Chroniquer sur l'actualité durant une longue période donne parfois l'impression de vivre une sorte de jour de la marmotte. Les mêmes événements se reproduisent, seuls les acteurs changent. C'est la reproduction du même de l'identique. Une sorte de fatalité de l'histoire humaine.
Il en va ainsi de la question du Canada français ou vu sous un autre angle de la survie des minorités canadiennes-françaises au Canada. Ces dernières semaines, les événements politiques dans deux provinces, à l'exception du Québec, nous rappellent la fragilité de l'héritage français au Canada. À titre d'exemple, la décision de Doug Ford de couper les budgets au français en Ontario et le résultat des élections au Nouveau-Brunswick où la fin du bilinguisme officiel était un enjeu de l'élection. Le 27 avril 2016, j'ai consacré une chronique à ce sujet dans EstriePlus. Cette semaine, l'actualité de mes propos d'alors me permet d'en repiquer une large partie pour faire le point sur la situation actuelle. Immersion dans l'univers canadien-français au Canada.
Le savant et le politique
La question du Canada français n'a jamais été autant d'actualité dans la littérature savante. On compte de nombreux ouvrages savants qui font de cette question, le sujet central de leurs réflexions. Il y a l'ouvrage de Jean-François Laniel et Joseph Yvon Thériault sur le Retour sur des États généraux du Canada français, celui de Jean-François Caron et Marcel Martel sur Le Canada français et la Confédération et l'ouvrage de Jean-François Caron Être fédéraliste au Québec. Comprendre les raisons de l'attachement des Québécois au Canada. Il ne faudrait pas passer sous silence l'œuvre d'Yvan Lamonde dont le dernier tome sur la modernité au Québec se consacre à l'émergence de la Révolution tranquille et à l'apparition du Québec avec la Révolution tranquille.
Sans compter les revues savantes comme le Bulletin d'histoire politique qui consacre son numéro d'hiver 2016 au bilan historiographique de la francophonie nord-américaine ou encore la revue Arguments qui nous parle de la Révolution tranquille ainsi que la revue Mens qui revient sur l'héritage de la Commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme mieux connu sous le nom de Commission Laurendeau-Dunton. Sans oublier l'éclairant ouvrage de Valérie Lapointe Gagnon intitulé, Panser le Canada. Une histoire intellectuelle de la commission Laurendeau-Dunton publiée chez Boréal.
Il y a aussi toute l'actualité de la réflexion du chanoine Lionel Groulx, véritable maître à penser d'un Canada peuplé de parlants français catholiques. Pour celles et ceux qui aimeraient se replonger dans cet univers singulier, je vous recommande la biographie de Lionel Groulx écrite par Charles-Philippe Courtois publiée en 2017 aux Éditions de l'homme : Lionel Groulx : le penseur le plus influent de l'histoire du Québec ou encore l'excellent ouvrage de Michel Bock publié chez Hurtubise en 2004 et intitulé : Quand la nation débordait nos frontières. Les minorités françaises dans la pensée de Lionel Groulx. Cela devrait suffire à convaincre de l'intérêt du sujet politique de l'heure au Canada pour les savants d'ici. À n'en point douter, il y a un grand intérêt pour explorer ce passé récent du Québec et pour mieux le comprendre et mieux comprendre celui du Canada français.
La situation des Canadiens français au Canada
Ainsi, selon Statistique Canada, en 1971, les francophones, selon le critère de la langue le plus souvent parlée à la maison, comptaient pour 4,3 % de l'ensemble de la population hors Québec, tandis que 40 ans plus tard, ce pourcentage s'élevait à 2,4 %. C'est moins que la proportion des Canadiens hors Québec dont la langue maternelle est le français, soit 4 %, ce qui montre que l'assimilation fait son œuvre. Toutefois, le nombre absolu de personnes hors Québec qui parlent le français au moins régulièrement à la maison est resté stable, à un peu plus d'un million, entre 2011 et 2016, auquel s'ajoute un total de 1,7 million de locuteurs qui peuvent soutenir une conversation en français.
En dehors du Québec et du Nouveau-Brunswick, le Canada demeure une redoutable machine d'assimilation des francophones. Il n'en demeure pas moins que nombre de francophones hors Québec continuent un combat dont ils savent qu'il n'est pas perdu.
