Les restaurateurs du Québec ont peu de façon de se protéger en cas d'incident dans leurs établissements. C'est ce qui, entre autres, ressort du plus récent événement de réaction allergique sévère qui s'est produit au restaurant Le Tapageur de Sherbrooke en mai dernier.
La présumée victime a depuis déposé une plainte pour négligence criminelle à l'endroit du serveur qui lui aurait servi un plat par erreur, causant une réaction allergique sévère qui a conduit le client à l'hôpital.
Au souvenir du vice-président aux affaires publiques et gouvernementales de l'Association des restaurateurs du Québec, François Meunier, cette poursuite visant directement la personne est une première au Canada. Qui plus est, cette procédure pourrait ouvrir la porte toute grande à une jurisprudence qui aurait une multitude de conséquences sur le monde de la restauration au Québec.
« L'élément nouveau est qu'on fait table rase. En termes de plaintes pour négligence criminelle à l'endroit du personnel des restaurants, la feuille est blanche au Canada. Le Directeur des poursuites criminelles et pénales [DPCP] rendra sa décision à savoir s'il retient la plainte au cours des prochaines semaines. Si procès il y a, ses conséquences insécuriseront toutes les personnes qui font du service et celles qui sont dans les cuisines », s'inquiète M. Meunier, qui suivra de très près le dossier.
Tous les restaurateurs ont une police d'assurance civile pour couvrir les accidents, comme le fait de s'accrocher dans un bout de tapis et de tomber dans des escaliers, ou d'un serveur qui échappe une soupe chaude les cuisses d'un client.
Sinon, ni le restaurant, ni ses employés ne peuvent compter sur une quelconque protection juridique comme le font les membres d'un ordre, par exemple.
Difficile de gérer les allergies alimentaires
« En ce qui concerne les allergies alimentaires, on peut structurer la gestion des risques et établir une procédure qui évitera les contaminations croisées. On peut aussi se doter d'un plan d'urgence, qu'il fasse l'objet d'une formation pointue avec le personnel et s'assurer qu'il soit respecté. C'est la seule façon de réduire les risques d'être poursuivis », explique François Meunier.
Toutefois, il n'existe encore aucune obligation pour les restaurateurs de se doter d'un tel protocole, même si beaucoup d'efforts auraient été réalisés depuis une vingtaine d'années pour accueillir de plus en plus les gens souffrant d'allergies.
« On ne peut pas non plus forcer un restaurant à modifier son menu afin qu'il tienne compte des possibles allergies, ou encore l'obliger à offrir des assiettes ne contenant pas d'allergènes, ou encore une absence de risque de contamination. Même certains légumes font l'objet d'allergies! », de souligner M. Meunier.
Et maintenant?
« On tentera de voir si on peut, légalement, obliger un client souffrant d'allergies d'avoir son Epipen sur lui avant de le servir. Il faut savoir que refuser de servir un client allergique est la même chose que refuser de servir une personne handicapée », de dire François Meunier.
Pourrait-on faire des ajustements? « Peut-être, oui. Mais il faut que les personnes allergiques respectent certaines choses aussi. Je ne crois pas que d'aller chercher son auto-injecteur dans l'auto, avant d'être servi, soit une précaution déraisonnable », ajoute-t-il.
L'ARQ recommande à ses membres d'avoir un auto-injecteur sur place et les serveurs peuvent légalement l'administrer depuis 2013.
« Actuellement, il y a beaucoup d'inquiétude dans les établissements. Les gens cherchent à pouvoir accueillir les personnes allergiques dans un environnement le plus sécuritaire possible, mais c'est clair qu'avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête et l'absence de protection, les relations entre le personnel, les exploitants et les clients avec des besoins particuliers pourraient être tendues », conclu François Meunier.
« Je dois me protéger »
Copropriétaire de l'Auberge Ayer's Cliff depuis cinq ans, Louis Charland a acheté un Epipen pour son établissement au début du mois d'août pour éviter de subir le même sort que l'employé du Tapageur.
Depuis déjà plusieurs années, la Commission de la santé et de la sécurité au travail (CSST) oblige à ce qu'au moins un employé par quart de travail sache administrer l'auto-injecteur. Heureusement, Louis Charland n'a pas encore à composer avec un cas de réaction allergique extrême. Mais au-delà des allergies alimentaires, la terrasse accueille souvent des guêpes.
Il y a toujours une ambulance pas trop loin dans le secteur, mais le trajet jusqu'à l'hôpital de Magog prend 20 minutes. Une éternité, en cas de choc anaphylactique sévère.
« Avec cette histoire, j'ai acheté un Epipen. Cependant, mes employés ont comme consigne de ne pas l'administrer. Ils doivent donner l'auto-injecteur au client qui se l'administrera lui-même et devant témoin. Des gens peuvent réagir à l'Epipen et même en faire une crise cardiaque. Je ne peux pas prendre le risque de faire l'objet d'une poursuite parce que la personne a fait une réaction à une action pour tenter de la sauver », affirme-t-il.
De plus, l'Auberge Ayer's Cliff inscrira sur son menu que ses cuisines sont dans l'impossibilité de garantir l'absence de contamination et, contrairement à d'autres établissements, elle se réserve aussi le droit de refuser de servir une personne allergique sévère pour cette même raison.
« Il n'y a pas beaucoup d'endroits qui peuvent le garantir. On peut composer avec une intolérance, mais le fait est que les cuisiniers vivent un grand stress quand on leur mentionne qu'il y a une personne intolérante dans le restaurant! »
Louis Charland était à Bouffe ton Centro, le 6 août dernier. Bien entendu, le sujet était sur toutes les lèvres.
« Tous les restaurateurs espèrent qu'il n'y aura pas de jurisprudence parce que ça pourrait imposer des changements majeurs aux restaurateurs. On ne peut pas tous bannir tous les allergènes de nos cuisines : mon plus gros vendeur est mon tartare de saumon. Au final, les gens allergiques devront aussi faire la part des choses », estime-t-il.