Le canton de Dudswell a déjà
été desservi par deux importants chemins de fer: le Québec Central en
service à partir de 1875 et le Main Central de 1889 à 1927. Ces deux
voies de fer se croisaient à Dudswell Jonction, situé sur le chemin
Georges à environ 2 km du village de Bishopton. Je vous ai raconté les origines
du Québec Central, voici celles du Main Central.
À la fin du 19e
siècle, les colons qui s'étaient installé dans le Sud des Cantons de l'Est,
souffraient grandement du manque de voies de communication, entre autres les
Cantons de Eaton, Clifton et Hereford situés au sud de Cookshire. À l'ouest, à
quelques miles de là, il y avait bien le Grand Tronc construit en 1852
qui reliait Montréal et Portland[1] en
suivant la rivière Coaticook et au nord, l'International Railway Company [2], le
fameux chemin Pope (1875), qui partait de Lennoxville et se rendait à
Lac-Mégantic en passant par Cookshire. Toutefois, ces chemins de fer étaient
beaucoup trop loin pour leurs venir en aide.
Paradoxalement, c'était, depuis
1805, les trois cantons qui avaient bénéficié d'une des premières routes des
Cantons de l'Est, c'est à dire le chemin Dudswell-Hereford[3]
verbalisée en 1822 mais qui était tortueux et incertains, et la plupart du
temps, impassable par endroits dus au manque d'entretient. Les déplacements
étaient donc très difficiles et, avec le cheval ou les bœufs, la vitesse
dépassait rarement les 5 à 10 kilomètres à l'heure.
En cette fin du 19e
siècle, seul un chemin de fer pouvait stimuler l'agriculture locale, promouvoir
l'installation de nouveaux colons, permettre le transport d'une variété de
produits forestiers et autres produits manufacturiers. En fait, un chemin qui
leurs apporterait la prospérité.
Le chemin de fer Hereford
Branch Railway Company [4].
En mai 1887, un groupe d'hommes d'affaires, de politiciens et de
contribuables de la région décidèrent qu'il était temps d'améliorer
cette situation. Les deux principaux promoteurs étaient William Sawyer de
Sawyerville et Rufus Henry Pope de Cookshire.
Le premier,
William Sawyer, était propriétaire de moulins et de manufactures dans la
région. De 1871 à 1886 il fut député conservateur à Québec pour le Conté de
Compton. Dans le journal Le Progrès de l'Est du 1er décembre
1883 nous pouvons lire ce qui suit: « ... Ne pouvant arriver au
poste d'homme d'état, M. Sawyer tend évidemment à se mettre en train (sans
calembour) de devenir un Railway King. » L'article du Pionnier avait été
tiré de l'Advertiser.
Le deuxième, Monsieur R.H. Pope,
fermier, était le fils du grand homme de Cookshire, John Henry Pope, fermier,
marchand de bois, entrepreneur de chemins de fer et politicien. John Henry
était en 1886 Ministre fédéral des chemins de fer. Il était également
propriétaire majoritaire du chemin de fer International Railway Co. Fiston
avait donc un appuis très important dans son projet.
Le 23 juin 1887, par l'Act 50-51, Victoria, ch. 93[5], la
compagnie "Hereford Branch Railway Company" [6] est
incorporée avec l'autorisation de construire une ligne de 13 miles entre
Cookshire et Dudwell et d'acquérir la section Dudswell-Vieux fours construite
la même année par la Dominion Lime Ltd [7] qui
exploitait une carrière de chaud sur la terre de M. Régean Breton aujourd'hui
située sur le chemin Gosford.
Dans cet acte, nous retrouvons les noms de William
Sawyer, marchant du canton d'Eaton, John McIntosh, marchant du conté de Compton,
Cyrus A. Bailey et Rufus H. Pope, fermier, Alden Learned, hotelier tous du
canton d'Eaton et F. Paquette de Hereford, marchant et fondateur du village de
Saint-Venant de Paquetteville.[8]
Changement des responsables
de la Compagnie
Un tel projet nécessitait évidemment beaucoup
d'argent. Les fermiers et commerçants établis le long du tracé avaient acheté
plusieurs parts de la compagnie, mais ce n'était pas assez. Une telle aventure exigeait beaucoup plus de
sous. Souhaitant sans doute desservir
ses intérêts dans la région, William
Bullock, IVES[9],
avocat, homme politique et homme d'affaires se joignit au groupe peu de temps après[10].
