Quand on s'appelle Steve Jobs, personnage à qui l'histoire reconnaît le mérite d'avoir changé le monde, il est acceptable, voire pertinent, que l'on prononce des verdicts (que l'on publie une bulle) sur une tendance, surtout quand celle-ci fait partie de ses cordes. Ainsi, en mars dernier, le légendaire P.D.G. a utilisé le terme « Post PC Devices » pour qualifier les bidules intelligents, notamment les tablettes, qui déferlaient sur le marché mondial. Autrement dit, le PC et le Mac étaient dépassés.
Hier, pendant son allocution au WWDC 2011 de San Francisco, il a déclaré que le PC et le Mac étaient rétrogradés (« demoted ») dans le sens qu'ils n'étaient plus le centre de nos vies numériques (« digital life »). C'est le Nuage à saveur iCloud qui l'était devenu.
Ici, fiez-vous à Steve Jobs, ce ne sont pas que des mots. D'un tour de langue, il s'est trouvé à placer sur un même pied d'égalité tous les dispositifs intelligents qu'il fabriquait, du iPhone au MacPro. Tous ces appareils, à leur façon, ne sont plus que des dispositifs pour rendre l'intelligence et les merveilles stockées dans le iCloud, un service qui sera en place à l'automne. Tout un remue-ménage dans les écuries de Cupertino; la machine à saucisse ne dispose en effet que de trois ou quatre mois pour se tourner de bord.
En soi, rien n'est nouveau. Le numéro 1 d'Oracle, Larry Ellison, l'avait annoncé en 1996 : « The network is the Computer ». Cela voulait dire que l'intelligence était dans le réseau ou, en termes plus 2011, que la vie numérique était dans le Nuage. Bien beau, sauf que Larry avait finalement battu en retraite. La planète n'était pas prête et le joueur principal, Microsoft, était loin de ce rêve.
Aujourd'hui, tout est différent. Le coup est jouable. Le concept du Software as a Service ou du Cloud Computing est entré dans les mœurs. Microsoft en a même une version appelée Windows Azur. Le monde corpo se fait rabattre les oreilles avec ce concept depuis au moins cinq ans. Les gens à la maison on probablement commencé à banaliser le mot Nuage au sens « infonuagique » du terme.
Et comme pour donner du poids à la doctrine proclamée « urbi et orbi » hier par Jobs, la firme américaine de recherche Forrester publie une étude (The Personal Cloud: Transforming Personal Computing, Mobile, And Web Markets) où elle estime que le marché infonuagique personnel (pas le corpo) aura une valeur d'au moins 12 milliards $US, dont la moitié provenant des revenus de souscription.
L'auteur, Frank Gillet, estime que l'on n'a plus d'autres choix tellement c'est devenu compliqué de tout faire chez soi. « L'expérience de l'informatique personnelle se complexifie (« has become a major pain in the neck ») au fur et à mesure que les gens ajoutent des téléphones et des tablettes à leur PC, aussi bien à la maison qu'au travail. C'est le cas de la moitié de la population américaine, quelque 135 millions d'individus, qui s'acharne présentement à gérer ses données éparpillées au travers ses PC et dispositifs. »
Cela veut-il dire que Steve Jobs va réussir ? Possiblement, car il est prêt, en tout cas, il le sera au lancement final du iCloud à l'automne; tous les éléments seront alors bien en place. Les habitués du iTunes Store ou de Mobile Me (un service mal-aimé présentement en réfection majeure) deviendront, ipso facto, ses premiers clients utilisateurs. Sans qu'ils n'aient à souffrir. Bien au contraire. La plupart se transformeront en habitués du Nuage, c'est-à-dire du iCloud, sans le réaliser.
À l'automne, leurs contenus (textes ou calculs dans iWork, messagerie, contacts, etc.) seront logés dans la ouate du Nuage (trois jeux et seront offerts à tous les dispositifs associés à un utilisateur, jusqu'à concurrence de 10. L'espace gratuit de stockage sera de 5 Go, ce qui ne tient pas compte des apps, de la musique ou des photos. Par exemple, si on prend des photos avec un bidule sous iOS 5 (ou si on les transfère à partir d'un appareil photo), automatiquement, iCloud les prendra en charge (en sus du 5 Go gratuit) et les offrira (push) aux autres appareils connectés au compte.
Côté musique, Apple va encore plus loin. Le téléchargement de musique pour écoute (sur les 10 appareils associés au compte) sera gratuit. On l'achètera comme d'habitude sur le iTunes Store ou on l'aura déjà dans le logiciel iTunes.
Nouveauté digne de mention, iCloud offrira un service de blanchiment. Si si ! Pour y arriver, les gens devront faire analyser leur disque par un logiciel Apple appelé iTunes Match, une opération de « quelques minutes ». Dès lors, leurs MPS à odeur de soufre deviendront des AAC de 256 kb/s sans protection DRM. Et, quelle qu'en soit la quantité, il leur en coûtera annuellement, 25 $, une somme quasi symbolique.
Avec tout cela, avec l'adaptation transparente du Mac OS X Lion et du iOS 5 à cette réalité (il y aura des rustines pour Windows), et avec le fait que l'ensemble est sensé s'exécuter sans histoire, d'un bout à l'autre sous l'éclairage du logo de la Pomme croquée, Apple se positionne bien en avant de sa concurrence, dixit le monsieur de Forrester.
Bref, avec le iCloud, l'ordinateur ne sera plus qu'un dispositif bête et froid, une machine dans une pièce, dans une sacoche, dans un véhicule, qui permettra à la personne, tout aussi néophyte soit-elle, d'accéder simplement à sa vie numérique. Fini les misères de raccordement, de synchronisation, de bout de câbles, de pertes de photos ou de duplication de fichiers bordélisés ! Steve Jobs, l'icône industrielle qui a très rarement merdé, nous amènera dans la propreté enveloppante du nuage.
Wow ! Je sens ma chaise bouger !
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Nelson Dumais - www.nelsondumais.com