Quand un jeune dit vouloir abandonner la pratique de son sport pour passer à autre chose, ça me fait toujours un pincement au cœur et je me pose alors certaines questions.
Qu'est-ce qui amène un jeune à abandonner un sport? Quel est l'âge critique face à ce processus décisionnel? Peu importe les raisons, les jeunes qui ont pris cette décision avaient sûrement un élément déclencheur et c'est ce qui m'a amené à en faire un sujet de recherche dans le cadre de ma maîtrise universitaire en sciences de l'activité physique. De plus, en tant qu'intervenant sportif depuis de nombreuses années, je constate que le phénomène semble répandu voire, banalisé. Cette chronique résumera donc le fruit de mes recherches sur le sujet et j'y apporterai également mes recommandations en fonction de l'expertise terrain que j'ai acquise au fil des dernières décennies.
Les concepts clés de cette recherche
Abandon sportif : Le Petit Robert définit l'abandon au sport comme étant l'action de renoncer à poursuivre une épreuve sportive, une compétition. Pour ma part, je considère l'abandon sportif comme l'arrêt d'une activité sportive. L'abandon peut se manifester de deux façons. Il peut impliquer soit une cessation complète de toute pratique sportive, soit le remplacement de l'activité sportive par une autre activité, qu'elle soit de nature sportive ou non.
Adolescent : L'adolescent est un jeune âgé entre 12 et 17 ans. Cette période est particulièrement importante compte tenu de la nature de cette recherche puisque c'est à ce moment de la vie que l'on enregistre le plus fort taux de participation aux activités sportives. Paradoxalement, tel que le mentionne Guillet (2000) dans une revue de littérature exhaustive sur le sujet, c'est aussi à cet âge où il y a la plus grande présence d'abandons sportifs.
Étude 1
Comme point de départ, je tiens à vous résumer une étude effectuée en France auprès de 261 adolescents français pratiquant une activité considérée comme populaire. On y retrouvait entre autres, le soccer, le basketball, le handball, le rugby, le ski, le judo, la gymnastique, l'équitation, le cyclisme, l'escalade, le tennis et le tennis de table.
Un autre échantillon de 106 adolescents qui avaient cessé de participer à ces activités un an plus tôt, ont aussi fait partie de l'étude.
La collecte de données a été effectuée par le biais d'un questionnaire qui a été remis directement aux clubs et aux associations sportives proposant ce type d'activités. En ce qui a trait aux athlètes qui avaient abandonné, le questionnaire a été envoyé par la poste. Parmi les résultats qui sont ressortis le plus en lien avec la participation à une activité et les facteurs pouvant mener le participant à l'abandon, les auteurs Boisché et Sarrazin (2009), ont mentionné les heures et les jours où se tenait l'activité, le niveau de satisfaction atteint par le participant, les conflits avec les parents, les coéquipiers et l'entraîneur et le climat de groupe durant l'activité.
Ils en ont conclu que le climat social environnant du participant ainsi que le support des parents envers leurs enfants étaient des déterminants majeurs quant à l'abandon ou au maintien du jeune dans sa pratique sportive. De plus, ils ont noté un impact significatif de la perception de compétences des participants envers leurs pratiques. En effet, si ceux-ci sentent qu'ils ont les habiletés requises pour exécuter les tâches demandées par l'entraîneur, ils auront tendance à maintenir une participation active dans l'activité alors que des contre-performances répétées auront l'effet inverse.
Étude 2
Une autre étude, cette fois de Wall et Côté (2007), nous relate les facteurs menant au développement du processus d'abandon ou de maintien de la participation à une activité sportive chez les jeunes de 6 à 13 ans. Bien que la problématique de cette chronique se situe principalement dans la tranche d'âge des 12 à 17 ans, je trouvais quand même intéressant de pouvoir mentionner certains faits qui permettent de faire des liens avec une clientèle plus jeune.
