C'est un jeu qui me plaît bien. Celui par lequel je me
projette dans le temps, puis je joue celui qui regarde en arrière et commente
le temps passé.
Ce matin, peut-être avez-vous trop dormi, mais voilà que
nous sommes en 2157. Dans une classe dite rétro. Rétro, parce que les parents
ont demandé et obtenu que le IProf soit
remplacé par un vrai. Pas un clone, juste un humain. Un banal humain à la
mémoire moins vive que la machine, mais à l'empathie nettement supérieure. Le
IProf, une sorte d'androïde (!) spécialisé, s'exprime couramment, interagit de
façon fluide, sourit et fait sourire, en plus de livrer la marchandise demandée
sans jamais être de mauvaise humeur ou malade. Mais il a la chaleur d'une vidéo
de feu de foyer.
Bref...
Le vrai prof, on est en 2157, je vous le rappelle, donne son
cours d'histoire du Québec. Devant lui, une classe dont les murs sont des
écrans qui projettent des images saisissantes des événements dont on parle, ce
qui donne un aspect plus réel à l'exposé du prof. L'enseignant est heureux.
Tous ces élèves, ce matin, sont souriants. Ils ont laissé leur voile intégral
au vestiaire, tel que convenu. Dehors, ils portent tous, gars et filles, une
sorte de burka. Mais non, calmez-vous, je ne m'en vais pas là... L'espèce de
burka sert simplement à filtrer l'air
qu'on respire. C'est poche, mais c'est ça. L'air est impur au point que
l'asthme tue régulièrement et que les médicaments contre les allergies font la
fortune des grandes compagnies pharmaceutiques. Les nouvelles variétés de
cancer évoluent plus vite que les progrès de la médecine.
Mais ce n'est pas là où je veux aller non plus.
Le prof revient sur un élément d'ordre social qui a marqué
le tournant des années 2000. Il rappelle à ses élèves, sourire en coin, que, 50
ans avant l'an 2000, un dénommé Hitler souhaitait mettre l'accent sur une sorte
de race humaine supérieure et parfaite. La race aryenne. Le prof sourit parce
qu'il sait bien que sa comparaison est grosse, mais il continue quand même.
« Au tournant des années 2000, l'homme et la femme se
sont mis en tête de devenir physiquement parfaits. Ils se sont mis à vouloir
cacher chaque ride au fur et à mesure qu'elle apparaissait. Ils se sont soumis
à des traitements au laser pour contrôler leur pilosité. Au fil des mois, leur
quête les a amenés à créer des bibliothèques de photos ultimes. Photos dictées
par le marché. La mode. Photos de ce à quoi on devait ressembler. Les gens se
faisaient alors injecter des produits plastifiants pour gonfler une lèvre,
bomber une joue, durcir une fesse. Ils ont sculpté, à grands coups de bistouri
et d'implants, le sein parfait, celui qui donne la confiance perdue, ils ont
remodelé ce nez pour qu'il ait la finesse d'une photo retouchée, bref, ils ont
capoté. »
« En fait, ces gens-là répondaient », poursuit le
professeur, « aux critères un marché qui inventait les besoins pour,
ultimement, pouvoir y répondre avec une offre commerciale. »
Toujours avec ce petit sourire en coin, il a une pensée pour
Hitler. « S'il avait su qu'on pouvait manipuler les gens sans violence,
qu'ils seraient même prêts à payer pour s'enrôler dans un système dicté par le
haut, il aurait, lui aussi, capoté... »
Et le prof finit en parlant de ce rêve de la race
parfaitement refaite qui s'est intéressée aux dents des humains. Oui, oui, les
dents. La moindre petite dent un peu croche est inacceptable. À la naissance
d'un enfant, il convenait presque, au début des années 2000, de mettre de
l'argent de côté pour ses broches, ses appareils orthodontiques. Le marché avait réussi à imposer l'image
d'une bouche parfaite. Pourquoi vendre des appareils seulement à ceux qui ont
un problème alors qu'on peut viser la perfection dentale! Et la perfection de
l'alignement n'étant plus suffisante, on a misé fort sur la couleur. Quelques
heures avant une sortie, il fallait se coller des bandelettes sur les dents
pour les rendre lumineusement blanches! Et vous savez quoi? Les gens achetaient
le produit! »
Les gens de cette époque-là ont franchi l'an 2020 avec des
dents tellement blanches qu'il a fallu redéfinir cette couleur! Pourtant, à la
vue de leur système basé sur la consommation et l'artificiel, ils auraient eu
tout intérêt à rire jaune. Mais bon... »
À ce moment du cours, les murs de la classe montrent une ado
de 2013, frimousse coquette, barbelé en bouche et yeux pétillants. Elle
disait : « Papa et maman m'ont payé cet appareil qui va rendre ma
dentition forte, belle et absolument parfaite. Tous mes amis en ont un. C'est
magique! À ma graduation, ils vont me payer une correction mammaire et vont
créer un fonds qui servira à financer les corrections, en temps réel, dont mon corps
aura besoin au fil de son vieillissement. J'ai vraiment tout ce dont j'ai
besoin pour réussir! »
La cloche sonne. Fin du cours.
Retour en temps réel...
Clin d'œil de la
semaine
Le système s'adresse à une femme : « Écoutez-moi
bien....Vos paupières sont lourdes.... » La dame répond, ouvrant subitement
les yeux : « Oui, je sais, et ça va me faire des pattes d'oie
qu'il faudra réparer... »