La vague de dénonciations des derniers mois sur les réseaux
sociaux a donné lieu à de nombreuses et très diverses réactions, quant à la
manière de décrier des comportements inappropriés. De l'abus de pouvoir au
harcèlement sexuel, les personnes qui ont choisi de prendre la parole en
identifiant leur agresseur ou leur bourreau tout en gardant l'anonymat, se
libèrent peut-être d'un poids, mais se font aussi justice, non sans conséquences.
Céline
Girard est agente de relation d'aide au Centre des femmes La Parolière de
Sherbrooke. Elle remarque souvent parmi sa clientèle, que beaucoup de femmes ne
sont pas outillées pour identifier certains des actes de violence dont elles
sont victimes. « Des fois les femmes elles-mêmes ne savent pas qu'elles subissent de la violence sexuelle.
Par exemple un viol, c'est sûr que pour ce type d'agression c'est clair. Mais du
harcèlement c'est une forme de violence, et souvent les femmes ne s'en rendent
pas compte parce qu'on vit dans une atmosphère où c'est permis. »
Le
phénomène de dénonciations découlerait d'un manque de progrès tangibles depuis
que le mouvement #moiaussi
a débuté en 2017 selon Mme Girard. « C'est comme si cela avait éveillé
la confiance des femmes. On est passé d'une culture du silence à une prise de
conscience qui mène à la prise de parole. Elles se disent ‘'C'est vrai! Je n'ai
pas subi d'agression de type viol, mais les commentaires de mes patrons, de mes
collègues, ou sur la rue, je n'ai pas à subir ça. Les femmes sont
tannées et c'est cette ‘'écoeurantite'' qui va les motiver à dénoncer. »
Ces
dénonciations semblent avoir eu un effet d'entraînement que Céline Girard a pu
observer parmi les femmes qu'elle accompagne en suivi. « Ça éveille les
femmes qui ont déjà vécu du harcèlement de toutes formes; des fois ça va les
amener à consulter, ou aller vers des organismes comme les CALACS pour dire
‘'moi mon secret, je ne veux plus le porter seule.'' C'est le côté positif des
vagues de dénonciations. » Elle ajoute que ce seul fait rend possible la
guérison et la résilience pour certaines d'entre elles.
Bien qu'elle salue le courage de celles qui brisent le silence, Mme
Girard explique qu'il peut y avoir de sérieuses conséquences à dévoiler publiquement
le nom d'un abuseur ou d'un présumé agresseur. « Naturellement, je
mettrais quand même en garde les femmes qui choisissent de le faire de cette
façon, parce qu'elles peuvent être poursuivies. » La réputation de l'une comme de l'autre peut en être en jeu, et Mme Girard admet du même souffle qu'il n'est pas
facile de se tourner vers les tribunaux sur cette question. « Selon
mon opinion, le système judiciaire n'est pas adapté à ce type de violence. Est-ce
qu'elle est capable de faire face au système de justice? Qu'est-ce qui est le
mieux pour elle? »
Les interventions de Céline Girard débutent par une écoute attentive du
vécu de la personne qui ressent le besoin de partager son expérience et les
sentiments difficiles qui l'accompagnent. « Souvent ce sont les victimes
qui portent la honte, pas l'agresseur; ensuite c'est la peine et la colère qui
veulent sortir. Si je sens que la femme que j'accompagne veut porter sa cause
plus loin, je vais la référer à un organisme qui se spécialise dans ces
questions pour qu'elle fasse un choix judicieux. »
Avec les événements des dernières années, Mme Girard voit
une évolution dans la mentalité des femmes par rapport à cet enjeu : la
honte et la culpabilité doivent changer de camps. Elle entretient l'espoir que
cette libération de la parole va amener des changements durables de
comportements, et une prise de conscience de leur responsabilité à perpétuer
des actions, qui marquent les victimes à vie.
laparoliere.org