Film du répertoire québécois réalisé en 1972 par Denys Arcand, La maudite
galette est un film pas si bien réussi, pastiche d'un film policier à
suspense qui visait à sensibiliser les cinéphiles aux conséquences néfastes
qu'il y avait à bâtir sa vie sur l'appât du gain à tout prix. L'histoire était simple : un neveu et sa
femme tentent de déplumer le riche oncle de la famille. Les cadavres tombent
tour à tour. « La maudite galette est un faux film policier,
démonté. Sous le prétexte de présenter une anecdote en apparence
conventionnelle et d'en subvertir les apparences à l'aide de la mise en scène,
de la photo, du son, du jeu des comédiens, des décors, etc. Denys Arcand espérait
produire chez le spectateur un malaise qui pouvait provoquer une réflexion
féconde. » (Wikipédia, La maudite
galette) Assassiner son oncle pour s'emparer de sa fortune n'était pas une
si bonne idée pouvait-on en déduire à la suite du visionnement du film.
L'assiette
au beurre
Si aujourd'hui, j'évoque
ce vieux film du répertoire québécois, c'est pour indiquer que la réflexion
souhaitée par Arcand sur la relativité de l'argent n'a pas été bien intégrée à
notre culture puisque nous avons droit tous les jours à la démonstration du
contraire. La cupidité et l'appât du gain semblent avoir gangréné toute la
société québécoise. Prenons à témoin les ingénieurs, les élus et les
fonctionnaires qui nous ont avoué devant la commission Charbonneau s'être enrichis
à même les fonds publics par la corruption ou la collusion. Certains sénateurs
qui ont profité de trous dans les règles du remboursement des dépenses du Sénat
pour s'enrichir à nos dépens. Il y a aussi à Tourisme Montréal où son président
menait grand train de vie aux frais de nos impôts et de nos taxes. Je ne parle
même pas des salaires faramineux que se versent les présidents-directeurs
généraux des grandes entreprises cotés à la bourse ou encore des fraudes
fiscales facilitées par des avocats et des comptables de grands bureaux grâce
aux paradis fiscaux. Toute la société semble n'avoir qu'un dieu :
l'argent. Tous se servent allégrement dans l'assiette au beurre...
Le bien
commun : une idée Aristolécienne
Pourtant, Aristote
dans son traité intitulé Politique
définissait la société idéale comme une démocratie participative (même si à son
époque les femmes et les esclaves en étaient exclus) qui devait viser le bien
commun. Pour que cela fonctionne, cette démocratie devait veiller à ce que tous
les citoyens jouissent d'une égalité relative, d'une fortune moyenne et d'un
accès durable à la propriété. Une sorte de social-démocratie avec un
État-providence. Aristote croyait aussi que si une démocratie comptait une
minorité de citoyens très riches et un grand nombre de gens très pauvres, ces
derniers exerceraient leurs droits pour déposséder les nantis. Il voyait alors
deux solutions possibles : réduire la pauvreté ou limiter la démocratie.
Le lien
de confiance brisé :
Aujourd'hui,
notre société compte sur de plus en plus de pauvres. La classe moyenne est en
déclin (moins au Québec qu'ailleurs en Occident) et les nantis se croient tout
permis et se donnent le droit légal ou non de se servir eux-mêmes dans nos
taxes et nos impôts pour s'enrichir. Pas étonnant que le cynisme ait envahi la
scène politique et que le lien de confiance de la population avec ses élus ou
encore ses dirigeants soit aussi ténu. Il faut un redressement majeur et plus
que jamais, il faut retisser le sens moral et le sens de l'éthique de nos
élites dirigeantes et de la population. Il n'est pas plus acceptable de
présenter des allocations de dépenses faramineuses à même les fonds publics que
d'embaucher des gens au noir pour éviter de payer sa juste part d'impôt. Il
faut aussi repenser notre rapport avec l'argent dans notre société.