En fait, le but de cette étude était de déterminer l'influence d'une participation à des jeux et à des entraînements délibérés face à la décision des jeunes sportifs d'abandonner ou maintenir leur présence au sein d'un sport organisé. On retrouve dans l'échantillon de cette étude des parents de huit joueurs évoluant actuellement au hockey mineur (groupe actif) et quatre parents de joueurs ayant abandonné (groupe non actif). Ils ont eu à remplir un questionnaire rétrospectif complet comprenant entre autres, la participation de leurs fils dans des sports organisés en lien avec la pratique et le jeu délibéré. Cette étude de type longitudinale rétrospective a été divisée en trois sections reliées aux groupes d'âge suivants : 6 à 9 ans, 10-11 ans et 12-13 ans. Des statistiques descriptives ont permis de déterminer le moment exact où l'enfant s'est engagé dans ses activités de hockey.
Les auteurs indiquent que les jeunes des deux groupes apprécient une introduction au sport qui est de nature diversifiée et amusante. Dans les deux cas, les données recueillies sont similaires en ce qui a trait aux heures passées à jouer et pratiquer au hockey et à participer à des camps spécialisés. Cependant, on dénote une participation plus hâtive à des entraînements hors glace chez les joueurs qui ne sont plus actifs. Selon Wall et Côté, cette façon de faire dénote une forme de spécialisation hâtive et une participation à des activités moins plaisantes qui sont néfastes pour les jeunes ayant des motivations intrinsèques quant à leur participation. Selon eux, il est préférable d'élaborer des séances alliant l'aspect ludique et des éducatifs agréables et amusants.
Étude 3
Une autre étude, celle-ci menée par Ryska et al. (2002), auprès de jeunes gymnastes australiens, servait à démontrer différents motifs motivant les jeunes australiens à participer à une activité sportive et les liens pouvant être effectués avec l'abandon sportif lorsque ces besoins motivationnels ne sont pas atteints. C'est parmi un échantillon de 349 jeunes gymnastes australiens faisant partie d'une équipe de gymnastique au sein de l'Australian Coaching Council(ACC), que cette étude s'est tenue. Les jeunes étaient âgés entre 9 et 18 ans et possédaient une moyenne de cinq années et neuf mois d'expérience comme gymnastes au moment de l'étude. Un sondage postal incluant une lettre, un questionnaire et une fiche informative leur fut envoyé.
Cette étude a permis de mesurer différentes variables expliquant les motifs d'abandon ou de maintien des jeunes au sein de leur activité sportive. Les résultats de l'étude tendent à démontrer que les facteurs intrinsèques semblent être la motivation première des jeunes quant à leur participation au sein d'un groupe de gymnastique (développement de leurs habiletés, forme physique, défi personnel, etc.).
Par contre, lorsque les motifs motivationnels extrinsèques ne sont pas rencontrés (vie de groupe, socialisation, climat général, etc.), les jeunes ont davantage l'intention d'abandonner leur pratique sportive.
À la lumière de cette étude, il est permis de constater et d'établir une relation directe entre les motifs de participation des jeunes, leur capacité à se développer à l'intérieur de leur contexte sportif et les tendances à abandonner la pratique de leur sport. Autrement dit, lorsque leurs besoins intrinsèques, mais surtout extrinsèques ne sont pas présents, ceux-ci n'ont pas tendance à maintenir une participation active au sein du groupe.
Étude 4
Une autre étude menée par Fraser-Thomas, Côté et Deakin (2008), nous amène à comprendre l'impact des patrons d'entraînement et le rôle des personnes signifiantes sur la participation des jeunes aux sports de natation. L'échantillon comprenait dix athlètes ayant abandonné et dix qui continuaient la pratique de leur sport. Des deux côtés, il s'agissait d'athlètes adolescents âgés de 13 à 17 ans s'étant beaucoup investis dans leur sport (pratiquant le sport depuis au moins quatre ans). L'échantillon fut sélectionné à l'intérieur de plusieurs clubs de natation de l'Ontario et de la Nouvelle-Écosse.
