Comment changer les perceptions lorsqu'un livre à succès a réussi à faire d'un personnage une expression consacrée dans l'imaginaire collectif? Comment donner une voix, trop longtemps ignorée, à ce personnage?
Paru en 1955 le livre ‘'Lolita'' a tout d'abord fait polémique, parce que ses détracteurs y ont vu une apologie de la pédophilie par son auteur, Vladimir Nabokov. Le récit est écrit comme la longue confession d'un homme, Humbert Humbert, décrivant la relation qu'il a eue avec Dolorès Haze durant plusieurs années. Le narrateur relate une obsession dévorante qu'il qualifie de passion amoureuse et sexuelle pour la jeune fille*. Cette obsession va l'amener à commettre l'irréparable et donc, à sa perte. Les qualités littéraires du roman n'ont été reconnues qu'avec le passage du temps; il est maintenant reconnu comme un chef d'œuvre du 20e siècle.
L'autrice et comédienne Paméla Dumont qui l'a lu à l'adolescence, le livre avait soulevé beaucoup de questionnements pour elle à l'époque. Elle n'arrivait pas à expliquer ce sentiment, encore moins pourquoi il restait encré en elle. « J'aurais aimé avoir certains outils, une lecture différente. Moi je l'ai découvert (le livre) à 16 ans, et ça m'a vraiment troublé; j'avais de la misère à mettre des mots là-dessus. Pourquoi? Qu'est-ce que ça avait dérangé chez moi? J'ai réalisé avec le temps que ça avait à la fois suscité du désir chez moi, mais aussi du dégoût, et une certaine honte de ressentir ce désir-là. »
Une fois à l'école de théâtre, Paméla Dumont a fait le pari de développer une perspective propre au personnage de l'adolescente avec l'écriture de la pièce Lolita n'existe pas. Le roman est bâti uniquement sur le regard du narrateur; ne laissant aucune place à une incarnation pluridimensionnelle de la jeune fille. Le lecteur n'a aucun accès à son point de vue sans passer par le filtre de l'homme. « Je me suis dit qu'il faudrait voir cette jeune fille-là, parce qu'elle est trop énigmatique; elle est justement de l'ordre d'un mythe. Parce qu'on ne la voit qu'à travers les yeux de Humbert (l'homme) dans le roman, donc elle n'a pas réellement d'identité complexe et propre à elle-même. », explique l'autrice de la pièce.
Partant du fait divers réel qui a inspiré le roman, Mme Dumont a entrepris des recherches exhaustives pour mieux être en mesure de comprendre comment une adolescente peut accepter d'entretenir une relation, de quelque nature que ce soit, avec un homme adulte, qui n'est pas son père. Elle a lu plusieurs témoignages, et s'est particulièrement inspirée du récit biographique de Natascha Kampusch, une jeune autrichienne kidnappée à l'âge de 10 ans, et gardée captive les huit années suivantes. En ayant un éclairage venant de l'intérieur, Paméla Dumont voulait démontrer comment le trauma et la complexité d'un tel vécu peut affecter le profil psychologique d'une personne de cette âge.
Elle a ensuite procédé à décrire le type de relation pouvant résulter d'une telle interaction entre deux personnes que tout semble opposer. « C'est vraiment de se retrouver dans une histoire et ses ambigüités. Qu'est-ce qui fait que ça peut nous berner? Qu'est-ce qui fait qu'on s'attache à cet homme-là? Il est extrêmement attachant et gentil. L'homme est plein de défauts, il a une douceur, il n'est pas du tout violent physiquement. Ça va prendre un temps, où de manière un peu pathétique, il va la contrôler pour essayer de ne pas la perdre. Et elle, même chose, elle s'est développée dans toutes les contradictions qu'une adolescente vit », précise Mme Dumont.
Le personnage de l'homme a aussi été développé pour démontrer qu'il y a plusieurs facettes qui sa cachent sous le vernis de son apparente gentillesse, mais qu'il n'en a pas nécessairement conscience. « C'est une sorte de portrait très complexe de la psychologie d'un homme qui est victime de sa société, qui est aliéné et qui souffre aussi. Qui tombe en amour, ça c'est tabou aussi, mais il ne se rend pas compte du rapport de force et de la domination qu'il peut avoir », raconte Sylvio Arriola, qui en est l'interprète. « Il est aveuglé par l'amour qu'il éprouve envers elle, puisque cet homme-là n'en a jamais eu. Il est un peu coincé, il n'as jamais développé une sorte d'intelligence sociale ou relationnelle. C'est plus facile pour lui d'aller vers une jeune fille qu'une femme mature », ajoute M. Arriola.
L'histoire est présentée sous la forme d'un roadtrip, dans lequel les deux instigateurs vont, au fil des kilomètres, essayer de se convaincre que cette aventure n'est pas une façon de s'enfoncer dans une relation de séduction trouble et malsaine. Dans sa quête paradoxale de validation et d'émancipation, l'adolescente va utiliser des codes adultes sans en réaliser les conséquences. Et l'adulte va, dans son désir d'établir une interaction amoureuse, détruire le reste d'innocence de celle par qui son éveil amoureux et sexuel sera arrivé.
Une réflexion très actuelle sur le consentement, la domination, mais par-dessus tout, sur la déconstruction du mythe de la nymphette qui cherche à séduire en toute connaissance de cause.
Dans une mise en scène de Valérie Drapeau. Interprétée par Paméla Dumont et Sylvio Arriola.
La pièce Lolita n'existe pas sera présentée le jeudi 12 mars au Pavillon des arts et de la culture de Coaticook à 19 heures.
*résumé Wikipédia