La fierté canadienne-française flétrie
C'est pourquoi, il peut nous être facile à comprendre que les canadiens-français vivant ailleurs qu'au Québec n'aime pas, nous avons tendance à l'oublier au Québec, se voir qualifiés de dead ducks (René Lévesque) ou de « cadavres encore chauds » (Yves Beauchemin). Encore moins se faire dire par l'autrice et journaliste Denise Bombardier « qu'au Canada, toutes les communautés francophones ont à peu près disparu » à l'émission Tout le monde en parle (TLMEP) le 21 octobre dernier. La situation de la francophonie canadienne est beaucoup plus nuancée. S'il est vrai que son histoire s'est vécue au diapason de celle du Québec pendant une longue période. Période qui s'étend du milieu du 19e siècle jusqu'aux États généraux du Canada français dans le dernier tiers du 20e siècle. Moment où le Québec a pris le parti de faire cavalier seul en se revendiquant le territoire national des Canadiens français et en voulant devenir un pays.
L'historien Gaétan Gervais décrit bien dans un livre publié en 2011 : Des gens de résolution. Le passage du « Canada français » à « l'Ontario français ». Dans cet intéressant ouvrage Gervais aborde la question suivante : « comment les Canadiens français de l'Ontario, femmes et hommes, ont-ils vécu la fin du Canada français ? La réponse se présente en trois temps. Dans le premier chapitre, les congrès patriotiques apportent une description de ce que représentait le Canada français avant 1960. Le deuxième texte décrit l'éclatement de la nation canadienne-française, comme en témoignent les États généraux du Canada français (1966-1969). Enfin, le troisième chapitre explore comment cette rupture a forcé la communauté franco-ontarienne à définir autrement sa culture, pendant qu'émergeait une nouvelle identité franco-ontarienne ».
Ces belles relations canadiennes-françaises, pourtant, ont fini par se dégrader. L'historien attribue ce revirement à trois causes : « le rétrécissement du réseau clérical canadien-français, la montée du néonationalisme québécois et la reconnaissance des droits des minorités au Canada anglais ». Pourquoi le Québec a-t-il tourné le dos au Canada français ?
De Canadien français à Québécois
L'une des pistes d'explication possible c'est que notre passé canadien-français est peu glorieux. Il nous rappelle l'emprise de l'Église catholique sur nos vies, les souffrances de notre héros Maurice Richard et surtout cette discrimination systémique dont les Canadiens français furent victimes au Canada. Ces nationalistes en veulent au pays le Canada pour avoir trahi la promesse d'un pays construit sur la reconnaissance de deux peuples fondateurs.
Le discours des nationalistes nous rappelle avec force et insistance toutes les promesses brisées de ce Canada unitaire que ce soit la crise des écoles séparées du Manitoba de 1890, l'affaire Riel, le règlement 17 de l'Ontario, les crises de la conscription, les référendums volés de 1980 et 1995, le rapatriement inique de la constitution contre notre volonté en 1982, le scandale des commandites et le déséquilibre fiscal ainsi que les politiques tout au pétrole du gouvernement Harper contre le Québec.
Au-delà de ce discours historiographique victimiste, il faut pourtant rappeler que ce sont les Canadiens français du Québec qui ont brisé la belle harmonie canadienne-française d'avant 1960 partout au Canada. Avec la tenue des États généraux sur le Canada français en 1967, les Canadiens français du Québec sont devenus des Québécois et le projet de construire un État indépendant est devenu réalité dans la mouvance de la Révolution tranquille. De nouveaux partis politiques sont apparus pour porter ces aspirations nationales soit le RIN de Pierre Bourgault et Andrée Ferreti et le PQ de René Lévesque.
L'émergence des Québécois et la disparition des Canadiens français de notre imaginaire ont cependant créé un hiatus entre la volonté de protéger notre culture francophone et catholique en nous appuyant sur un État : le Québec, et notre volonté d'inclure les autres à ce projet. Quel est donc l'intérêt pour de nouveaux arrivants de devenir Québécois plutôt que Canadien ? C'est là tout le dilemme de la question nationale au Québec.
Le devoir de solidarité
Le Québec a un devoir de solidarité envers sa culture. Le nationalisme québécois ne peut se conjuguer que par la solidarité avec les autres Canadiens d'expression française au Canada. Il est heureux que notre nouveau premier ministre du Québec, François Legault, veuille aborder la question avec son homologue Doug Ford de l'Ontario même si son plus pressant désir est de lui vendre notre hydro-électricité. Dans la vie, il n'y a pas que l'argent, la business, il y a aussi la vie au cœur même de ce que nous sommes. La vraie question qui se pose à nous aujourd'hui, je vous la repose : Sommes-nous toujours des Canadiens français ?