Cet homme détenait des intérêts dans la Cookshire Mill Company[11], le moulin de Sawyerville, la
Scotstown Lumber Company[12],
l'usine de pâte à papier d'East Angus[13] , et
la Sherbrooke & Dudswell, Lime and Marble Trading Co.,[14] de
Lime Ridge dont il était le vice-président.
Devenu
l'âme dirigeante du projet, il réussit à y intéresser un syndicat d'hommes
d'affaires des États-Unis[15], et
ensemble ils devinrent les principaux bayeur de fonds de la Compagnie. Ensemble
ils fournissaient les trois quart des 800,000$ requis.[16] IVES sera
finalement nommé président de la compagnie. À la fin de 1888, R.H. Pope, William Sawyer et Armstrong vendent leurs parts dans la Compagnie et se
retirent du projet[17].
La compagnie entreprit la construction du chemin ferré
sans faire appel aux suscriptions municipales. Elle recevait des subsides des
gouvernements de Québec et d'Ottawa, un montant de $4 600 par mille de voie ferrée. La Compagnie
fournit elle-même le reste du montant requis. Le coût total de la construction
fut calculé à $15 000 par mille en moyenne[18].
« Une fois l'organisation
préliminaire accomplie, la Compagnie alla en soumissions. Les travaux de
construction furent adjugés à l'entreprise "Enoch G. Sweat", de
Woonsockett, R.I. Ce contracteur principal donna immédiatement les mêmes
travaux en sous-traitance à Messieurs Sherley, Corbett et Brennan,
constructeurs bien connus en Ontario et qui avaient rempli des contrats
d'importance pour la Compagnie du Pacifique dans la construction de
l'embranchement d'Algoma et de la section du nord du lac Supérieur »[19].
À suivre
[1] En
passant par Coaticook et Dixville.
[2] Ce
chemin de fer appartient aujourd'hui à la Montreal, Maine & Atlantic
Railway impliquée récemment dans la catastrophe de Lac-Mégantic le 6 juillet
2013.
[3] Qui
reliait le petit vilage de Dudswell, (situé à la croisée des chemins Bloomfield
et Gosford) et Canaan au Vermont.
[4] Le
futur chemin de fer Main Central
[5]
Hitory of Compton County, page 62.
[6] En
1888, le nom de la ''Hereford Branch Railway Company'' sera changé pour la
''Hereford Railway Company''.
[7] À ne
pas confondre avec la Cie Sherbrooke, Dudswell Lime and Marble Trading installée sur le futur site de Lime
Ridge qui prendra plus tard le nom de The Dominion Lime Company.
[8] Glimpses into the Past, page 45, by Miss Bertha Maud Maria Weston-Price (Une fille de Dudswell). Et
dans History of Compton County, page 42.
[9]
William B. Ives était le fils de Eli Ives et d'Artemissa Bullock. Eli Ives
était médecin à Marbleton et ami personnel
de
Thomas Shaw Chapman. William B. était le gendre de John Henry Pope ayant
épousé sa fille Elizabeth Emma à
Cookshire.
[10] M. Lessard, Op.
cit., p. 119.
[11] La
nouvelle firme s'assura rapidement des réserves de bois de 46 000 acres et
agrandit la scierie pour en faire une
entreprise d'importance, dont la production
était presque entièrement dirigée vers le marché sud-américain. Cette
firme dont W.B.Ives devint président et
dont la scierie principale, à Scotstown, traitait le bois de la région du mont
Mégantic. Il avait de ce fait la haute main
sur la plus grande partie du bois de sciage produit dans le secteur est de la
région des Cantons-de-l'Est. (Source:
Jean-Pierre Kesteman)
[12] L'entreprise assurant le
quasi-monopole du bois dans la région du mont Mégantic et dans l'est des
Cantons-de-l'Est.
[13]
Usine de papier, La Royal Paper
Mills, qu'Ives acheta en 1891.
[14] La future Dominion Lime de Lime Ridge qui devint la Compagnie
Graymond actuelle.
[15] Hon. Frank Jones, Portsmouth, N.H.;
Charles Sinclair, Geo. Armstrong, J.P. Cook, of Boston; Hon. Irving W. Drew,
Geo.
Van Dyke, of Lancaster; R.H. Pope, Cookshire; Wm. Sawyer, Sawyerville; and E.C.
Swett, Woonsocket, R.I.
[16] History of Compton
County, page 63.
[17] Idem
[18] Idem.
[19] Idem.