Les chercheurs ont effectué des entrevues qualitatives directement à la maison des athlètes interviewés. Les jeunes ont été interrogés sur cinq aspects : leur type d'entraînement, l'influence des parents, des entraîneurs, des pairs et celle de la compétition. Les questions étaient de nature rétrospective, les athlètes étant interrogés sur des éléments de leur expérience passée.
Malgré des expériences d'entraînement similaires, seulement les décrocheurs ont parlé de hautes performances hâtives, de pression des parents au cours de l'adolescence, du manque de partenaires d'entraînement et d'une compétition malsaine.
De l'autre côté, seuls ceux qui persistent abordèrent la philosophie de développement des clubs, d'une communication ouverte avec les parents et les entraîneurs et du support des amis de l'école.
Étude 5
Par ailleurs, une étude menée par Lefevre, Habsch, et Cloes (2006), ayant pour but de mieux cerner le phénomène de l'abandon sportif en croisant les données issues des pratiquants avec celles des autres personnages clés dans la réussite sportive, a été effectuée de la façon suivante : une entrevue avec 20 nageurs âgés de 10 à 19 ans ayant abandonné leur sport au cours des trois années précédentes, cinq parents, deux représentants du comité (entrevues semi-structurées par téléphone). Les questions et les réponses ont été retranscrites intégralement avant d'être analysées de façon inductive.
Les auteurs ont souligné l'importance de certains manques tels que le peu de soutien parental, les problèmes de politiques sportives et un changement de mentalité de la société comme sources d'abandon et les motifs évoqués sont de quatre ordres, soit les tâches extra sportives, la diminution des performances, la puberté et la variété des sports à caractère peu ludique associée au départ des copains.
Les constats en résumé :
Comme vous pouvez le constater, plusieurs déterminants influencent le processus menant à l'abandon sportif chez les adolescents, en voici un bref résumé :
La spécialisation hâtive n'est pas un gage de maintien du jeune au sein de l'activité sportive (Wall et Côté, 2007) :
- Un succès à un âge précoce incite les dirigeants à exiger toujours plus et la notion de plaisir devient absente et le fait d'exiger la compétition trop tôt au lieu de favoriser des activités plus récréatives incite les jeunes au décrochage.
La notion de compétence représente un élément majeur (Boisché et Sarrazin citant Deci et Ryan, 2000)(Lefevre et al. 2006) :
- Lorsque la notion de compétence est perçue positivement par l'athlète, celui-ci tend à maintenir sa participation dans l'activité.
- Les contre-performances répétées sont à l'origine de plusieurs abandons sportifs, car les jeunes tendent à se décourager plus facilement à force de constater leurs échecs.
Le niveau de satisfaction de l'athlète influence ce dernier quant à son maintien au sein de l'activité sportive qu'il pratique (Boisché et Sarrazin, 2008) :
- Le niveau de satisfaction ainsi que la valeur accordée par l'athlète à l'activité qu'il pratique influenceront grandement sa décision de demeurer à l'intérieur de celle-ci.
- Plus celui-ci trouvera sa pratique satisfaisante moins l'idée d'abandonner lui traversera l'esprit.
Climat de groupe et environnement (Ryska ,Cooley et Jones 2002) :
- Un climat de groupe désagréable et ne pas se sentir important à l'intérieur de celui-ci incite les jeunes à quitter leur sport;
- Un environnement positif même s'il est compétitif aidera à maintenir les athlètes au sein du groupe.
Les besoins motivationnels intrinsèques et extrinsèques doivent être comblés pour diminuer le risque de décrochage sportif (Ryska, Cooley et Jones, 2002)(Sarrazin 2001) :
- Les athlètes s'impliquant pour des raisons intrinsèques font plus d'efforts et persistent plus longtemps au sein de leur sport et démontrent plus de confiance en soi et d'intérêt que les athlètes étant impliqués pour des raisons extrinsèques.
Autres constats :
- Les filles citent plus souvent que les garçons le caractère trop marqué de la compétition et la pression excessive comme raison d'arrêter leur pratique (Guillet citant Gould 1982).