La
course effrénée aux biens de consommation
Il y a autre
chose de plus essentielle dans nos existences que la poursuite effrénée à la
richesse et aux biens de consommation. Il faut donc repenser nos valeurs et
chercher à recréer un espace de vie collective qui sera à la poursuite de
l'objectif louable du bien commun. Il serait aussi souhaitable que nous
puissions rompre avec notre vieux fonds judéo-chrétien qui fait que nous avons
collectivement de la difficulté dans notre rapport à l'argent et la richesse.
Les riches chez nous suscitent l'envie trop souvent et on ne valorise pas le
succès. On a plutôt tendance à le décrier lorsqu'il est lié à l'argent. Pensons
à titre d'exemple, au sort que nous réservons aux Péladeau et Desmarais de ce
monde.
De
nouvelles valeurs?
Si l'on repense nos valeurs par rapport à l'argent,
peut-être pourrions-nous en profiter pour revoir nos conceptions quant à la
rémunération de nos dirigeants. Si nous jugeons acceptable que des P.K. Subban,
Andrei Markov ou Céline Dion puissent gagner des millions de dollars par année
grâce à leurs talents, ne serait-il pas aussi dans l'ordre des choses que nous
puissions envisager de payer nos politiciens et nos hauts fonctionnaires à leur
juste valeur.
Au même moment où le rapport du vérificateur général dénonçait
le traitement de monsieur Charles Lapointe à Tourisme Montréal, l'ex-juge en
chef de la Cour suprême du Canada, l'honorable Claire L'Heureux-Dubé déposait
un rapport sur le traitement salarial de nos élus à l'Assemblée nationale du
Québec qui recommandait une hausse de leur traitement. Une opération à coût nul
puisque ce qui était ajouté au salaire était retiré aux conditions fort
généreuses des Fonds de pension. Un tollé de critiques s'est fait entendre de
la part de la population dans les opinions de lecteurs ou sur les réseaux
sociaux des sites web des médias. Cela montre le mépris qu'entretiennent
plusieurs à l'endroit de notre classe politique, mais ne témoigne pas du
respect et de l'importance que nous devrions accorder à nos classes dirigeantes
dans le secteur public eu égard à leur traitement et leurs conditions de
travail.
Un
juste milieu à trouver
C'est pourquoi il est important que nous dénoncions les abus
de toute sorte dont nous avons été victimes et nous devons exiger de nos
dirigeants qu'ils resserrent les règles et les contrôles tout en améliorant la
gouvernance de nos institutions publiques. Nous devons revoir les règles de
gouvernance, resserrer les responsabilités des membres des conseils
d'administration, encadrer les modes de rémunération des hauts dirigeants du
secteur public et favoriser une plus grande transparence en publiant tous les
contrats d'embauche des titulaires de charge publique. J'en suis.
Il faut aussi se garder de jouer à l'autruche et de se
mettre la tête dans le sable pour ne pas voir que nous devons en même temps
accepter de payer à leur juste valeur nos hommes et femmes politiques et les
dirigeants d'organismes publics. Nous ne pouvons pas tenir un discours voulant
que l'on paie un dirigeant d'un organisme public ou un élu au salaire moyen de
la population en général. Si nous voulons des dirigeants de qualité, si nous
pensons qu'il est important d'attirer dans la gestion de l'État des hommes et
des femmes de valeur, il faut les payer à leur juste prix. Si l'on se rappelle
l'exemple de l'ingénierie, où le départ des ingénieurs vers le secteur privé, pour
des raisons de rémunération, nous a laissés sans expertise valable par la
suite, nous aurions tout intérêt comme société à réfléchir à cette question
pour nos hauts dirigeants et nos élus. Il faudra bien un jour en finir avec la
maudite galette...
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de la semaine : « Créer une société pour vendre le
paradis sur plan. Et en créer une autre pour s'assurer contre l'enfer. Certain
que ça marcherait. » Bernard Pivot, « Les tweets sont des chats » Paris, Albin Michel, 2013, p. 151
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