Nous vivons dans un bien drôle de pays. Un pays dont les citoyens d'une partie de son territoire sont sollicités par une double appartenance nationale. Vous comprendrez que je parle ici de la relation qui a longtemps été tordue entre le Québec et le Canada. Ceux qui me connaissent ne seront pas étonnés de lire que je crois tout à fait réconciliable le fait que nous puissions être à la fois des nationalistes québécois et de fiers Canadiens. Il n'en demeure pas moins que cette double allégeance à la patrie du Québec et au pays du Canada a été depuis longtemps l'objet d'âpres débats politiques.
Le Québec recherche depuis toujours une reconnaissance formelle de sa condition de nation par des aménagements constitutionnels particuliers, distincts alors que le Canada réel cherche à rendre le Québec comme les autres provinces. C'est la source de bien des incompréhensions, mais aussi, et cela est vraiment triste pour le Canada, d'une indifférence bien sentie des uns et des autres. Le Canada s'est imposé par défaut à bien des Québécois et non pas par adhésion franche et enthousiaste. Découverte d'un Canada enfoui sous les aveuglements de l'histoire.
Sur la piste d'un Canada errant
L'écrivain-géographe, natif du comté de Bellechasse, Jean Morisset vient d'écrire un très beau livre qui a été publié aux éditions du Boréal intitulé : Sur la piste du Canada errant. Dans ce livre original, l'auteur Morisset y défend la thèse que le « Canada » est une sorte d'« imposture ». Les Pères de l'Acte d'Amérique du Nord britannique ont baptisé le pays qui se situe au nord du 45e parallèle du nom de Canada. Voici ce qu'il nous en dit : « Après moult délibérations, les pères de la Confédération ont décidé de l'appeler "Canada", reprenant le nom, vocable autochtone francisé, d'une des composantes de la nouvelle entité. Le Canada serait désormais, from coast to coast, un pays arpenté, découpé et gouverné selon les principes politiques britanniques. »
En fait, le pays que l'on nomme le Canada nous a été volé par les Britanniques. Le « nous » que j'utilise ici englobe à la fois les peuples des premières nations et la descendance issue de la France au 17e siècle. Cette descendance que l'on assimile aujourd'hui aux Québécois de souche d'ascendance francophone était les premiers Canadiens poussant leurs canots et traçant « leurs sentiers sur un territoire qui allait de l'Alaska jusqu'à la Nouvelle-Espagne, de l'embouchure du Saint-Laurent jusqu'aux Rocheuses, nommant au passage rivières, lacs et montagnes, se mêlant aux nations premières, adoptant leur mode de vie, donnant naissance à une véritable culture créole, métisse comme on en trouve aux Antilles ou au Brésil. »
Le Canada enfoui sous les aveuglements de l'histoire
Le livre de Morisset est provocateur et iconoclaste nous dit l'éditeur en page quarto où il présente le livre : « Jean Morisset nous invite à redécouvrir ce Canada enfoui sous les aveuglements de l'histoire et les traductions approximatives des cartes géographiques. Il montre comment le British North America s'est fabriqué une identité à partir des cultures autochtones, canadienne et métis, tout en leur niant tout véritable pouvoir politique. Il montre enfin comment les Canadiens-faits-Québécois ont participé à cette appropriation du territoire servant d'entremetteurs pour la Convention de la Baie-James, le dernier des traités historiques confirmant l'"extinction" des droits autochtones au profit du Dominion du Canada ». (Loc. cit.)
Le Canada n'est pas le modèle parfait de la patrie des droits de l'homme et des libertés que l'on se targue d'être. C'est un pays qui sous domination britannique a colonisé les populations de l'intérieur. Au premier chef et de façon peu élégante les premières nations, mais aussi les « Canayens », ces Québécois d'aujourd'hui d'ascendance francophone et les métis de Louis Riel qui fut pendu par le pouvoir britanno canadien représenté par le premier ministre du Dominion, John A. McDonald.
Le « Canayen » allié objectif des Britanniques?
Ce « Canayen » qui a été l'allié objectif du colonisateur politique auprès des nations autochtones et des métis. Dans ses mémoires, l'évêque de Saint-Albert, Vital-Justin de Grandin écrit à l'endroit des blancs canayens : « Sans vous, les Blancs ne se seraient point emparés de nos terres ». (Jean Morisset, Sur les traces du Canada errant, Montréal, Éditions du Boréal, 2018, p. 129). Morisset écrit à ce sujet : « On peut en déduire que le "vous" du "sans vous" n'était pas tout à fait un Blanc, puisqu'il aurait permis l'arrivée des Blancs, mais quelle ignominie que tout cela. La mise en parallèle se fait d'elle-même. Ces deux textes expriment le point de vue d'une élite cléricale collaboratrice qui entraîne dans son giron le Canadien analphabète, faisant de lui le mercenaire éhonté de la conquête de l'Ouest auprès des représentants de l'Empire. » (Loc.cit.)
Cela fait de nous Québécois d'ascendance française de mauvais coucheurs et nous met dans une position délicate : « Position frisant l'insoutenable non seulement sur le plan politique, mais aussi quant au rapport à un système qui méprise ce sang-mêlé de Canayen tout en s'emparant de son esprit pour nourrir sa propre mythologie. S'il arrive parfois que le Canadien soit vu comme "Blanc à part entière", il s'agit d'un spécimen dégradé qui s'est laissé attraper par la "sauvagerie" en convolant avec le pays autochtone; si, par contre, on le considère comme un "Sauvage à sang blanc", il ne jouit pas auprès de l'Europe ou de l'Empire de la vertu du "valeureux brave" ou du "sage sachem" puisqu'il n'est pas pur fils de la forêt. Ce qui fait en sorte que tout ce qui est vrai chez lui, c'est de ne jamais être un vrai vrai. » (Jean Morisset, Op. cit. p. 132)
D'où le fait que j'affirmais que nous vivons dans un drôle de pays et que nous avons, les Québécoises et les Québécois d'ascendance francophone, un devoir particulier pour faire du Canada un vrai pays et nous devons le faire avec nos frères et nos sœurs autochtones et des Premières nations.
Le Canada mon pays ?
En dépit de ces réalités et de nombreuses autres qui témoignent de la spoliation de nos identités par le pouvoir britannique, je suis tout de même d'avis que le Canada a tout ce qu'il faut pour devenir un beau et grand pays et un pays réel pour tous. Quelle devra donc être notre quête pour le faire advenir ce pays qu'est le Canada dans l'humeur de 2018? Je crois que nous devrions tous ensemble Canadiens de toutes origines fondés un pays neuf sur le modèle d'une fédération multinationale qui serait respectueuse des nations qui l'habitent et des femmes qui en constituent le contingent le plus progressiste. Le Canada postnational qu'appelle Justin Trudeau ne pourra exister que sur le socle d'identités solidement ancrées et respectées par tous dans ce pays. Alors nous aurions de quoi fêter en ce 1er juillet. Sinon, nous ne sortirons jamais de ce grand malentendu canadien...
Bonne fête quand même Canada!