Par Louise A. Legault
De l'eau, beaucoup d'eau! De l'eau qui tombe du ciel, qui
ruisselle et qui percole dans le sol. De l'eau qui s'infiltre dans la moindre
fissure et s'accumule dans la plus petite dépression. De l'eau qui ronge le
terrain et l'emporte par grands pans. De l'eau qui peut faire la pluie et le
beau temps dans le domaine du bâtiment, dont il faut assurer de plus en plus
une bonne gestion pour la préserver et l'exploiter comme un atout dans un
environnement résidentiel.
La gestion de l'eau de pluie s'est limitée longtemps à
l'évacuer le plus rapidement possible, une approche strictement quantitative et
technique. Une pente appropriée, bien orientée, et le tour était joué. Il ne
semblait y avoir aucune limite à la capacité des installations.
Avec l'imperméabilisation grandissante des centres urbains
cependant, l'eau pluviale présente un important problème sanitaire qui
complique son traitement et sa gestion. Par forte pluie, toute cette eau
déborde des infrastructures et est rejetée directement dans les cours d'eau (ou
se retrouve dans les sous-sols). Or, cette eau charrie avec elle hydrocarbures,
pesticides, métaux lourds et poussières. Il faut donc trouver le moyen de la
retenir et de la nettoyer avant de l'évacuer.
Augmenter la
perméabilité
L'approche peut sembler évidente. Pourquoi ne pas rendre les
surfaces perméables? Dans le cas du pavé drainant, l'eau s'infiltre entre les
pavés pour s'accumuler dans la structure. Elle est ainsi détournée des
canalisations d'égout et des cours d'eau. Les matières polluantes sont
filtrées, ce qui empêche la contamination des eaux.
Si le revêtement en pavé drainant s'avère un peu plus
coûteux, il évite l'installation de bassins de rétention, une économie non
négligeable. Construction Danam Bonzai fait justement l'essai des pavés INFLO
mis au point par Techo-Bloc dans les rues privées et les stationnements
extérieurs du projet Cité 7 à Mirabel.
Ce même principe se retrouve avec le béton drainant, un
béton composé de vides interconnectés représentant de 15 à 35 % du volume.
Encore une fois, l'eau pénètre le béton et percole dans la structure, afin
d'approvisionner la nappe phréatique et les couches aquifères. Le béton
drainant peut ainsi évacuer de 85 à 730 litres d'eau par mètre carré à la
minute.
Le niveau d'infiltration varie selon l'apport de particules
fines, ce qui laisse des vides. « Il faut prendre soin de ne pas fragiliser le
revête - ment indûment, explique Pierre Berté de Sintra. Les cycles de gel et
de dégel peuvent entraîner la rupture des granulats et créer des nids-de poule
et des fissures. » Ce type de revêtement en béton drainant ne convient donc pas
aux endroits très fréquentés ou traversés par des véhicules lourds.
Selon Manon Martineau, directrice du développement des
produits spéciaux - béton prêt-à- l'emploi - chez Lafarge, le béton drainant
trouve son application dans les aires de stationnement, les voies piétonnières,
les aires de jeux et les parcs. « C'est du cas par cas, remarque-t-elle. Il
faut tenir compte du type de sol, du niveau de précipitations et des aires
adjacentes. » Le béton drainant s'avère compétitif par rapport au pavé imbriqué
et peut constituer une option en mi - lieu urbain où l'espace est souvent
restreint.
Le Québec est un peu à la traîne en ce domaine, notamment
par rapport à l'Ontario, qui a publié son guide de gestion des eaux pluviales
dès 2003. La Ready Mixed Concrete Association of Ontario (RMCAO) a d'ailleurs
élaboré une norme en ce qui concerne le béton drainant.
La Ville de Montréal réalise en ce moment deux planches
d'essai avec béton drainant sur les trottoirs d'un tournebride près de la rue
Notre-Dame, où les fosses de plantation ont été agrandies. « Nous allons
mesurer l'apport d'eau et voir si les arbres municipaux s'en portent mieux. Ils
pourront ainsi mieux contribuer à la canopée et à la lutte aux effets d'îlot de
chaleur, note l'architecte Guy Trudel, de la direction des transports. Nous
voulons aussi évaluer l'effet sur l'entretien et le besoin d'arrosage. » Eau,
îlot de chaleur, entretien, tout est relié. Avec en prime la sécurité, l'eau
(et la glace) ne s'accumulant plus sur les trottoirs.
