La science-fiction expose franchement la société qui la produit, la consomme, tout comme elle est le miroir des craintes de la collectivité face son avenir : voilà l'idée derrière D'Asimov à Star Wars : Représentations politiques dans la science-fiction, un ouvrage d'analyse politique codirigé par Isabelle Lacroix et Karine Prémont, professeures à l'Université de Sherbrooke.
Avec le concours d'une bonne dizaine de collègues politologues et fans finis de science-fiction, les professeures Lacroix et Prémont analysent les rapports de force présents dans les œuvres populaires telles que Star Wars, Star Trek, Battlestar Galactica, Stargate ou encore Person of Interest.
« Le projet a commencé par un colloque de la Société québécoise de sciences politiques qui a eu lieu à Sherbrooke il y a deux ans. À la recherche d'un thème, j'ai proposé à ma collègue cette thématique mêlant politique et science-fiction. Le colloque a suscité un vif intérêt, au point de devoir refuser des propositions de textes. En voulant mener l'expérience plus loin, le livre est né », explique Isabelle Lacroix, rencontrée à son bureau de l'École de politique appliquée.
Sur une étagère, un petit Yoda dodelinant trône aux côtés de grandes œuvres de philosophie politique.
Des univers inventés à partir d'idées bien réelles
« L'idée était de questionner la science-fiction pour ce qu'elle nous révélait en matière de rapports de force. Elle parle essentiellement de nous, de ce que nous sommes présentement et de ce que l'on pense qu'on sera, en bien ou en mal, dépendamment des œuvres », affirme professeure Lacroix.
Selon elle, la science-fiction est un véritable laboratoire d'étude des relations de pouvoir, des rapports de force et sociaux. On peut y faire tomber les barrières du réel et projeter quelque chose. Autrement dit, ce qui se passe dans notre réel peut être transposé dans les fantasmes du futur que peut représenter parfois la science-fiction. Rappelez-vous la dernière fois que vous avez visionné pour le plaisir un film de Star Wars.
« Il y a quelque chose de bien plus grand que le simple film parce qu'on assiste à la naissance et à la mort d'une démocratie et à l'instauration d'une certaine tyrannie. On voit très clairement comment se construit le renversement, notamment par la présence des discours de peur dans une œuvre pleine de référents au nazisme. Star Wars permet de prendre conscience de la fragilité de la démocratie », expose professeure Lacroix.
Certaines fictions traitent de sujets très actuels, comme la place qu'on donnera à la robotique et les balises qu'on lui imposera.
« Person of Interest expose le contrôle de l'information tel à la fois un défi et un service à la démocratie. En même temps, cela crée un contrôle épouvantable sur les individus, une question très actuelle aux États-Unis et qui alimentait le débat sur les caméras de surveillance au centre-ville de Sherbrooke il y a quelques années. Sans oublier le discours de peur qui a suivi l'attentat terroriste qui a touché le Canada en son cœur. La symbolique d'être entré dans le parlement avec une arme semi-automatique est très forte. Les réalités présentées dans les œuvres ne sont pas nécessairement collées aux réalités québécoises, mais elles permettent de soulever des questions pertinentes. »
Tout un chapitre est dédié aux superhéros, où l'on questionne les préjugés vis-à-vis des femmes et des minorités dans l'évolution des rôles dans les bandes dessinées américaines.
« Nous sommes loin d'être exempts de ces questions au Québec! Elles nous poussent à réfléchir sur les préjugés que l'on continue de porter sur des communautés, juste parce que cela nous convient et nous conforte. Attention, cependant : ces univers restent des œuvres de fiction. »
Un parallèle avec le Québec
Professeur Lacroix se questionne quant à elle sur la place de l'individu dans la collectivité, sur les bases des univers de Stargate et de Star Trek. Dans le deuxième, la collectivité est porteuse et épanouissante pour les individus talentueux. Dans Stargate, elle temps plutôt à vouloir les rabrouer.
Le Québec est-il une société qui promeut l'individu et qui cherche à en faire des êtres épanouis qui contribueront à la collectivité, ou est-il davantage un monde à la Stargate, où le pragmatisme politique en vient à nuire aux individus?
« La réflexion actuelle, celle qui questionne ces outils collectifs qui ne serait peut-être pas à la hauteur du développement que l'on souhaite atteindre pour les individus, est intéressante. Il y a des mouvements sociaux qui font la promotion de l'individu. Mais est-ce que nos politiques publiques des quarante dernières années tendent à mettre en valeur l'individu et à en encourager le plein développement? La tendance des dernières décennies me poussent à penser que non, elles ne vont pas dans cette direction. »
Qui est qui, et dans quel univers?
Estrieplus a voulu savoir dans quels univers Professeur Lacroix situerait certains politiciens, un défi qu'elle a relevé avec grand plaisir et sourire aux lèvres. Star Trek et Stargate ont été retenus pour analyse.
« Les deux univers sont présentés comme utopistes, dans la mesure où la réalisation des éléments qui les composent en ferait des réalités merveilleuses. Star Trek nous dit que ce n'est pas comme cela que la vie fonctionne et que la politique est pragmatique, ce qui amène M. Trudeau au sein des capitaines de Star Trek, alors que je placerais M. Couillard chez les généraux de Stargate, qui travaillent avec leur monde mais qui sont confrontés à bien des contraintes. »
Et le maire de Sherbrooke? « M. Sévigny s'apparente au personnage de la reine Amidala. Il se présente comme un leader mais sans être le chevalier Jedi. Le personnage assume ses fonctions d'administrateur en chef en évoluant avec son environnement. Au départ, c'est une politicienne assumée, une reine qui croit en la démocratie mais qui doit fonctionner dans un univers très, très réel », explique Mme Lacroix.
D'Asimov à Star Wars : Représentations politiques dans la science-fiction sera disponible en librairies le 14 avril.