- À un certain stade de l'adolescence, les jeunes abandonnent la pratique d'une activité parce qu'ils acquièrent de nouveaux intérêts et un plus grand nombre d'occupations s'offrent à eux (Thibault 2010).
- Les blessures sont souvent citées comme un facteur d'abandon, mais elles ne semblent pas être une cause primaire (Thibault citant Johns 1990).
- Les jeunes qui abandonnent ont souvent moins eu l'occasion de participer à des activités parascolaires et non encadrées.
L'opinion de certains auteurs afin de diminuer le phénomène :
- La qualité de l'initiation sportive à l'école est grandement corrélée avec la pratique d'une activité sportive en dehors du cadre scolaire de même qu'avec la pérennité de cette pratique (Thibault citant Machard 2003).
- Les programmes sportifs pour les jeunes ne devraient pas être axés trop tôt sur des entraînements intensifs et routiniers, mais plutôt sur le plaisir de s'amuser en s'exerçant (Wall et Côté 2007).
Ma conclusion et mes recommandations
Il est clair qu'on ne peut pas faire en sorte à 100 % que le phénomène ne se produise plus, mais on peut à tout le moins le diminuer en améliorant certains aspects de notre pratique en tant qu'intervenant auprès des jeunes. Les formations que les entraîneurs reçoivent doivent mener ceux-ci à acquérir des compétences en intervention éducative et non pas seulement sur la transmission d'exercices technico tactiques reliées à leur sport. Rare sont les entraîneurs qui ont une idée des notions reliées au climat et au temps d'apprentissage, aux facteurs motivationnels, aux interactions sociales, aux concepts reliés à l'entraînement à la prise de décision et aux approches individualisées en complémentarité à l'approche traditionnelle.
On doit aussi les sensibiliser à l'importance de se remettre en question, de se faire encadrer par des experts, de poser des questions, d'être structurés et organisés et surtout de placer, le jeune au centre des préoccupations. Tant que nous n'aurons pas cette ouverture d'esprit en tant qu'intervenants, l'abandon sportif ou d'une activité sportive continuera sans qu'on ne se pose trop de questions.
Je dois vous avouer que ce sujet m'interpelle beaucoup entre autres parce qu'en tant qu'intervenant sur le terrain et fervent partisan d'un mode vie sain et actif, il est important de tenter de comprendre cette problématique qui peut amener des répercussions plus graves à long terme notamment par la sédentarité que cela peut causer dans notre société. De plus, on semble banaliser le fait qu'un jeune décide de passer à autre chose dans sa vie, mais encore faut-il que « l'autre chose » soit saine pour son équilibre de vie.
Qu'un jeune veuille vivre et essayer d'autres activités physiques et sportives est tout à fait normal, mais il est triste de constater que certains d'entre eux décrochent d'une activité sportive pour ne plus rien faire par la suite et c'est ça qui est inquiétant. Le but de cette recherche n'était pas de juger le jeune qui abandonne, mais plutôt de comprendre son acte d'abandon. Pourquoi décide-t-il de cesser sa pratique sportive ? Qu'est-ce qui le pousse à abandonner ?
Les jeunes doivent être encouragés à pratiquer diverses activités physiques et sportives afin de développer leurs comportements moteurs fondamentaux et transversaux. Il faut arrêter de spécialiser ou catégoriser les jeunes trop tôt. Il faut créer un climat stimulant et amusant, leur faire vivre des actions motrices hétérogénéisées et non spécifiques à une activité physique ou un sport. Le jour où tous les intervenants penseront aux facteurs présentés dans cette recherche lors de leurs interventions, on pourra alors glisser le mot « développement » dans nos conversations.
Si vous désirez me suggérer un sujet pour cette chronique ou si vous avez une question à laquelle vous aimeriez que je réponde, n'hésitez pas à communiquer avec moi sur Facebook ou à l'adresse courriel apparaissant au début de cette chronique.