Laisser la nature
faire son œuvre
Plutôt que de s'opposer aux processus naturels, une approche
qui a malheureusement démontré ses limites, il peut s'avérer profitable de
mimer la nature et de travailler avec elle. À l'approche pure et dure, il faut
ajouter l'approche douce, qui recourt à la végétalisation. L'eau n'est plus ici
quelque chose dont on doit se débarrasser de la façon la plus efficace, mais
plutôt une ressource à exploiter
Une thèse de maîtrise de l'Université de Sherbrooke avance
qu'avec une bonne planification de son territoire, une municipalité pourrait
constituer une chaîne d'espaces végétalisés qui contribueraient à la réduction
de l'effet d'îlot de chaleur observé en milieu urbain et à l'augmentation de la
biodiversité, en assurant une meilleure connectivité des espaces verts entre
eux.
La création de ces espaces verts répond aussi au besoin de
contact avec la nature. Dans une telle approche, la gestion de l'eau va bien
au-delà des considérations techniques et revêt une dimension sociale en créant
des milieux de vie plus agréables. C'est un peu le pari retenu par NIP Paysage
à Place l'Acadie, un ensemble d'habitations à prix modique de Montréal
tristement célèbre, revampé avec trois aires de plantation, qui créent des
espaces de jeu pour les enfants tout en gérant les eaux de surface.
Québec habitation a fait état de plusieurs projets résidentiels
et des solutions retenues par les promoteurs pour gérer les eaux de surface.
C'est le cas, entre autres, du projet de la Cité verte à Québec, avec ses
bioswales et son bassin de rétention qui empêche l'érosion de la falaise en
contrebas. Il y a aussi l'Albatros de Saint-Eustache, qui a utilisé les lacs
artificiels d'un terrain de golf pour empêcher le rejet aux ruisseaux
environnants tout en créant un parc pour les résidents du projet. Dans le
projet de logement social le Coteau vert, les concepteurs ont pu réduire le
nombre de places de stationnement et créer ainsi une cour intérieure verte avec
un bassin de rétention des eaux en son centre.
Cette même approche peut servir dans la réfection de zones «
tout béton » comme les Habitations Jeanne-Mance, un parc de logements sociaux
au centre de Montréal. En verdissant les stationnements, la firme EXP a pu à la
fois régler un problème d'inondation récurrente, créer un milieu de vie plus
intéressant et rafraîchir cet îlot de béton.
Pour Vinci Consultants, il s'agit de pratiques nouvelles, et
les clients demeurent frileux. Optimiste, l'ingénieure et PA LEED Marie Dugué
évalue à 10 % le volume de projets végétalisés comparativement aux projets
structuraux traditionnels. « La biorétention n'est pas toujours possible, mais
elle est moins chère, ce qui est un argument de plus en sa faveur »,
note-t-elle.
Ce domaine conserve encore un côté expérimental. « On ne
sait pas toujours comment les plantes vont réagir », souligne Josée Labelle,
architecte paysagiste chez NIP Paysage. Au Coteau vert, par exemple, NIP devra
trouver de nouvelles solutions, « la densité hallucinante d'enfants » ayant eu
raison du gazon dans la cour intérieure.
Pour l'architecte paysagiste, le bâtiment même peut
participer à la gestion des eaux pluviales. C'est ainsi qu'au Centre sportif de
Gatineau, l'ajout de « gargouilles », qui constitue en fait un abaissement du
parapet, éloigne l'eau du bâtiment vers des enrochements. Rien n'empêche non
plus de raccorder le drain des toits plats au jardin plutôt qu'aux égouts. La
gestion des eaux pluviales doit donc faire partie d'un concept intégré.
Faire avancer la
pratique
Vinci Consultants et NIP Paysage collaborent à des projets
de recherche et développement (R-D) dans le domaine. Les ingénieurs assurent
notamment un suivi du stationnement du magasin Mountain Equipment Coop depuis
2009.
« Tout fonctionne très bien, été comme hiver », note Marie
Dugué. Dans ce cas-ci, l'eau des toits est même redirigée vers les toilettes.
Plus récemment, ce duo s'est attaqué au stationnement du
Marché public de Longueuil, inauguré en 2014. « L'Association des producteurs
maraîchers du Québec n'aurait pu aménager un stationnement de 250 places en
façade n'eût été de ce nouveau concept », explique Pascale Rouillé, de Vinci Consultants.
Pas moins de six pratiques de gestion optimales (PGO) des eaux pluviales
différentes (biorétention, noues, tranchées drainantes, tranchées «
infiltrantes », bassins secs et bassins à niveau d'eau permanent) y sont mises
à contribution en série. L'eau des toits est récupérée et sert à l'alimentation
des toilettes et au nettoyage des étals extérieurs. L'endroit sera également le
théâtre d'une formation en horticulture dans le cadre d'un programme
d'insertion au travail. Des ateliers seront aussi donnés pour sensibiliser les
visiteurs.
Voilà autant de façons de faire avancer la pratique et de
rapprocher les citadins de leur vraie nature.
Source : Magasine Québec Habitation Aout 2015, Magasine
publié par l'APCHQ Provinciale