette caractéristique de toujours, des Méganticois. Conscientisée, je cherche de mieux en mieux à déployer dans mon quotidien ce dont je m'imprègne à chacun de mes passages sur la rive de ce merveilleux lac Mégantic.
S'il est un mémorial à ériger au drame qui se joue présentement, c'est d'intégrer individuellement, que les murs de l'anonymat cachent à peine l'humanité qui nous relie.