« Chasser quelqu'un d'un commerce sans ménagement, devant
des clients, en raison de l'utilisation d'un moyen pour pallier un handicap est
incompatible avec la déférence due à toute personne humaine (...) ».
C'est le rappel à l'ordre qu'a fait le Tribunal des droits
de la personne dans le jugement Baril c. Gestion Lisette & Pierre inc.
(Boutique Click)1 rendu le 13 août 2021 et par lequel il condamne une boutique
et ses deux propriétaires à payer des dommages moraux et punitifs pour avoir
interdit l'accès à leur commerce à deux clients en raison de la présence du
chien d'assistance de leur fils atteint du trouble du spectre de l'autisme.
Pourtant, depuis 1998 déjà, le Tribunal des droits de la
personne reconnaît aux personnes souffrant de déficience motrice ou cognitive
le droit d'être accompagnées d'un chien d'assistance afin d'accroître leur
autonomie et leur inclusion sociale. Une atteinte à ce droit ouvre la porte à
une réclamation en dommages. Retour sur cette décision récente.
L'ÉVÈNEMENT
Les faits de cette affaire se sont produits en juillet 2016.
Un jeune garçon de sept ans bénéficie, depuis quelques mois, de la présence
d'un chien d'assistance fourni par la Fondation MIRA pour l'aider avec son
trouble du spectre de l'autisme. En raison du jeune âge du garçon, sa mère a
suivi une formation intensive dispensée par MIRA et agit donc à titre de
parent-tuteur du chien, un labernois nommé Baska.
Un samedi soir, alors que le garçon est en vacances chez ses
grands-parents, ses parents profitent de leur moment de répit pour se promener
à Saint-Sauveur. Ils sont alors accompagnés de Baska, vêtu d'un foulard MIRA,
qui doit rester en la présence de son parent-tuteur.
Après avoir visité un premier commerce, le couple se rend à
la Boutique Click, qui vend des décorations de Noël. À leur entrée dans la
boutique, la mère constate que l'espace est étroit et qu'il contient plusieurs
objets cassants. Elle se déplace alors à droite de l'entrée et fait coucher le
chien par terre entre ses jambes.
Quelques secondes plus tard, les propriétaires de la
boutique s'approchent et demandent brusquement au couple de quitter leur
commerce sur-le-champ, sous le regard d'autres clients. Le couple leur explique
qu'ils sont accompagnés d'un chien d'assistance, mais les propriétaires
maintiennent leur refus d'admettre le chien. Les parents retournent donc à leur
domicile, accompagnés de Baska.
Lorsque le jeune garçon revient à la maison, il comprend que
son chien d'assistance a été expulsé d'un magasin. Bien que sa mère lui explique
que Baska peut entrer dans tous les lieux publics, il est anxieux lorsqu'il
doit entrer dans de nouveaux endroits avec le chien. Les parents, eux aussi
marqués par l'évènement, ressentent un malaise lorsqu'ils doivent être
accompagnés par le chien dans des lieux publics.
Ainsi, les parents réclament à la Boutique Click et à ses
deux propriétaires une somme de 6 000$ à titre de dommages-intérêts moraux et
une somme de 2 000$ à titre de dommages punitifs.
LA DÉCISION DU TRIBUNAL
Conformément à la Charte des droits et libertés de la
personne, toute personne a droit d'avoir accès à un lieu public et d'y obtenir
les biens et les services qui y sont offerts, sans distinction ou exclusion
fondée sur l'utilisation d'un moyen pour pallier un handicap. En refusant
l'accès à leur boutique en raison de la présence du chien d'accompagnement, les
propriétaires de la boutique ont porté atteinte à ce droit. Ils n'ont proposé
aucun accommodement raisonnable et ont même refusé l'accommodement proposé par
le couple, soit de garder Baska à l'entrée du commerce.
L'atteinte au droit fondamental des demandeurs étant
prouvée, le Tribunal doit évaluer les dommages causés par cette situation. Pour
se faire, il résume dans son jugement le témoignage de M. Noël Champagne,
psychologue concepteur des programmes de la Fondation MIRA. Celui-ci explique
que les enfants autistes et leurs familles peuvent subir des conséquences
sérieuses lorsque l'accès à un établissement public leur est refusé en raison
de la présence de leur chien d'assistance.
En effet, lorsqu'ils sont confrontés à de telles situations,
plusieurs enfants deviennent anxieux et refusent de sortir. Des familles vont
même jusqu'à remettre en question l'idée d'avoir un chien d'assistance et
certains chiens d'assistance sont retournés à la Fondation.
À la lumière de ces éléments et pour indemniser le couple,
le Tribunal condamne les défendeurs à payer une somme de 2 000$ à chacun des
parents à titre de dommages moraux. De plus, en raison de l'attitude
intransigeante des défendeurs à l'égard du couple et pour dissuader toute autre
récidive, le Tribunal condamne la Boutique Click et ses deux propriétaires à
payer une somme supplémentaire de 600$ à chacun des parents à titre de dommages
punitifs. Ainsi, la somme totale octroyée au couple s'élève à 5 200$.
Ce jugement est intéressant en ce qu'il rappelle deux
éléments fondamentaux : premièrement, il rappelle que les commerçants ne
peuvent refuser d'admettre une personne dans leur commerce pour un motif
discriminatoire ni refuser d'offrir à cette personne les mêmes services,
confort et respect habituellement offerts aux autres clients. Deuxièmement, il
rappelle l'importance de respecter le droit fondamental des personnes souffrant
d'une déficience visuelle, physique ou cognitive de pallier leur handicap par
l'assistance d'un chien dûment formé.
Me Gabriel Demers, avocat
Monty Sylvestre, conseillers juridiques inc.
1 Baril c. Gestion Lisette & Pierre inc. (Boutique
Click), 2021 QCTDP 30.