Peut-on faire confiance aux experts? C'est la question à laquelle le professeur de l'Université de Sherbrooke (UdeS) et titulaire de la nouvelle Chaire de recherche du Canada en épistémologie pratique, François Claveau, tente de répondre.
Les travaux du professeur Claveau, philosophe et économiste de formation, visent à mieux comprendre les caractéristiques des organisations qui utilisent et mettent de l'avant des experts pour communiquer une information. Il s'intéresse entre autres aux grandes organisations telles que la Banque mondiale et l'Organisation mondiale de la santé (OMS).
« Dans toute controverse publique, il y a un volet scientifique. Qu'on parle des compteurs d'Hydro-Québec ou de l'atteinte du déficit zéro, les différents camps vont appeler à des experts. Ils vont utiliser leurs arguments pour soutenir leur position. On peut se donner des outils pour évaluer les prétentions de ces experts, parce que ce ne sont pas toutes les revendications d'expertise qui se valent », explique-t-il.
Malheureusement, il n'existe pas de réponse simple, en deux phrases, pour aider les gens à départager toutes ces informations. Cependant, on peut éviter certains pièges.
Les experts, loin d'être un groupe homogène!
Selon le professeur Claveau, il importe d'éviter de voir les experts comme un groupe unifié, homogène.
« On peut dire que tout le monde est expert dans un domaine précis, mais un expert ne peut l'être dans tous les domaines, explique-t-il. L'expert de la politique canadienne n'est probablement pas la bonne personne avec qui discuter de l'avenir des sables bitumineux! »
Il faut aussi se rappeler qu'un expert arrive avec son idée et que son opposant sera automatiquement un profane à ses yeux.
« Parfois, on peut se fier à un expert sur un type d'informations seulement. L'exemple le plus flagrant est probablement celui de la question des changements climatiques. Le consensus est là : on s'entend pour dire que l'Homme est responsable du réchauffement climatique. Mais sur comment ses changements se traduiront dans l'avenir, là, les scientifiques sont très loin d'un consensus! »
Faire la part des choses
Aussi, toute personne devrait avoir une saine méfiance envers les experts, selon le professeur Claveau, mais doit également se méfier d'elle-même.
« Les études tendent à démontrer une méfiance asymétrique des gens, c'est-à-dire qu'on sera plus portés à croire celui dont l'exposé nous conforte dans nos positions. Celui qui va à l'encontre de nos idées semblera moins crédible. Il faut se demander qu'elle est notre opinion sur le sujet et comment celle-ci peut influencer la fiabilité qu'on accordera à l'expert qui présenté », explique-t-il.
Bref, les gens doivent faire la part des choses puisque l'expertise est partout. Le danger réside toutefois dans le magasinage de l'expertise, c'est-à-dire dans la recherche de ce qui conforte.
« Dans tous les domaines, il y a des questions qui font consensus. Ces consensus découlent de questions qui ne sont pas troublantes et dont la conclusion est acquise par la communauté, comme le fait que la grippe vient d'un virus. À la frontière du domaine de la recherche, c'est là qu'on retrouve les désaccords, comme sur l'efficacité d'un médicament. Et c'est normal, c'est de cette manière que la science avance! »
Comme les médias font souvent appel à des experts pour bonifier un reportage, le professeur Claveau invite à la prudence.
« Ce qui est préoccupant dans la médiatisation des experts est qu'on leur demande de prendre position. On peut se poser la question : le média cherche-t-il une confirmation ou une faille dans son dossier? Le domaine d'expertise est-il mature ou encore bien trop récent? Y-a-t-il une prime à la nouveauté pour cet expert, à l'excentricité? Comme il n'y a pas de recette magique pour aider les gens à faire la part des choses, soyons prudents », conclut François Claveau.