S'il avait fallu. Juste d'y penser, je ressens encore un petit malaise. S'il avait fallu que le téléphone sonne chez mes parents, quand j'étais au secondaire, et que le directeur les convoque pour une rencontre au sommet : « votre fils a triché dans un examen. » Même 40 ans après mon secondaire, je n'ose imaginer... Pas que j'aie triché tant que ça! Deux ou trois dates d'histoire écrites sur mon poignet, c'est pas mal ça. Et je n'ai jamais eu le cran de les regarder (de toute façon, le fait de les écrire les a aussi imprimées dans ma mémoire...).
Ce qui me désole, c'est que la peur de se faire prendre à tricher semble ne plus exister une fois que nous sommes adultes. L'important n'est pas de tricher, c'est de ne pas se faire prendre. C'est ce qu'on disait à l'époque. Aujourd'hui, l'important n'est pas de se faire prendre, c'est de savoir s'en sortir.
Ce qu'on a échappé en route? Au moins une chose : le scrupule.
Dans une société qui privilégie le chacun pour soi dans tous les recoins de son organisation, il est normal que les scrupules sautent. Si je suis mesuré à la réussite de mon « chacun pour soi », je prends les moyens pour y arriver.
On dit parfois que voler un voleur n'est plus un vol... Je sais, c'est une façon bien irresponsable de se dédouaner moralement, mais si j'applique le raisonnement, normal que je ne me sente pas mal de tricher à l'école puisque l'école triche ouvertement à son tour!
La tricherie est acceptée, organisée et sue. Elle est approuvée les yeux fermés, de sorte que chacun pourra se disculper si jamais la lumière se fait sur la tricherie en disant qu'il n'a pas vu la chose. Tricher devient acceptable quand on bâtit un système qui non seulement le permet, mais, insidieusement, l'encourage.
Exemple : disons que je suis ministre de l'Éducation et que je déclare solennellement ce qui suit « mon ministère a mis en place des indicateurs d'efficacité et de performance qui devront être atteints, sinon les personnes responsables paieront le prix ». Comme électeur, vous vous dites « bon, enfin, un ministre qui se tient debout ». Et vous m'accordez votre confiance. Mon objectif, comme ministre, est atteint. Mais.
Ces indicateurs seront analysés par des gens assis dans un bureau bien loin du quotidien des écoles. Et comme les données doivent être gobées par des systèmes informatiques, tout sera chiffré. C'est plus simple. On va créer des ratios qui deviendront des indicateurs de performance et d'efficacité. Par exemple, le ratio de réussite scolaire est tout simple : le nombre d'élèves ayant obtenu 60% et plus, divisé par le nombre total d'élèves inscrits, donne un ratio x. Ce ratio doit être égal ou supérieur à celui demandé par le ministre. Sinon? Les subsides ne suivront pas. Ou votre poste est en jeu. On ne s'étonnera pas, à ce jeu, qu'on fasse en sorte que le système qui compile les notes des étudiants soit programmé pour arrondir à la hausse pour s'assurer l'obtention dudit objectif.
Et l'éducation, là-dedans?
Quoi, l'éducation? Qu'est-ce qu'elle a tant, l'éducation? Elle est encadrée par des indicateurs de performance et d'efficacité bien suffisants pour convaincre les électeurs de réélire le ministre. Bon, elle va bien l'éducation, non?
La même dynamique s'applique à la santé. Les ratios qui déterminent les indicateurs de performance et d'efficacité font en sorte qu'on place des patients hors de la salle d'urgence pour les sortir des statistiques. Ainsi, le ministre peut dire qu'on est meilleurs, globalement, de 30%, alors qu'individuellement, on attend aussi longtemps dans les salles d'urgence.
Tout cela, c'est tricher de façon acceptable. Et ça permet aux gestionnaires, comme au gouvernement, de dire qu'on s'est occupé des vraies affaires, tableau Excel en guise de preuve.
J'entends certains me dire : « François, tu es alarmiste et simpliste en même temps! » Je répondrais ceci : quand on complique les choses au point qu'une chatte ne retrouve plus son chaton, une chose est sûre : plus personne ne s'occupe du chaton...
Clin d'œil de la semaine
Paul est mort. Mais je me console en me disant qu'il est mort 30% plus en santé que Pierre...